Agents provocateurs au service de l’État canadien
Avec l’adoption du projet de loi antiterroriste C-51, les membres du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) pourront commettre toutes les infractions prévues au Code criminel, à l’exception de celles ayant pour effet de causer des lésions corporelles ou la mort d’une personne, de porter atteinte à l’intégrité sexuelle d’un individu ou de détourner ou contrecarrer le cours de la justice.
Lors du débat sur C-51, plusieurs intervenants avaient manifesté la crainte que ces nouveaux pouvoirs puissent se traduire par la répétition des abus perpétrés par la GRC durant les années ’70.
Or, nul besoin de remonter jusqu’à 40 ans en arrière, à une époque où le SCRS n’avait d’ailleurs pas encore été créé, pour trouver des cas spectaculaires de dérapages des services secrets canadiens.
Marc-André Boivin, Grant Bristow et Joseph Gilles Breault ont tous trois été informateurs pour le SCRS ; et tous trois ont fait parler d’eux dans les journaux en raison de leur participation à diverses infractions criminelles pendant qu’ils mouchardaient pour les services secrets canadiens.
Pendant 15 ans, Marc-André Boivin a mené une double carrière comme informateur et permanent syndical à la CSN, dans la région de Québec, avant d’être condamné à 15 mois de prison, en 1987, pour sa participation à des projets d’attentats à la bombe visant des propriétés du businessman Raymond Malenfant.
Co-fondateurs du groupe néonazi Heritage Front, à Toronto, Grant Bristow a été le cerveau d’une intense campagne d’harcèlement contre des militants antiracistes, avant d’être lui-même démasqué en tant qu’informateur du SCRS, en 1994.
Se faisant passer pour un leader de la communauté musulmane montréalaise, Joseph Gilles Breault, alias «Dr. Youssef Mouammar», alias «Abou Djihad», a quant à lui menacé de mort impunément un juge antiterroriste français et une journaliste britannique, allant jusqu’à proférer des menaces d’attentats biochimiques contre le métro de Montréal, durant les années ’90.
Ces trois cas, tous forts biens documentés, démontrent de façon éclatante que les coups tordus des services secrets canadiens se sont poursuivis bien après les années ’70.
Malheureusement, il ne semblait plus rester grand monde pour se rappeler de ces trois affaires retentissantes au moment même où l’élargissement des pouvoirs du SCRS faisait l’objet d’intenses débats publics au Canada.
Le fait que les noms de Boivin, Bristow et Breault aient tous trois brillés par leur absence dans la couverture médiatique sur C-51 vient confirmer que les journalistes ne surveillent pas d’assez près les activités du SCRS. Si les médias baissent la garde, les espions en folie ne peuvent qu’en profiter pour faire tout ce dont ils ont envie.
Pour parer à cette lacune, la Coalition contre la répression et les abus policiers a publié sur son site web (http://www.lacrap.org/) un dossier complet sur les antécédents du SCRS en matière de provocation.
La documentation des coups tordus du SCRS est d’autant plus pertinente que les services secrets canadiens ne semblent pas avoir renoncé à leurs méthodes toxiques. C’est à tout le moins ce que suggère l’affaire Mohammed Al-Rashid, un informateur du SCRS de nationalité syrienne ayant été arrêté par la police turque, en février 2015, pour avoir aidé trois adolescentes britanniques à rejoindre les rangs de DAESH (l’État islamique). Notons que ces graves allégations n’ont pas été niées par Ottawa. (1)
Bienvenu dans le monde étrange du renseignement, où les champions de la manipulation et les pros de la provocation font la loi au mépris de la légalité !
Alexandre Popovic
Alexandre Popovic est porte-parole de la Coalition contre la répression et les abus policiers
(1) Journal de Montréal, « L’espion canadien en Turquie: a-t-il contrevenu aux directives ministérielles? », Andrew McIntosh, mis à jour 17 mai 2015 10:41.