Algérie. Le parcours d’un artiste et le bonheur national brut.

La vie privée et la dignité humaine sont sacrées. L’Algérie et la Kabylie   ont été jusqu’à date insensibles aux tentatives d’embrasement. C’est une réponse optimale à la déferlante de l’économisme sur ce pays du monde sous-développé berceau d’une révolution modèle.

L. Matoub, l’économique

Comme chez David Ricardo[i] ; le génie et le refus de l’argument d’autorité, du rejet des pensées magique et unique chez Lounès Matoub l’ont mené à révolutionner les comportements populaires et citoyens de certains Algériens.

D. Rircardo et L. Matoub ont constitué des fortunes. Si le premier a acheté les voix de ses électeurs, le second a donné la sienne à tous les militants de l’amazighité et de la liberté en Afrique du Nord.

D. Ricardo a atteint le firmament de l’universalité ; avec plus de travail, L. Matoub le rejoindra. Les deux ont laissé dans leur héritage des maisons[ii] où habitent des princesses. Dans celle de L. Matoub à Beni Douala (Tizi-Ouzou, Algérie), il y a, en plus, un véhicule de couleur noire d’une prestigieuse marque qui porte les impacts des balles qui l’ont assassiné le 25 juin 1996 qui se sont ajoutées à celles qui l’ont touché à bout portant en octobre 1988.

D. Ricardo a donné la réplique à deux références en théories économique et monétaire : Adam Smith et Henry Thornton. L. Matoub en a fait de même face à celles de la chanson algérienne au point de les éclipser.

Récemment, au-delà ou en plus de leurs motivations pécuniaires, deux de ces vedettes ont fait l’objet d’un enfarinage machiavélique qui entre dans le processus de la vente par cannibalisme de l’Algérie, pays que L. Matoub était prêt à parcourir d’est en ouest pour le défendre, patrie pour laquelle il a appelé ses frères[iii] des montagnes du Djurdjura jusqu’au fin fond du désert parce qu’aucun argent ne pourra la racheter.

La vente de l’Algérie a été constitutionnalisée avec des artefacts du type : « Les modalités d’application de cet article sont fixés par une loi organique » présent dans la Loi fondamentale ou par de la non codification. C’est dans cette même Loi fondamentale que tamazight, un de ses combats, a été cédé par un marchandage politicien en vue de son enterrement pour une autre période de durée inconnue.

Au motif de défendre les droits d’auteurs, ceux qui évitent de défendre la vérité sur son assassinat, ces vedettes ont elles pensé au recouvrement de ses droits, lui dont les œuvres circulent comme du caviar y compris sur les plateformes électroniques.

Derrière l’argutie de jouissance des droits monétaires liés à la création, c’est la dépossession de tous les Algériens de leurs patrimoines à travers le droit de propriété des terres, des semences et du savoir ancestral imposé par les programme et politique d’ajustement structurels et les conditions d’accession à l’Organisation mondiale du commerce avec son instrument le plus connu que sont les Trade-Related Aspects of Intellectual Property Rights (TRIPs) ou Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle liés au commerce (ADPIC) qui entre dans sa phase exécutoire.

Les vedettes algériennes qui ont participé à la foire qui a eu lieu au siège de l’Office national des droits d’auteurs (ONDA) [iv] sont dans l’ignorance que l’ultralibéralisme impose le droit de propriété pour déposséder l’humanité d’un savoir, d’une richesse publique universelle et non commune ou privée.

Dans une mise en perspective, non comparative, de la production de L. Matoub, l’exemple serait Aaron Schwartz[v] avec son invention des licences libres et son opération de divulgation de connaissances académiques hébergées dans des serveurs universitaires aux États-Unis ; les deux ont connu des destins tragiques : A. Schwartz s’est suicidé et L. Matoub a été assassiné.

L’art (économique) de D. Ricardo ou de L. Matoub (poétique et musical) n’a ni valeur intrinsèque ni extrinsèque. Il n’a ni prix économique ni monétaire. Sa valeur est celle de son inexistence qui est égale à la valeur d’existence de ces hommes. Elle est égale à la somme horizontale que lui donne chaque consommateur, lecteur ou auditeur. C’est la valeur que lui donne le peuple et un peuple vit (aussi) par l’art.

L. Matoub, le révolutionnaire

Comme les révolutionnaires utopiques, à l’instar de son compatriote Hocine Ait Ahmed, L. Matoub a défendu tous les droits qu’ils soient civils, politiques, culturels, sociaux et économiques de tous les Algériens.  Il est l’égal du chilien Victor Jara à qui les doigts ont été coupés.

L. Matoub a révolutionné l’esprit des compositions musicales et poétiques en Algérie. Grâce à lui, des Burundais, Américains et des citoyens d’autres nationalités en le reprenant ont appris sa langue, le tamazight et en sont imprégnés de son art et de sa finalité.

Dans cette démarche impulsive[vi] des artistes, dans ses interventions sur les plateaux des chaines françaises, sa fougue équivaudrait aux réparties de Winston Churchill.

Si l’Algérie est connue pour son statut de pays sous-développé, elle l’est aussi pour sa révolution qui a évité l’extermination de son peuple et lui a permis la reconquête de ses richesses naturelles. Cette révolution a fait d’elle le pays exportateur d’une théorie de la libération qui est citée en exemple au(x) Canada et Québec[vii].

Le premier hymne national non officiel déclamé dans le patois kabyle a été Akker A Mmis Umazigh (Debout, fils d’Amazigh) d’Idir Ait Amrane. En 1956, un autre, Qassaman (Nous jurons, nous prêtons serment) a été commandé par Ramdane Abane l’un des penseurs de la révolution. Il a été confectionné uniquement dans la langue arabe par Zakaria Moufdi.

En 1996, L. Matoub a produit une œuvre, Aghourou (La Trahison) [viii] dans les mêmes rythmique et sonorité musicales que l’hymne officiel [ix]avec une poésie du désespoir et de la raison. Cette trahison se confirme en 2016 par la soumission inconditionnelle de l’Algérie.

L. Matoub est absent pour constater que la peur couve toujours sur les élites algériennes et les personnels politiques qui sont incapables à défaut de débattre d’un moins discuter d’un hymne national bilingue[x] comme vecteur d’union et de développement du pays.

Avant son exécution, L. Matoub, dans cette honnêteté morale qui caractérise les révolutionnaires, a avoué avoir commis des erreurs ; celle qui marque les esprits concerne la rencontre des deux leaders de la guerre de la libération nationale que sont Hocine Ait Ahmed, à l’époque en exil, et Ahmed Ben Bella à Londres en 1985. Dans une œuvre sévère, L. Matoub a commis une attaque en règle contre eux.

Écoutée par une Kabylie meurtrie qui le dit par des réactions politiques interdites autant que les autres régions qui, elles, souffraient en silence, cette œuvre populaire a eu des conséquences réelles sur le penser et l’imaginaire d’une frange de la population.

Le temps et les leçons qu’il porte ont fait que ces deux révolutionnaires se rencontrent, une rencontre qui a fait dire par paraphrase à L. Matoub que H. Ait Ahmed est un grand homme, une déclaration qui induit la sienne.

Trois autres éléments qui attestent de cet esprit nourri par les comportements révolutionnaires de ses compatriotes sont la mise en musique des poèmes rédigés par Mohamed Haroun[xi], un surdoué des sciences dures, qui a payé par une effroyable détention sa revendication de l’amazighité de l’Algérie, son hommage [xii] à Mohamed Boudiaf, assassiné[xiii] en direct à la télévision en juin 1992 et l’une de ses œuvres d’anthologie qu’est L’histoire d’un pays damné dans laquelle il égrène tous les drames que traverse l’Algérie.

L. Matoub, le sentimental

Ses sentiments pour les femmes et la terre d’Algérie sont paroxystiques. Si pour la patrie, ils étaient à la limite du national chauvinisme, pour les femmes, ils ont été incarné dans la forme d’anges, d’un Ange pouvant descendre du ciel ou s’extirper de sous terre.

S’il est peu commun d’entendre ou de lire l’amour comme une dimension fondamentale dans le bonheur global d’un peuple, l’art de L. Matoub le sublime. Il en a fait un vecteur principal de sa quête de liberté, d’être ce qu’il est et non ce qu’il doit être. Dans cette vue, il est l’Abraham Lincoln[xiv] algérien en faisant des libertés, une quasi religion.

Dans des œuvres comparables à celles de Ted Hugues, il a fait de l’amour son moyen d’expression de sa foi religieuse, lui le réputé militant pour la sécularisation et du recouvrement de pans bannis de l’histoire amazighe de l’Algérie.

Chez L. Matoub, l’amour est une variable qui mesure l’attachement autant pour la patrie que pour la femme. Il est la compassion pour tout être qui souffre. Ses deux anthologies sont Ddaw Uzekka Thighriw (De sous la tombe, mon cri ou Beyond the Grave) et Avahri El Hif (Vent de la déchéance, The Loveless Wind).

Comme tous les démiurges, L. Matoub est la négation même du hasard. Il est le véhicule du bonheur national brut, celui des amours pures et violentes qui l’ont emporté, qu’il a emportées.

Lounès Matoub est un g’ma, frère dans la langue française, quand il devient le fils de Toukfa. Il est le frère de tous.

Cherif Aissat

 



[i] David Ricardo (1772, 1823) est un économiste anglais. Il est le théoricien des avantages comparatifs qui ont mis fin à l’hégémonie de la théorie des avantages absolus d’Adam Smith. Il est aussi le théoricien du salaire, du profit et de la rente. En plus de l’aspect révolutionnaire de cette théorie, c’est la terre comme ressource non reproductible et non transférable qui est le lien avec Lounès Matoub et son attachement à la sienne. Le rédacteur de ce texte s’oppose à l’approche différentielle accolée à D. Ricardo, il soutient que c’est une approche récurrentielle ou intuitive qui était à la base. Cette intuition est dans l’ouïe et le don de Lounès Matoub dans la production de ses musiques.

[ii] L’une des maisons de D. Ricardo est la résidence d’un membre de la famille royale anglaise.

[iii] À écouter en français dans les dernières minutes de cette œuvre : https://www.youtube.com/watch?v=cavB_6VV6IY

[iv] Selon les données les plus récentes les plus récentes de l’ONDA et qui sont pour 2011, les produits réalisés au titre de l’exercice 2011 s’élèvent à 1.546.944 KDA qui se répartissent en : 1.510.164 KDA de produits de la perception des droits au niveau national soit 98% du chiffre d’affaires global. http://www.onda.dz/Rapport-2011.asp. (Consulté le 09 juin 2016).

[v]Documentaire sur Aaron Schwartz. https://www.youtube.com/watch?v=f2tCHwAkv-Q

[vi] Lounès Matoub dans l’une de ses interventions sur une chaine de télévision française. https://www.youtube.com/watch?v=8AiZIa-7q9w

[vii] Intervention en juin 2016 du député Mario Beaulieu, député fédéral du Bloc Québécois.  https://www.youtube.com/watch?v=-QealDqEZo8

[viii] Version traduite de cette œuvre Aghourou (La Trahison). https://www.youtube.com/watch?v=3jENWO2OLmc

[ix] L’hymne national officiel algérien : https://www.youtube.com/watch?v=CDt9VNSOOQA

[x] Aissat, Cherif. Initiative pour un hymne national bilingue. Appel à un challenge, à un défi. http://ksari.com/index.php/nouvelles/n-point-de-vue/3479-initiative-pour-un-hymne-national-bilingue-appel-a-un-challenge-a-un-defi

[xi] Mohamed Haroun (1949, 1996) est un militant amazighe et de l’Organisation des forces berbères. En compagnie d’autres, ils ont déposé des pétards qualifiés de bombes dans des institutions algériennes.

[xii] Lounès Matoub dans un hommage à Mohamed Boudiaf, un des fondateurs du Front de libération nationale, initiateur de la guerre de libération. Installé à la tête du Haut comité d’État en janvier 1992. Il a été assassiné en juin 1991. https://www.youtube.com/watch?list=RD3jENWO2OLmc&v=shLQb-pKKno

[xiii] Assassinat de Mohamed Boudiaf. https://www.youtube.com/watch?v=hhi6C4xOgd0

[xiv] Lounès Matoub a repris les mots d’Abraham Lincoln : « As I would not be a slave, so I would not be a master. This expresses my idea of democracy.”  http://www.brainyquote.com/quotes/quotes/a/abrahamlin101394.html

De plus, Si Abraham Lincoln un homme politique a été assassiné dans un théâtre, un lieu dédié à l’art, Lounès Matoub, un homme de l’art a été assassiné parce qu’il a touché au politique.



Articles Par : Cherif Aissat

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