Assemblée nationale congolaise : de plus en plus des députés frustrés !

La session ordinaire d’avril de l’Assemblée nationale congolaise appartient désormais au passé. Au cours de cette session, des questions orales ont été posées aux membres de l’exécutif congolais. Elles ont soulevé des débats passionnés et passionnants. Mais la plupart des recommandations formulées à l’issue de ces débats n’ont pas connu un début d’application. Elles sont demeurées lettres mortes. Face à cette situation, de plus en plus des députés congolais sont frustrés. Cherchant à trouver une explication à cet état des choses, plusieurs d’entre nous estiment qu’elle trahit les limites de la démocratie représentative dans un contexte où des parlements et des exécutifs de plusieurs pays au sud et au nord de la planète des caisses de résonnance des directives des Institutions financières internationales et/ou du capitalisme financier. «Les petites mains» du capitalisme financier ont pris en otage des populations de plusieurs pays au profit de quelques patrons des entreprises multinationales en transformant la démocratie en un simple paravent des intérêts privés. Et le capitalisme, par avilissement des cœurs et des esprits et par accumulation-dépossession, démultiplie «les damnés de la terre» pour la plus grande jouissance des «cosmocrates» n’ayant pas de compte à rendre à nos populations.

Cette situation inextricable est souvent présentée comme étant la voie obligée (à emprunter) pour l’émancipation des peuples par «les petites mains médiatiques» à la solde de la pensée dominante. Un mensonge !

UNE NOUVELLE REFERENCE INCONTOURNABLE

Esclaves de cette pensée dominante, les réseaux de prédation gérant nos pays au sud de la planète prennent «le petit reste» de résistants en otage en les piégeant avec de l’or et de l’argent et/ou en les confinant dans des institutions dites républicaines mais inefficaces.

La frustration ressentie par «le petit reste» opérant au sein des institutions congolaises issues de la mascarade électorale de 2006 pourrait être un symptôme des limites que lui impose «une démocratie mensongère». C’est-à-dire un mode de gouvernement apparemment semblable à la démocratie mains dont le cœur et l’esprit sont «mangés» par le capitalisme prédateur. Que faire? La solution la plus facile à cette question est la dénonciation permanente de cette «démocrature». Elle est insuffisante. Une autre solution serait de se tourner vers des modèles qui tentent de créer le bonheur collectif autrement pour les étudier et les approfondir afin de tenter leur mise en pratique, sans renoncer à notre génie propre.

A ce point nommé, certains pays de l’Amérique latine deviennent de plus en plus une référence incontournable. Ils ont l’avantage d’avoir fondé la gestion de leur pouvoir politique sur la mobilisation des masses populaires. «Nous ne pouvons comprendre la politique de ces pays que si nous prenons en compte les très importantes mobilisations populaires qui jalonnent leur histoire récente. En Equateur, quatre présidents de droite ont été renvoyés à la maison entre 1997 et 2005 grâce à de grandes mobilisations de la population. En Bolivie, il y a eu une bataille importante contre la privatisation de l’eau en avril 2000 et à la fin de l’année 2004. Les mobilisations autour du gaz en octobre 2003 ont fait tomber et s’enfuir (vers les Etats-Unis) le président Gonzalo Sanchez de Lozada. Le Venezuela a connu dès 1989 d’importantes mobilisations qui inauguraient les grandes luttes sociales contre le Fonds monétaire international qui se sont développées à l’échelle planétaire dans les années 1990. Mais il y a encore eu plus spectaculaire avec les énormes mobilisations populaires du 12 avril 2002, manifestations spontanées de protestation contre le coup d’Etat pour renverser Hugo Chavez. Ces mobilisations ont eu directement pour effet le retour d’Hugo Chavez au palais présidentiel Miraflores le 13 avril 2002.» (E. Toussaint, Traits caractéristiques des expériences en cours au Venezuela, en Equateur et en Bolivie, dans www.cadtm.org .)

Fort de son expérience d’homme de terrain, Eric Toussaint estime que «les grandes mobilisations populaires sont un facteur décisif dans l’existence et la survie des gouvernements au Venezuela, en Bolivie et en Equateur.» (Ibidem. Nous soulignons)

Nos députés frustrés sont attendus sur ce terrain de grandes mobilisations populaires. Il est important qu’ils mettent régulièrement (et sur le temps) leurs vacances à profit pour partager avec leurs bases, non seulement leurs frustrations, mais aussi les idéaux pour lesquels ils se battent. Mener à bien cette lutte exige des députés frustrés une renaissance à un autre type de dirigeant, semblable au nouveau dirigeant dont parlent Clovis Boff et Jorge Pixley.

Pour eux, «le nouveau dirigeant est vraiment au service du peuple. Il est en position subalterne en tant qu’il articule le mouvement qui le précède et le dépasse. Il n’est pas «la tête» qui dicte au groupe les objectifs et les ordres. C’est pourquoi il est choisi par la base et pas simplement imposé ou coopté par quelques-uns. Il prend la direction à titre transitoire, par rotation, et non de façon permanente. On évite ainsi la sclérose du pouvoir et ses abus. Il exerce le pouvoir collégialement, c’est-à-dire en partageant les responsabilités avec d’autres pour éviter la concentration du pouvoir.» (C. Boff et J. Pixley, Les pauvres: choix prioritaire, Paris, Cerf, 1990, p. 199)

Ce type de «nouveau dirigeant» est soumis à la présentation des bilans périodiques et publics de la gestion, à la consultation directe de la base pour les affaires importantes et considère cette base comme «un acteur historique à éveiller, à rassembler et à mobiliser» (Ibidem).

La renaissance à ce type de «nouveau dirigeant» nécessite une remise en question profonde de la conception du chef de l’ère mobutienne chez nous. Ici, il faut presque une révolution copernicienne! Que «les préso» acceptent si pas le choix par la base, mais la révocabilité et le partage! S’ils réussissent au niveau de leurs bases respectives à faire fonctionner (à court, moyen et long terme) les principes de service d’autrui, de bilans périodiques et publics de la gestion, de la révocabilité et de la collégialité, cela serait déjà un grand pas…

ETUDIER LE MODELE LATINO-AMERICAIN

La frustration éprouvée par nos députés serait aussi due à la limite de leurs marges de manœuvre à l’endroit «des élus» et des autres membres de l’exécutif foulant au pied les droits culturels, économiques et sociaux de la majorité de nos populations. Le mandat politique est souvent évoqué comme subterfuge pour échapper à toute sanction. Il ne serait pas mal de s’inspirer un jour de l’exemple vénézuélien en pensant à la révision de la Constitution. «En 1999, durant le premier mandat de Hugo Chavez, une nouvelle Constitution démocratique a été adoptée par voie référendaire (elle avait été rédigée par une Assemblée constituante). Cette Constitution, toujours en vigueur aujourd’hui (…) a instauré un mécanisme démocratique qui permet de révoquer à mi-mandat des élus à tous les niveaux (y compris le président de la République).» (E. Toussaint, Art. cité) Il y a des référendums populaires prévus pour cela.

Un point devrait davantage inspirer notre devenir politique à partir du modèle latino-américain: il s’agit du renforcement du secteur public et du contrôle des ressources naturelles.

Chez nous, l’ouverture au libéralisme sauvage conduit à la privatisation tous azimuts. Nous effectuons une marche à rebours par rapport aux héritiers de la révolution bolivarienne.

Au Venezuela, en Bolivie et en Equateur, l’heure est à la nationalisation et au contrôle étatique. «Au Venezuela, l’Etat a pris le contrôle de la grande compagnie pétrolière (PDVSA) qui, bien que publique, favorisait les intérêts privés et déclarait la plupart de ses revenus aux Etats-Unis (…). L’année dernière, l’Etat vénézuélien a aussi pu prendre en main le contrôle d’un important champ de pétrole, la falla del orinoco. Au Venezuela, les deux tiers du pétrole sont produits par l’Etat et un tiers par les grandes compagnies pétrolières. Mais aujourd’hui, le pétrole est exploité dans le cadre de nouveaux contrats négociés, où l’Etat décroche plus de revenus que précédemment. Il faut y ajouter d’autres nationalisations : la production et la distribution électrique, les télécoms (CANTV), la sidérurgie (SID OR qui compte 15.000 travailleurs), le secteur du ciment, des entreprises de production alimentaire. Sans oublier la réforme agraire qui vise à donner la terre à ceux qui la travaillent.» (Ibidem).

Cette politique est partagée par la Bolivie. Là-bas, «l’Etat est bien propriétaire des richesses naturelles, mais ce sont les grandes multinationales qui exploitent le pétrole et le gaz. D’où l’importance stratégique des accords entre le Venezuela et la Bolivie qui permettront à la Bolivie de renforcer une compagnie pétrolière publique pour exploiter et raffiner elle-même le pétrole et le gaz.» (Ibidem) La coopération entre ces trois pays les rend complémentaires et forts face au capitalisme prédateur. Un exemple. «La Bolivie n’a pas de raffinerie, l’Equateur n’en a pas assez. La Bolivie et l’Equateur exportent du pétrole et importent du combustible et d’autres produits raffinés. Ici aussi, l’importance d’accords stratégiques entre le Venezuela, l’Equateur et la Bolivie pour renforcer l’autonomie de ces deux derniers pays.» (Ibidem)

Cette façon de faire attire toutes les foudres des multinationales U.S. sur ces trois pays. Hugo Chavez a subi un coup d’Etat. La guerre U.S. pour la balkanisation de la Bolivie est en marche. L’Equateur a été attaqué par un pays voisin fidèle à Washington, etc. Malgré cela, ce modèle tourné vers les masses populaires et porté par elles résiste à la machine U.S. Son indépendance vis-à-vis des IFI devrait renforcer davantage la cohésion entre les membres de la (future) Banque du Sud.

CONCLUSION

Notre détour par l’Amérique latine nous permet d’émettre certaines hypothèses, eu égard à la frustration du «petit reste» de députés au sein de notre assemblée nationale.

Ils sentent, dans leur chair, dans leurs cœurs et leurs esprits, que la mascarade électorale de 2006 n’a pas permis un début de démocratie comme «espace d’expression des libertés et des volontés des peuples». Dans son principe, la démocratie est prise en otage par «les petites mains» du capitalisme prédateur. Le modèle que nous sert l’Occident se révèle inefficace et mensonger; dans sa forme. Il est une mystification linguistique incapacitant les résistants à la pensée unique. Donc, il devient urgent de chercher ailleurs.

Tout en respectant «le principe démocratique» du débat et de la délibération, il faut aller chercher dans le modèle bolivarien (et dans nos traditions de la gestion du pouvoir) le secret de la souveraineté, de l’autodétermination et du bonheur collectif partagé.

Il faut même apprendre, comme le Venezuela, à se positionner sur un axe géostratégique capable de protéger de manœuvres de déstabilisation et de balkanisation entretenues par les U.S.A. et leurs alliés. C’est peut-être dans cette recherche permanente de nouvelles voies de solidarité et de liberté que se joue le devenir collectif au Congo.

Espérons que nos députés frustrés comprendront cela et mettront leurs vacances à profit pour aller apprendre à partir et avec leurs bases. Mais aussi à partir et avec les initiateurs du socialisme du XXIème siècle. S’ils ne peuvent pas effectuer des voyages d’étude en Amérique Latine, qu’ils consacrent leur temps de loisir à lire. Trois sites Internet peuvent leur fournir beaucoup d’informations utiles sur l’invention permanente du modèle latino-américain et sur l’échec du modèle occidental: Stopusa., CADTM et Michelcollon.

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Articles Par : J.-P. Mbelu

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