Africom : mode d’emploi du nouveau cheval de Troie

De plus en plus médiatisé et voyant que l’activisme de Washington inquiète, d’autant plus que de nouveaux acteurs majeurs lui ont, discrètement d’abord puis de plus en plus ouvertement, damé le pion depuis longtemps, «l’Afrique, est impératif stratégique mondial pour l’Amérique”.  C’est en ces termes que le général James Jones résume les raisons de l’intérêt croissant que les Etats-Unis portent à l’ensemble du continent africain. Il importe, précise-t-il, de reconnaître au plus tôt que :  Les  questions de sécurité africaines pèseront de plus en plus sur la sécurité  du territoire américain. Le continent africain connaît une instabilité politique endémique, déclare Jones, laquelle est aggravée par les problèmes sociaux, économiques et sécuritaires eux-mêmes générés par de multiples facteurs : fort taux de natalité, questions agricoles et problèmes environnementaux, déplacements massifs de population et pandémies…Tous ces facteurs servent de fourrier au terrorisme et à l’insécurité.

Après avoir rappelé que la lutte contre le terrorisme est la raison d’être première de l’Africom, suite aux évènements du 9/11, et la genèse controversée du nouveau commandement, et présenté le mandat qui lui fut donné, on abordera les activités de l’Africom dans le cadre de la TSCTI et de l’APS et sa chaîne hiérarchique. Enfin, on verra que la création de ce nouveau commandement représente autant un défi pour les Américains qu’une ligne de fracture pour les nations du continent. Facteur aggravant, de nouveaux acteurs ont précédé le renouveau du tête-à-tête avec les Européens désormais à la traîne de leur allié américain : l’aigle américain se trouve, dorénavant, en concurrence directe avec le très entreprenant dragon chinois, suivi de loin par le précautionneux tigre indien.

La lutte contre le terrorisme

Après avoir réagi à diverses crises humanitaires et à des situations politiques dangereuses (Somalie, Liberia, Sierra Leone, Soudan), les Etats-Unis ont décidé d’adopter des mesures préventives ainsi qu’une politique proactive tant en Afrique du Nord qu’en Afrique Occidentale et dans la Corne de l’Afrique, toutes contrées pouvant servir de sanctuaires de prédilection aux criminels et aux terroristes refluant d’Afghanistan et du Moyen-Orient. Déjà, en 2004, les experts américains soutenaient que l’Afrique, avec ses “zones grises” était en train de se transformer en base arrière du terrorisme. Dans le cadre de l’Initiative pan-Sahel (devenue depuis Programme de lutte contre le terrorisme au pan- Sahel ou TSCTI, avec un budget de 500 millions de dollars sur cinq ans), Washington fournit entraînement et équipement à des pays initialement au nombre de quatre (Mali, Mauritanie, Tchad, Niger), puis étendit ce dispositif aux trois pays du Maghreb, encourageant la collaboration entre eux tous comme dans l’exercice Flint-Lock 2005 .

Au-delà du Sahel, les Etats-Unis se sont rapprochés des plus importants producteurs de pétrole de l’Afrique Occidentale et du golfe de Guinée, à savoir les deux géants que sont le Nigeria, l’Angola, et aussi Sao Tomé et Principe (STP).  Après la date charnière du 9/11, Washington accorda une importance stratégique à la Corne de l’Afrique (HOA), située à l’extrémité occidentale de “l’arc d’instabilité” recélant les ressources stratégiques pour lesquelles les Etats-Unis sont en compétition avec les BRIC (Brésil, Russie, Inde, Chine) . La création du sixième et nouveau Commandement unifié combattant entièrement dédié à l’Afrique (moins l’Egypte), l’Africom (Africa Command) est donc indissociablement liée à la “longue guerre” contre le terrorisme mondial, la Global War Against Terror (GWAT), susceptible de durer une génération, voire davantage, si ce n’est indéfiniment, selon John McCain, candidat à la Maison- Blanche. Et le général Jones d’expliquer :  “En  nous efforçant de contribuer à endiguer la détérioration de la situation  de ce continent qui ne cesse de prendre de l’importance, nous diminuons le  potentiel que présente l’Afrique pour devenir le prochain front dans la  guerre contre le terrorisme.” L’Afrique est devenue une priorité dans la GWAT.

L’Afrique sera «le prochain champ de bataille dans la guerre contre le terrorisme». L’Amérique entend faire régner l’ordre dans les «zones grises», ces «zones qui échappent plus ou moins au contrôle de l’Etat» (undergoverned spaces). Vus de Washington, le Sahel et la Corne de l’Afrique sont ce «nouveau champ de bataille» où les mesures de lutte contre le terrorisme (CT), mises en œuvre à l’initiative de Washington dès 2000, ont conduit à une évolution de la situation, en clair à un affaiblissement de la menace salafiste.Ce nouveau «champ de bataille», estiment les experts américains, constitue un vivier pour les prêcheurs islamistes extrémistes et les (nouveaux) groupes terroristes (GSPC, AQIM, Black Taliban in Nigeria, Tablighi Jamaat en Afrique Occidentale…), implantés, notamment, dans les pays producteurs de pétrole .

Certains spécialistes américains estiment que 25 % des «combattants étrangers» (foreign fighters) enrôlés par al-Qaïda pour combattre les forces américaines en Irak viennent d’Afrique où, éventuellement, ils retournent pour conduire le jihad. S’appuyant sur le témoignage de J. Peter Pham devant la chambre des Représentants, Commission des affaires étrangères, sous-commission pour l’Afrique et la santé mondiale, Isaac Kfir (de Herzlyia, Israel) cite Abu Azzam al-Ansari : “Il  n’y a aucun doute qu’Al-Qaïda et les saints guerriers jugent à sa juste  valeur l’importance des régions africaines pour entreprendre des campagnes militaires contre les croisés. Nombreux sont ceux qui pressentent  que ce continent n’a pas encore trouvé son rôle propre qui lui est dû  et que les prochaines étapes du conflit feront de l’Afrique son champ de  bataille… L’Afrique est un sol fertile pour promouvoir le jihad et la cause jihadiste.”

Unicité de commandement

Pour la première fois, un grand commandement unique est créé par les Américains afin de coordonner les différents déploiements militaires et actions civiles américains sur le continent africain. Le programme militaire américain trouve(ra) dans l’Africomsa focale géographique. Trois des cinq grands commandements combattants unifiés actuels comportaient des aires qui se recoupaient en Afrique : cette division artificielle s’articulait tant géographiquement que fonctionnellement : ainsi, une partie de l’Afrique relevait de l’Eucom (QG à Stuttgart, Allemagne), une autre du Centcom (QG à Tampa, Floride) et la dernière du Pacom (QG à Hawaï). Chaque commandement s’occupait donc, pour ainsi dire à temps partiel, d’une certaine zone plus ou moins grande de l’Afrique. La création d’un commandement spécifique géographiquement délimité et recentré correspond donc bien une nécessaire et indispensable rationalisation puisque la totalité du continent africain (hormis l’Egypte) passe sous la responsabilité de l’Africom et ce, à temps complet. Et Ryan Henry, sous-secrétaire principal à la politique de défense de résumer : “Nous  prenons en charge la zone de responsabilité du continent africain et la  confions à un seul chef, lequel ne s’occupera que des questions africaines 24 heures par jour, 7 jours par semaine.”
 
Génèse de l’Africom

Après avoir été annoncé, en février 2007 par le président Bush, le nouveau Commandement américain pour l’Afrique (Africom) fut officiellement lancé le 1er octobre de la même année. Objectif : rendre le Commandement pleinement opérationnel (Full Operational Capability ou FOC) au plus tard le 1er octobre 2008. En mettant sur pied un sixième Commandement dont l’appellation désigne clairement la zone géographique ciblée, les Etats-Unis officialisent, si besoin était, l’accroissement de leur présence au large et sur le territoire même de «l’Afrique utile», et même au-delà. Ce qui fait encore débat, c’est l’étendue géographique et la permanence de cette présence accrue. Pour ses partisans, l’Africom représente une occasion tant pour l’Afrique que pour les Etats-Unis de resserrer les liens déjà existants de coopération en matière de sécurité. La définition des “menaces” portant atteinte à la sécurité de ces pays demeure aussi imprécise que commode.

L’Africom est également conçu comme un terrain d’expérimentation devant permettre une meilleure intégration des actions civilo-militaires en vue de traiter les causes sous-jacentes et à long terme de l’insécurité invoquée plus haut. Washington prend acte de l’incapacité de l’Union Africaine à confier à ses «Casques verts» des opérations de maintien de la paix, voire d’imposition de la paix dans des zones en crise ou en proie à des conflits ouverts (sauf aux Comores !). D’aucuns se demandent si le carnet de route de l’Africom ne pêche pas par excès d’ambition : en effet, s’interrogent-ils, les questions censées être traitées par l’Africom ne relèvent-elles pas plutôt du Conseil de sécurité des Nations unies ? Dans quelle mesure l’Africom n’empiète-t-il pas sur le domaine d’action de l’ONU ? Va-t-il coopérer avec d’autres membres de la «communauté internationale» (Chine, France, Union européenne…) ou, au contraire, faire cavalier seul et peut-être entrer en concurrence avec eux ? A défaut de réussir la professionnalisation de leur outil militaire, les Etats africains vont-ils pouvoir/devoir continuer à recourir aux services onéreux, et pas forcément désintéressés, des Sociétés militaires privées (SMP)?

Quoi qu’il en soit, l’Africom a aussi ses détracteurs. Et c’est ici qu’apparaît l’autre préoccupation, ou plus exactement la vraie raison d’être de ce nouveau Commandement géographique : les enjeux économiques, et plus particulièrement énergétiques.  Le Pentagone ne risque-t-il pas de prendre le pas sur le Département d’Etat ? Les priorités à court terme de la guerre mondiale contre le terrorisme ne vont-elles pas compromettre les investissements et intérêts à long terme des Etats-Unis dans le domaine de la sécurité énergétique ? Les actions entreprises par l’Africom ne vont-elles pas aiguiser une compétition de type néocoloniale entre les Etats-Unis et la Chine ? Nonobstant les conséquences négatives probables à moyen et long termes pour la région…



Articles Par : Jean-Claude Bessez

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