Affrontements entre les travailleurs brésiliens et la police à la veille de la Coupe du monde

A quelques jours à peine du début, le 12 juin, de la compétition pour la Coupe du monde de football au Brésil, le pays est secoué par une série de grèves et de protestations, dont un débrayage de six jours des travailleurs des transports en commun qui a paralysé São Paulo, la plus grande ville du pays avec une population de près de 12 millions d’habitants.

Les employés grévistes du métro de São Paulo [Photo: Oliver Kornblihtt / Midia NINJA]

Les autorités ont affronté les grévistes des transports avec une répression et une violence brutales. Des troupes de choc de la police militaire ont été déployées contre les piquets de grève des travailleurs et les manifestations, recourant aux gaz lacrymogènes, aux balles en caoutchouc et aux grenades assourdissantes contre les grévistes et leurs sympathisants dont des dizaines ont été interpellés.

Un tribunal des prud’hommes de São Paulo a jugé, lors d’une session sans précédent qui s’est tenue dimanche, que la grève était « abusive » et illégale. Une assemblée générale des travailleurs des transports a voté le jour même de poursuivre le débrayage au défi de la décision du tribunal et de la menace, émise par le gouvernement de l’Etat, que tous les grévistes ne reprenant pas le travail lundi seraient licenciés.

Une réunion entre responsables syndicaux et représentants du gouvernement de l’Etat de São Paulo lundi après-midi a pris fin sans qu’un accord ait été trouvé. Les médias brésiliens ont dit que le syndicat avait été prêt à accepter un accord salarial inférieur à la hausse de 12,2 pour cent revendiquée mais qu’il avait insisté pour que le licenciement d’une soixantaine de grévistes pour leurs actions sur les piquets de grève soit annulé.

Le gouverneur de São Paulo, Geraldo Alckmin, qui en 2006 fut le candidat présidentiel soutenu par la droite brésilienne, a adopté une ligne dure en affirmant qu’il n’y avait « rien à discuter, » c’est-à-dire qu’il n’y aurait pas d’autre proposition salariale que celle des 8,7 pour cent initialement offerte, et qu’aucun de ceux qui ont été licenciés ne retrouveraient leur emploi.

Les responsables des transports ont déclaré lundi après-midi que 29 pour cent de l’effectif avaient repris le travail lundi et que 50 stations de métro sur 65 étaient ouvertes mais fonctionnaient avec un service limité.

Lundi soir, le syndicat a organisé une assemblée lors de laquelle les travailleurs ont voté pour suspendre la grève jusqu’à mercredi lorsqu’ils se rassembleront à nouveau pour décider de reprendre ou non le travail, le jour du premier match de la Coupe du monde, si leur revendication de réintégrer les grévistes licenciés n’était pas satisfaite.

La grève dans les transports fait suite à des actions similaires menées par les enseignants à la fois à São Paulo et à Río de Janeiro, par les conducteurs de bus et autres sections de la classe ouvrière. Ces grèves se sont accompagnées de manifestations de masse partout dans le pays pour rejeter les énormes dépenses faites pour la Coupe du monde dans un contexte de pauvreté de masse et de dépenses insuffisantes attribuées par le gouvernement à l’éducation, aux soins de santé, au logement et autres besoins élémentaires.

La Coupe du monde de football, organisée par la Fédération internationale de football (FIFA) qui se tient tous les quatre ans, réunit les équipes nationales de nombreux pays. Ce tournoi de football est censée générer 4 milliards de dollars US et plus de 2 milliards de dollars US de bénéfices pour la FIFA et les promoteurs industriels de l’événement. Cette somme record est grosso modo le double du revenu généré lors de la Coupe de 2010 en Afrique du Sud.

Les autorités ont prétendu avoir «tiré la leçon » des protestations qui avaient ébranlé le Brésil il y a un an lorsque des manifestants s’étaient livré à des batailles rangées avec les forces de sécurité devant les stades où avait lieu la soi-disant Coupe des confédérations qui sert de répétition à la compétition plus vaste de la Coupe du monde.

Le gouvernement a dépensé près de 1 milliard de dollars pour l’organisation d’une immense force répressive, dont une armée de 57.000 hommes et 100.000 policiers et agents de sécurité pour protéger en premier lieu les jeux face à des protestations sociales et des grèves, bien que ce soit le terrorisme qui ait été inévitablement avancé comme prétexte à ce déploiement.

L’organisation de la compétition était une cause majeure des manifestations de masse qui avaient fait descendre, il y a un an, des millions de gens dans les rues de Río de Janeiro, São Paulo et d’autres villes. Tandis que ces protestations étaient déclenchées par la menace d’une hausse des prix du transport public, les manifestants pointaient du doigt les dépenses publiques de l’ordre de 18 milliards de reais (8 milliards de dollars US) que le gouvernement avait prévues pour la construction et la modernisation des stades et des aéroports tandis que l’éducation, les soins de santé et d’autres besoins humains étaient négligés.

Peu de temps après les protestations de masse de l’année dernière, le gouvernement PT (Parti des Travailleurs) avait promis de se plier aux revendications en faveur d’une amélioration de l’éducation, des soins de santé et du logement. Depuis, cependant, la présidente Dilma Roussef n’a pas tenu ses promesses et a, au contraire, à maintes reprises, eu recours aux forces de sécurité fédérales et à l’armée pour réprimer les grèves et les manifestations.

La police militaire a été utilisée comme force d’occupation dans les favelas (bidonvilles), y compris le complexe de la Maré composé de 15 favelas à Río de Janeiro et qui est à cheval entre l’aéroport international de Río et les riches quartiers touristiques.

Dès 2009, le gouvernement avait commencé à construire des murs autour des collines de bidonvilles (favelas) en vue de leur militarisation dans l’optique de la Coupe du monde. N’ayant pas réussi à résoudre les questions sociales, le gouvernement a recouru à la police. Les forces de sécurité du gouvernement ont tué plus de 5.600 Brésiliens depuis 2007, dont un grand nombre à l’intérieur des favelas occupées.

C’est la deuxième fois que la Coupe de la FIFA se joue au Brésil. La première fois, c’était en 1950 et cela marquait la reprise des jeux après leur suspension durant la Deuxième Guerre mondiale.

A l’époque, le Brésil était un pays en voie d’industrialisation rapide. Les pénuries imposées par la guerre avaient stimulé la production intérieure qui était encouragée par la politique gouvernementale de remplacement des importations. Des millions quittaient la campagne pour s’établir dans les villes côtières et le Sud industriel. Des projets allaient bientôt voir le jour pour la création d’une nouvelle capitale, Brasilia, dans le centre du pays, en grande partie pour isoler le gouvernement des grèves de masse et des luttes sociales. Même si plus de la moitié des habitants du pays vivaient dans la pauvreté, le niveau de vie et l’espérance de vie étaient en hausse, la mortalité infantile avait baissé et davantage de Brésiliens avaient accès aux services de santé.

En dépit de cette croissance accélérée, les gouvernements successifs furent incapables de résoudre les conflits sociaux et régionaux de longue date et de libérer le pays de l’emprise de l’impérialisme américain. Ce dernier joua un rôle crucial dans l’imposition en 1964 d’une dictature militaro-fasciste brutale qui dura jusqu’en 1985.

Soixante-quatre ans ont passé depuis la Coupe du monde de 1950. A la différence de cet événement antérieur, cette fois-ci le pays se trouve en plein déclin économique. Pour de nombreux Brésiliens, leur pays marche à reculons. Un sondage publié la semaine passée a montré que 72 pour cent de la population est mécontente de la manière dont vont les choses, par rapport à 55 pour cent il a un an.

En 2003, lorsque la FIFA avait annoncé que le Brésil accueillerait le championnat, un gouvernement PT, dirigé par l’ancien dirigeant syndical, Luis Inacio Lula da Silva, était arrivé au pouvoir et avait suscité des attentes selon lesquelles le Brésil, aux côtés du groupe de soi-disant économies émergentes connues sous le nom de BRICS (dont la Russie, l’Inde et la Chine), trouverait la voie pour augmenter la croissance économique et l’égalité sociale.

Le modèle PT du « Lulalisme » ou « consensus brésilien » a consisté en une politique d’économie de marché, de privatisations et de déréglementation associés à une démagogie populiste et à des programmes d’aide minimale pour les couches de la population les plus appauvries. Ce modèle fut promu comme une alternative d’économie de marché à la fois à la « Révolution bolivarienne » d’Hugo Chavez au Venezuela et au « consensus de Washington » de coupes féroces dans les programmes sociaux. Le gouvernement allait déréglementer les entreprises et privatiser les industries publiques, créer une banque centrale indépendante du gouvernement mais placée sous le contrôle des institutions financières mondiales tout en consacrant encore quelques moyens financiers aux programmes sociaux.

Finalement, ni le Brésil, ni les BRICS, ni le reste des économies émergentes ne se sont révélées être plus fortes que la crise capitaliste mondiale et la détérioration du commerce mondial et l’effondrement des cours mondiaux des matières premières, dû, dans le cas du Brésil, à une chute des commandes de la Chine.

Le prix mondial du minerai de fer par exemple, qui était jusque dernièrement le principal produit d’exportation du Brésil, a dégringolé de plus de 20 pour cent, rien que cette année. L’agence d’information Reuters a interviewé récemment des responsables du producteur de minerai de fer Vale qui a indiqué que des mines moins productives et épuisées sont en train d’être fermées dans l’espoir de soutenir les prix du minerai de fer. Depuis 2010, le Brésil est confronté à une inflation et un chômage grandissants ainsi qu’à la fuite de capitaux.

Le PT avait été créé en tant qu’instrument politique pour détourner l’éruption explosive de luttes ouvrières de masse, à la fin de la dictature militaire, vers des canaux réformistes et parlementaires plus sûrs. Diverses tendances de la pseudo-gauche avaient participé à sa construction en le saluant comme un modèle pour organiser les travailleurs internationalement.

Depuis lors, il a été démasqué comme un parti bourgeois corrompu et, au bout de plus d’une décennie au pouvoir, comme l’instrument de gouvernance préféré de l’élite financière et patronale brésilienne. La prétention que ce parti ait quoi que ce soit à voir avec une réforme sociale devient chaque jour de plus en plus éculée. Alors qu’il accueille la Coupe du monde de 2014, le gouvernement Rousseff se révèle être un gouvernement qui vit dans la crainte de la classe ouvrière brésilienne et des pauvres et qui est prêt à recourir à une répression d’Etat policier pour garantir les intérêts du patronat.

Rafael Azul

Article original, WSWS, paru le 10 juin 2014



Articles Par : Rafael Azul

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