Argentine-Fonds Vautours : Chronique d’un « faux » défaut annoncé

Deux jours pour trouver une solution ou ne pas en trouver. Les réunions se suivent alors que la tension s’accroit d’ici au 30 juillet. Date dite butoir pour trouver un accord entre la République Argentine et les fonds vautours, en l’occurrence Elliot, NML Capital, Aurelius… à la suite du surprenant jugement du juge new-yorkais Thomas Griesa qui ébranle la finance.

Celui-ci campe sur sa position même si elle met en péril l’industrie de la restructuration de dette souveraine, dont New-York est une place forte. La nomination d’un médiateur en la personne de Daniel Pollack (voir L’Argentine honore ses échéances, mais n’obtient pas le « Stay », 26 juin 2014) n’a rien changé car les fonds vautours, fort d’un soutien tacite du juge ne sont pas enclins à négocier quoi que ce soit.

Une question sémantique

Ils misent sur le fait que l’Argentine risque, aux yeux de la communauté financière et des agences de notation, d’être qualifiée en situation de défaut ou de cessation de paiement technique, au 30 juillet, car les créanciers de la dette n’auront pas touché leur argent ; même si cette terminologie est fausse, pour qui n’est pas au courant des subtilités du dossier, c’est forcément négatif. D’autres y voient surtout une situation inédite voire inique dans le monde de la finance.

Le 30 juillet, il faudra trouver un nouveau mot pour qualifier le fait qu’un débiteur a payé sa dette mais que quelqu’un bloque le paiement et ne laisse pas cet argent arriver sur le compte du créancier.

Depuis plus d’un mois, l’argent correspondant aux échéances de la dette a été versé par l’Argentine aux détenteurs de bons, mais il ne leur est pas parvenu puisque bloqué dans des comptes bancaires sur ordre du juge Griesa qui ainsi a outrepassé son pouvoir dans une décision frappée d’extraterritorialité.

Le juge Thomas Griesa a bloqué le paiement de leur dû aux détenteurs de bons. En soi, cela ne relève pas de la cessation de paiement, ni du défaut qu’on attribue à un pays qui ne paye pas sa dette. La dette a été payée. Si l’argent ne leur est pas parvenu, cela relève des banques en charge du paiement ; en revanche l’Argentine n’a pas encore payé les fonds vautours dans le cadre de la sentence émise par Griesa de payer les fonds vautour à 100% de la valeur des titres et en cash soit 1.3 milliard de dollars – puisqu’ils ont refusé d’entrer dans l’accord de restructuration qui couvre 92.7 % des créanciers.

Le spectre du RUFO

Mais le pays n’est pas pour autant en cessation de paiement ou en défaut de paiement, il n’a pas satisfait la sentence du juge pour les seuls fonds vautours, faute d’avoir trouvé un mode de paiement qui convient, à savoir qui ne remette pas en cause l’ensemble de la restructuration de la dette souveraine élaborée dans les accords de 2005 et 2010.

Pourquoi le gouvernement argentin ne paye pas les fonds vautours ? Ce n’est pas pour les 1.3 milliard de dollars dus, c’est parce que le jugement de Griesa ouvre une boite de Pandore. En octroyant aux fonds vautours de telles conditions de paiement et immédiates, le juge brandit une épée de Damoclès sur l’Argentine. La clause de RUFO (Rights Upon Future Offers) concernant les accords de restructuration de la dette court jusqu’au 31 décembre. Donc les détenteurs de titres dans le cadre des accords de 2005 et 2010, en cas de paiement des fonds vautours, pourraient être susceptibles de demander le même traitement.

C’est pourquoi l’Argentine a demandé la mise en place d’une clause de « stay » au juge afin de payer l’échéance due au 92.7% des créanciers et de trouver un moyen de paiement avec les fonds vautours, qui ne remette pas en cause toute restructuration de dette souveraine, ce qui créerait un précédent historique.

We are in the soup

Dans son article dans le New-York Times du 24 juillet , «  The Muddled Case of Argentine Bonds  », Floyd Norris, n’en revient pas. Devant la confusion générée par le jugement de Griesa sur la place financière, mais surtout devant confusion qui semble aussi résider dans son esprit, comme le montre les comptes rendus de la dernière audience du mardi 22 juillet. « Il n’a pas su prendre en compte la complexité de la situation… il n’a pas compris les transactions sur les bons, à propos desquelles il a pris des décisions depuis des années ». Au fil de l’audience, sa méconnaissance du mécanisme de restructurations, des différentes juridictions, banques et monnaies (dollar, peso, euros, yen…) dans les quelles les échanges de restructuration ont été établis, ont sauté aux yeux parties présentes.

La moitié de la dette dehors ou dedans

Certains titres sont sous loi étasunienne, d’autres argentine, britannique ou encore japonaise ; le juge Griesa a décidé que les banques ne devaient pas procéder ou aider au paiement des échéances des titres – et comme si cela couvrait tous les titres. Face aux banques lui demandant de préciser sa position, il a fait des allers- retours. Ce qui explique qu’aujourd’hui le « we are in the soup » pour reprendre l’expression même du juge Griesa, lors de la dernière audience, qui semblait dépassé par ses propres actes !

Ainsi concernant les titres en peso des créanciers argentins, la Citibank qui a demandé une clarification au juge, s’est entendue dire dans un premier temps qu’elle pouvait payer. Mais à l’audience de mardi 22 juillet les règles ont encore changé, quand le juge a avoué qu’il n’avait pas réalisé que ces bons –un quart de la dette- entraient dans la restructuration comme les autres titres. Euroclear, pourtant situé à Bruxelles, avait aussi demandé au juge Griesa de clarifier sa sentence, pour pouvoir payer les détenteurs européens de titres, or rien juridiquement n’empêchait Euroclear de le faire sauf la crainte de se mettre à dos la justice US.

En fait, selon l’interprétation faite par le juge, la moitié de la dette passe sous sa juridiction ou en sort. Quand va-t-il le décider ? Que va-t-il faire concernant les titres sous juridiction britannique ou japonaise ? A deux jours de l’échéance nul ne le sait !

Ni dans son jugement, ni dans les audiences qui ont suivi, le juge Griesa n’a voulu retenir les conditions de garanties demandées par l’Argentine permettant de protéger la restructuration de sa dette souveraine, et les accords existants, à savoir le « stay » et ne pas risquer de rouvrir le RUFO, qui pourrait l’amener à payer 15 milliards de dollars voire 500 milliards si tous les créanciers la faisaient jouer. Les fonds vautours estiment que l’Argentine exagère le risque encouru. Peut être mais l’interprétation de la clause de « pari passu » faite par Griesa était tout aussi improbable et a bien eu lieu excédant sa juridiction jusqu’aux banques européennes.

Quelle alternative

L’alternative ? Une fois le « défaut technique » avéré le 30 juillet, même si le terme est impropre, étudier d’autres possibilités de recouvrement pour les détenteurs de titres, dans un nouvel échange de dette, sous législation argentine – il suffit que 85% des détenteurs y soient prêts- à moins que des pays tiers amis se proposent d’organiser un tel échange, au sein de l’Unasur ou des Brics, sans avoir peur d’affronter quelque sanctions américaines. Mais tout en sachant que quand l’Argentine avait envisagé cette solution après la décision de la Cour Suprême de ne pas réviser la sentence du juge Griesa, ce dernier avait mis en garde tout établissement financier qui s’y prêterait.
Mais qu’en sera-t-il la semaine prochaine. Quelle sera l’attitude des détenteurs de titres qui n’ont pu percevoir leur argent, resté bloqué sur les comptes des banques, notamment de la Bank of New-York ? Contre qui vont–ils se retourner ?

Sur son blog, Anna Gelpern, professeur de droit international à l’université de Georgetown, souligne bien les absences et insuffisances du droit international en matière de dette souveraine, qui ont permis d’arriver à une situation où on ne sait de quelle juridiction relève la moitié de la dette à quelques jours de la date butoir, et de souligner qu’à aucune étape du long processus du dossier devant la justice US cette question n’ait été tranchée. Cela fait peur ! « Ce n’est pas du mauvais théâtre, mais cela ne donne guère confiance dans le système juridique américain » conclut de son coté Floyd Norris.

Estelle Leroy-Debiasi

El Correo. Paris, le 28 juillet 2014.

Contrat Creative Commons
Cette création par http://www.elcorreo.eu.org est mise à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Paternité – Pas d’Utilisation Commerciale – Pas de Modification 3.0 Unported. Basée sur une œuvre de www.elcorreo.eu.org.



Articles Par : Estelle Leroy-Debiasi

Avis de non-responsabilité : Les opinions exprimées dans cet article n'engagent que le ou les auteurs. Le Centre de recherche sur la mondialisation se dégage de toute responsabilité concernant le contenu de cet article et ne sera pas tenu responsable pour des erreurs ou informations incorrectes ou inexactes.

Le Centre de recherche sur la mondialisation (CRM) accorde la permission de reproduire la version intégrale ou des extraits d'articles du site Mondialisation.ca sur des sites de médias alternatifs. La source de l'article, l'adresse url ainsi qu'un hyperlien vers l'article original du CRM doivent être indiqués. Une note de droit d'auteur (copyright) doit également être indiquée.

Pour publier des articles de Mondialisation.ca en format papier ou autre, y compris les sites Internet commerciaux, contactez: [email protected]

Mondialisation.ca contient du matériel protégé par le droit d'auteur, dont le détenteur n'a pas toujours autorisé l’utilisation. Nous mettons ce matériel à la disposition de nos lecteurs en vertu du principe "d'utilisation équitable", dans le but d'améliorer la compréhension des enjeux politiques, économiques et sociaux. Tout le matériel mis en ligne sur ce site est à but non lucratif. Il est mis à la disposition de tous ceux qui s'y intéressent dans le but de faire de la recherche ainsi qu'à des fins éducatives. Si vous désirez utiliser du matériel protégé par le droit d'auteur pour des raisons autres que "l'utilisation équitable", vous devez demander la permission au détenteur du droit d'auteur.

Contact média: [email protected]