Accord iranien: les États-Unis changent de tactique, mais conservent leurs ambitions impérialistes

Le 20 janvier, un accord d’une durée de six mois qui fait reculer le programme civil nucléaire iranien, entrera en vigueur. Le président Barack Obama prétend que Washington s’est joint à ses alliés européens, ainsi qu’à la Russie et à la Chine, pour négocier cet accord intérimaire. Les États-Unis, même s’ils ont régulièrement menacé l’Iran par les armes, voudraient maintenant «donner une chance à la paix».

L’impérialisme américain se tourne vers la «paix» comme une tactique dans la poursuite d’objectifs stratégiques fermes, mais ces objectifs pourraient finalement être atteints par la guerre. Washington voit la menace d’une intervention militaire, une menace qui plane toujours au-dessus de l’Iran, comme le moyen essentiel pour forcer des concessions importantes et permanentes.

Le tournant diplomatique avec l’Iran, qui a cours depuis que Washington a reculé dans son attaque contre la Syrie en septembre dernier, a des visées prédatrices. Premièrement, les États-Unis évaluent qu’une autre guerre menée au Moyen-Orient les détournerait dangereusement du «pivot vers l’Asie», c’est-à-dire de leur tentative d’isoler la Chine et de l’affronter militairement.

Deuxièmement, Washington estime que les dirigeants bourgeois de l’Iran pourraient être ralliés aux intérêts stratégiques américains: son industrie pétrolière et sa richesse divisées pour le compte des entreprises américaines et sa position stratégique utilisée pour stabiliser le Moyen-Orient, du Liban jusqu’à l’Afghanistan, sous l’hégémonie des États-Unis.

Le nouvel accord intérimaire sur le nucléaire a permis à Washington d’extorquer de vastes concessions de l’Iran. Les clauses de cet accord bafouent les droits de l’Iran en tant qu’État souverain et en tant que signataire du Traité de non-prolifération nucléaire. L’accord restreint l’enrichissement de l’uranium iranien à moins de 5 pour cent, élimine la moitié des stocks d’uranium de l’Iran enrichis à 20 pour cent, empêche Téhéran d’activer son réacteur à eau lourde d’Arak et assujettit le programme nucléaire civil du pays à des inspections envahissantes sans précédent.

En échange, les États-Unis et leurs alliés de l’Union européenne vont donner 7 milliards de dollars dans un régime d’«assouplissement de sanctions» qui peut être annulé. Cette somme équivaut à ce que perd l’Iran en exportation pétrolière pendant six semaines seulement en raison des sanctions! De plus, les sanctions principales (celles qui réduisent les exportations pétrolières de moitié et gèlent les transactions financières de l’Iran dans le système bancaire mondial) demeurent en vigueur.

Ces sanctions figurent parmi les plus dures à avoir été imposées en période de paix. Elles sont en elles-mêmes un acte de guerre et ciblent de manière disproportionnée les sections les plus opprimées de la société iranienne. Les sanctions ont dévasté l’économie iranienne, ont coupé les revenus de l’État et ont propulsé l’inflation à 40 pour cent en plus de provoquer des pertes d’emplois massives. Elles ont coûté des milliers de vies en bloquant l’importation de médicaments et de fournitures médicales.

La politique de Washington envers l’Iran va de pair avec la guerre sectaire que les États-Unis mènent par procuration à l’aide de ses agents islamistes sunnites en Syrie, une chose que Washington a soulignée en intensifiant sa campagne pour un changement de régime en Syrie au même moment qu’un accord avec l’Iran était diffusé publiquement.

Lundi, l’administration Obama a annoncé qu’elle excluait l’Iran de la prochaine conférence sur la guerre en Syrie. Le secrétaire d’État John Kerry a dit que Téhéran serait invité seulement s’il acceptait que la conférence transfère le pouvoir dont dispose Damas à un «gouvernement de transition» dans lequel les insurgés islamistes commandités par les États-Unis auraient la moitié des sièges.

Au même moment, Washington a d’une façon provocatrice augmenté l’envoi d’aide militaire à ses agents en sous-main en Syrie. L’administration Obama semble voir la possibilité que son aide aille à des groupes d’Al-Qaïda et mène à des «contre-coups» aux États-Unis comme des «dommages collatéraux» acceptables dans le cadre de ses activités belliqueuses en Syrie.

L’accord intérimaire actuel avec l’Iran est censé mettre la table pour un accord «final» qui va fixer les balises du programme nucléaire iranien. Cependant, en tant que signataire du Traité de non-prolifération nucléaire, l’Iran est censé avoir un accès sans condition à un programme civil nucléaire.

Obama et Kerry ont déjà déclaré que ces négociations seront «beaucoup plus dures» que celles qui ont mené à l’accord intérimaire. Le président des États-Unis a dit qu’il y avait 50 pour cent de risque qu’elles échouent. Dans les mots de l’attaché de presse de la Maison-Blanche, Jay Carney, l’échec «entraînerait des actions de la part des États-Unis», ce qui veut dire des sanctions encore plus dures et un compte à rebours vers la guerre.

Pour les États-Unis, la question nucléaire a toujours été un prétexte pour menacer et isoler l’Iran et préparer politiquement un changement de régime, militairement si nécessaire. En dernière analyse, l’impérialisme américain ne s’est jamais réconcilié avec la Révolution iranienne de 1979 qui a renversé la dictature brutale du shah.

La Révolution iranienne était un puissant soulèvement anti-impérialiste. Cependant, le parti stalinien Tudeh et toute une variété de groupes petits-bourgeois de «gauche» ont systématiquement subordonné la classe ouvrière à la bourgeoisie nationale, insistant que l’Iran n’était pas prêt pour le socialisme. Profitant de cette marge de manœuvre, la bourgeoisie a utilisé le régime nationaliste religieux de l’Ayatollah Khomeini pour maîtriser le mouvement de masse. Elle a par la suite brutalement supprimé la gauche et écrasé toute expression de pouvoir et d’organisation des travailleurs.

Pendant 35 ans, les dirigeants de la République islamique ont proclamé leur opposition à l’impérialisme américain. Mais celle-ci a toujours été hypocrite. Elle provient de leur amertume face aux limites que la domination impérialiste place sur la capacité de la bourgeoisie iranienne d’exploiter elle-même la classe ouvrière.

Fois après fois, le régime iranien a tenté un rapprochement avec Washington. En 2001, Téhéran a fourni à Washington des renseignements tandis que ce dernier envahissait l’Afghanistan et a aidé l’administration Bush à mettre en place Hamid Karzaï en tant que fantoche des États-Unis à Kaboul. En 2003, Téhéran a proposé une «grande entente» dans laquelle elle reconnaissait l’État d’Israël et cessait de donner son appui aux principaux opposants militaires d’Israël dans la région: le groupe palestinien Hamas et la milice chiite libanaise Hezbollah.

En tentant d’en arriver à une entente avec Washington, la bourgeoisie iranienne cherche à accélérer les réformes pro-marché et à éliminer ce qui reste des concessions faites à la classe ouvrière après la Révolution. Une confrontation explosive est en train de se préparer au Moyen-Orient entre la classe ouvrière et les manœuvres néo-coloniales des puissances impérialistes.

Au moment où l’accord sur le nucléaire était sur le point d’être entériné, Téhéran a annoncé que le président iranien Hassan Rouhani se rendrait la semaine prochaine au Forum économique mondial à Davos, en Suisse, où il allait courtiser l’élite économique et politique du monde occidental. Son gouvernement a déjà déroulé le tapis rouge pour les géants américains et européens de l’énergie, leur offrant un accès privilégié aux énormes réserves de pétrole et de gaz naturel de l’Iran.

Keith Jones

Article original, WSWS, paru le 16 janvier 2014



Articles Par : Keith Jones

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