Algérie – Un nouveau premier novembre pour le XXIe siècle : Une nécessité

«Nous sommes des nains juchés sur les épaules de géants»

Bernard de Chartres

 

L’Algérie va célébrer le 60e anniversaire de la glorieuse Révolution du 1er Novembre 1954. On le sait. Avec un rituel de métronome, chaque année nous réchauffons péniblement une symbolique à laquelle les jeunes qui, sans être éduqués dans le culte de la patrie, ont, au fond d’eux-mêmes, le «feu sacré» qui attend de s’exprimer. «La révolution se fera même avec les singes de la Chiffa» disait l’architecte de la Révolution Mohamed Boudiaf. Avec toujours le même scénario et rituellement on présente une révolution qui, en son temps, avait marqué l’Histoire dans le mouvement de décolonisation du Tiers-Monde.

Souvenons-nous de l’Appel du 1er Novembre: «A vous qui êtes appelés à nous juger, notre souci en diffusant la présente proclamation est de vous éclairer sur les raisons profondes qui nous ont poussés à agir en vous exposant notre programme, le sens de notre action, le bien-fondé de nos vues dont le but demeure l’indépendance nationale dans le cadre nord-africain. (…)Ce sont là, nous pensons, des raisons suffisantes qui font que notre mouvement de rénovation se présente sous l’étiquette de Front de libération nationale, se dégageant de tous les partis et mouvements purement algériens, de s’intégrer dans la lutte de libération sans aucune autre considération. But: l’indépendance nationale par: la restauration de l’Etat algérien souverain, démocratique et social dans le cadre des principes islamiques. Le respect de toutes les libertés fondamentales sans distinction de races et de confessions. (…) Algérien!(…) Ton devoir est de t’y associer pour sauver notre pays et lui rendre sa liberté; le Front de libération nationale est ton front, sa victoire est la tienne». (Appel du Premier Novembre)

Qui étaient ces révolutionnaires sans arme, sans moyens, sans troupes face à une colonisation qui paraissait durer mille ans? de simples citoyens autour de la trentaine d’âge, formés à la dure école de la vie et qui avaient une conviction gravée dans le marbre. Cette détermination non seulement sans faille vis-à-vis de l’adversaire commun était nécessaire et toutes les manoeuvres du pouvoir colonial pour atomiser le consensus ont échoué. A l’époque il n’y avait ni régionalisme, ni prosélytisme. Seule la cause de la lutte pour la liberté était sacrée. A bien des égards la Révolution a sa place dans le Panthéon des Révolutions du XXe siècle. Elle a surtout à ne pas se comparer aux autres. Elle a sa spécificité, ses douleurs et ses convulsions propres. Nous sommes assurément des nains par rapport à ces géants…

Il est indéniable que le peuple algérien a souffert pendant 132 ans, soit environ soit plus de 48 000 jours de malheur, de sang et de larmes que nous gardons encore dans notre ADN et qui expliquent dans une large mesure notre errance actuelle, l’Algérien de ce temps, jeune plein d’idéal, élevé à la dure ou même jeune lettré décida que c’en était trop. Dans un environnement avec une chape de plomb qui paraissait durer mille ans, une vingtaine de patriotes décidèrent du déclenchement de la révolution. Ce fut l’épopée que l’on racontera encore dans cent ans. En effet, au bout d’un processus de près de 2800 jours de bombardements, d’exécutions sommaires, de tueries sans nom, l’envahisseur fut chassé du pays. Le tribut payé fut lourd: des centaines de milliers d’Algériens morts plusieurs milliers de combattants morts, des milliers de villages brûlés et plus de deux millions d’Algériens déplacés avec des traumatismes que l’on gère encore de nos jours.

Devoir d’inventaire

A l’indépendance nous étions tout feu tout flamme et nous tirions notre légitimité internationale de l’aura de la glorieuse Révolution de Novembre. La flamme de la Révolution s’est refroidie en rites sans conviction pour donner l’illusion de la continuité. Comment peut -on parler de révolution et du «Mach’al du premier novembre» à transmettre aux jeunes si ces jeunes sont tenus soigneusement à l’écart du mouvement de la nation? La Révolution a été portée à bout de bras par des jeunes pour la plupart et qui ne dépassaient pas la trentaine! Les héros étaient des gens simples qui ont fait leur devoir sans rien attendre en échange et surtout qui n’ont pas fait des mânes de cette révolution encore un fonds de commerce au nom d’une «famille révolutionnaire» excluant de ce fait, les autres, les Algériens. A bien des égards, eu égard au combat titanesque de ces pionniers qui ont fait démarrer l’Algérie à l’indépendance, nous sommes des nains juchés sur des épaules de géants.

Qu’avons-nous fait après l’indépendance? Comment avons-nous traversé le temps avec un héritage aussi prestigieux et qu’avons-nous fait? A l’indépendance nous tirions notre légitimité de l’aura de la révolution et beaucoup de pays avaient pour nous de la sollicitude. Cependant, il faut bien reconnaître que le pays était exsangue, les rares cadres qui existaient étaient sur tous les fronts. Je ne suis pas là pour faire le procès mais beaucoup de choses auraient pu être mieux faites.

A titre d’exemple, nous avons un système éducatif avec une productivité faible qui laisse chaque année des centaines de milliers d’adolescents sur le bord de la route. Même ceux qui arrivent à l’université ont un niveau déplorable. Ces dernières vingt années ont été les pires qu’a connu le système éducatif et tous les auto-satisfécits n’y feront rien. Notre école est malade et notre université moribonde. La formation des Hommes attend d’être revue. Le deuxième aspect de ce parcours post-indépendance qui m’interpelle est la politique énergétique qui n’a toujours pas de visibilité malgré des expériences désastreuses et dont nous ne tirons pas toutes les leçons.

L’Algérie de 2014, qu’est-ce que c’est? Un pays qui se cherche? qui n’a pas divorcé avec ses démons du régionalisme?, du népotisme? qui peine à se déployer qui prend du retard? qui vit sur une rente immorale car elle n’est pas celle de l’effort, de la sueur de la créativité. C’est tout cela en même temps! Qu’est-ce qu’être indépendant quand on dépend de l’étranger pour notre nourriture, notre transport, notre habillement, notre vie quotidienne? Nous avons perdu notre indépendance graduellement depuis 52 ans en acceptant de devenir vulnérables, la rente ayant anesthésié toute mise en marche de nos neurones à telle enseigne que tout est importé, l’Algérie se contente de consommer ce qui ne nous appartient pas.

La devise néolibérale: «Ne pensez pas, dépensez!» a trouvé en Algérie une brillante application. Jusqu’à quand? De plus,l’Algérie peine toujours à se redéployer dans un environnement mondial de plus en plus hostile. La situation actuelle est profondément dangereuse. Le monde a profondément changé. Des alliances se nouent, d´autres se dénouent. Quoi qu´on dise, les regards sont braqués sur l´Algérie. Nous ne sommes pas à l´abri d´un tsunami, nos frontières sont de plus en plus vulnérables.

Le FLN a rempli sa mission historique

Avons-nous été fidèles au serment du Premier novembre? Cette question nous devons nous la poser chaque fois que nous devons contribuer à l’édification du pays par un autre djihad par ces temps incertains. Cependant il faut bien reconnaître que la génération post-indépendance reste peu informée de la réalité de cette Révolution, de la bravoure d’hommes et de femmes qui ont révolutionné le concept même du combat libérateur. Justement, nous sommes en 2014. Trois Algériens sur quatre sont nés après l’Indépendance. Ils n’ont qu’un lointain rapport avec l’Histoire de leur pays.

La jeunesse ne s’intéresse pas à son passé qu’on lui a très mal enseigné. Elle se retrouve soixante ans après déboussolée et déstabilisée par les questions identitaires. En son temps, le défunt président Mohamed Boudiaf affirmait que, justement, la «mission du FLN s’est achevée le 3 juillet 1962» au lendemain de l’indépendance de l’Algérie. En réalité, beaucoup pensent qu’il est grand temps de remettre ces trois lettres, symboles du patrimoine historique national, au Panthéon de l’Histoire.

Le FLN donne l’image d’une coquille vide qui s’est démonétisée au cours du temps. Le FLN historique, le FLN moteur de la Révolution de Novembre doit faire l’objet de toutes les attentions. Il ne devrait pas constituer un fonds de commerce pour tous les professionnels de la politique. Le FLN pour lequel tant de vaillants patriotes ont milité, souffert en définitive donné leur vie n’est pas le FLN actuel. Pourtant, le FLN doit être un marqueur indélébile de la dignité et de l’Histoire de l’Algérie, il doit être revendiqué par toutes les Algériennes et tous les Algériens sans exception et non pas uniquement la famille révolutionnaire qui s’intronise comme seul dépositaire de l’immense Révolution algérienne

Le moment est venu d’avoir des repères algériens. Par ailleurs, la voie de la réussite sociale actuelle n’est pas dans l’effort au quotidien d’un travail bien fait, d’une endurance sur plusieurs décennies pour mériter de la patrie, elle est dans la voie qui permet à un football d’engranger en un mois le gain d’un universitaire qui doit se réincarner plusieurs fois pour atteindre ces sommes. En cette veille du déclenchement de la Révolution du 1er novembre, l’Algérie de la IIe République-que nous appelons de nos voeux-, sera celle que l’on construira toutes tendances confondues. Une seule exigence: l’amour de l’Algérie. La vraie identité des Algériens est ce droit et ce devoir de «vivre ensemble que l’on soit de l’Est ou de l’Ouest, du Nord ou du Sud».

Pour un nouveau Premier Novembre de l’intelligence

Comment alors expliquer cette panne dans l’action qui fait que nous sommes encore à chercher un projet de société et à vivre au quotidien gaspillant une rente imméritée qui hypothèque lentement mais sûrement l’avenir de nos enfants, leur laissant ce faisant, une terre inculte, ouverte à tout vent où rien de «construit» par l’intelligence de l’homme ne lui donnera une singularité? Est-ce parce qu’elle n’abrite pas en son sein les compétences à même de la faire sortir de l’ornière? Est-ce qu’elle n’a pas les ressources qui lui permettraient de financer son développement? non! Mille fois non!!

Le premier Novembre de papa appartient à l’Histoire, par contre l’Esprit de Novembre qui a fait que des jeunes par leur sacrifice suprême ont arraché l’Algérie des griffes du pouvoir colonial doit être toujours en nous. Nous devons le réanimer chacun de nous en donnant l’exemple de l’abnégation. Pour cela seul le parler vrai, l’honnêteté et le travail permettront à nos aînés de se reposer enfin, sachant que le flambeau est définitivement entre de bonnes mains. Le monde a changé. Les chaos libyen et malien sont à nos portes. Les loups attendent la curée? Il faut savoir ployer pour ne pas rompre d’autant que nous n’avons pas d’anticorps de défense immunitaire n’ayant pas de relèves et les partis actuels seraient utiles en incitant les Algériens à travailler, s’instruire, bref être une nouvelle Révolution, celle de l’intelligence.

Inventons un nouveau Premier novembre mobilisateur qui puisse répondre aux défis du siècle concernant la sécurité alimentaire, le problème de l’eau, des changements climatiques et par-dessus tout le défi de l’énergie, tant il est vrai que cette rente n’est pas au service du développement, Il est plus que temps de freiner cette hémorragie et de comprendre que notre meilleur coffre fort est notre sous-sol. Notre système éducatif attend d’être reconstruit.

Cependant, par dessus tout il y a nécessité de remettre la morale et l’éthique à l »honneur. Nous devrions avoir une démarche éthique dans nos comportements. Quand des professeurs d’université sont poussés vers la sortie sans égard (retraite) il y a de mon point de vue un manquement à la dignité humaine. Ces gardiens du Temple du savoir, de la connaissance, du savoir-vivre devraient être remerciés pour leur contribution à ce que l’Algérie garde son rang, notamment pendant la décennie noire où ils sont restés dans le pays bravant le terrorisme au quotidien, qui en enseignant qui en opérant, qui en dirigeant.

Il n’est pas juste qu’ils partent comme des anonymes et qu’on leur signifie d’une façon froide et inhumaine leur mise à l’écart. S’il est vrai qu’il faut passer la main et permettre le renouvellement des générations qu’est-ce qui interdit aux Algériens de 2014 de se respecter mutuellement de se convaincre qu’il y a eu un djihad aussi important que celui de nos aînés, celui du combat pour l’édification du pays, de la formation des hommes depuis 52 ans. Pourquoi le ministre des Moudjahidine ne mettrait-il pas à l’honneur ces moudjahid du temps présent qui, pour certains, ont accompagné l’enfance de l’Algérie indépendante avec les armes de l’esprit. Ils sont assurément les dignes continuateurs de ceux de novembre qui rêvaient d’une Algérie indépendante, libre, fascinée par l’avenir où chacun serait respecté et jugé à l’aune de sa valeur ajoutée à l’édification toujours actuelle du pays et non à l’aune de sa capacité de nuisance ou à l’appartenance à une famille révolutionnaire en continuelle expansion comme l’Univers et malgré ce que nous dit Darwin de la finitude humaine.

Dans un monde de plus en plus dangereux à la fois sur le plan des éléments naturels – notre pays étant vulnérable aux changements climatiques- mais aussi sur le plan économique, financier et militaire que devons-nous faire? Il nous faut «moderniser» le 1er Novembre qui doit être décliné avec les outils du XXIe siècle. Pour faire court, la Révolution de Novembre devra être réappropriée par la jeunesse. Il nous faut chaque fois réinventer le sens de l’Indépendance nationale. Le nouveau langage n’est plus celui des armes mais celui de la technologie, du Web2.0, des nanotechnologies, du génome, de la lutte contre le réchauffement climatique et des nouvelles sources d’énergie du futur. Il faut tourner le dos à la rente, qui a fait de nous des paresseux et qui, à tort ou à raison, cristallise les rancoeurs de tous ces jeunes sans qui il n’y aurait pas d’Algérie.»

Une révolution de l’intelligence est certainement la solution. Seul le parler vrai permettra à l’Algérie de renouer avec ce nationalisme qui contrairement n’est pas passé de mode, c’est un puissant stimulant. On l’aura compris, un drapeau par foyer – comme font les Américains c’est bien mais ne peut en rien remplacer le drapeau algérien que l’on doit accrocher dans nos coeurs et nos tripes et prouver par nos actes au quotidien que l’on mérite réellement, cette merveilleuse Algérie.

La légitimité révolutionnaire a fait son temps et les chahids et les rares survivants nous les porterons toujours dans nos coeurs. Cependant, le moment est plus que venu pour la légitimité de la compétence, du neurone, celle capable de faire sortir l’Algérie des temps morts. Si on ne fait rien pour revitaliser le Premier Novembre avec cette symbolique, il disparaîtra alors que nous avons besoin plus que jamais d’un ciment fédérateur qui puisse assurer ce désir de vivre ensemble en traduisant le combat des aînés dans de nouveaux combats aussi difficiles et de loin plus complexes; le meilleur hommage que l’on pourrait rendre aux martyrs, c’est de mettre en place un système éducatif et une université performante. C’est cela le 1er Novembre du XXIe siècle. 

Professeur Chems Eddine Chitour

Ecole polytechnique Alger enp-edu.dz

Article de référence :

http://www.lexpressiondz.com/chroniques/analyses_du_professeur_ chitour/204836-une-necessite.html



Articles Par : Chems Eddine Chitour

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