Condor, auriez-vous dit Condor, cher pape François

Un nouveau pape dans la droite ligne réactionnaire de l’Eglise catholique

Passé la stupéfaction délicieuse qui succéda à l’habemus papam de ce pape argentin – le silence interloqué des commentateurs français était presque hilarant -, il fallut bien s’arrêter à ce saisissant hasard historique : le pape François, ex cardinal Jorge Mario Bergoglio de Buenos Aires, fut élu le 12 mars 2013, quelques heures après la condamnation à la perpétuité du dernier militaire à avoir présidé l’Argentine (1982-1983), Reynaldo Bignone, pour crimes contre l’humanité commis dans un centre clandestin de détention d’opposants politiques. Sept femmes enceintes et leurs maris avaient disparu après avoir été détenus au Camp de Mai, près de Buenos Aires. Le Camp de Mai fut l’un des principaux centres d’emprisonnement et de torture pendant la dictature militaire qui sévit sous la houlette du général Videla, de 1976-1983.

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Reynaldo Bignone est à peine plus âgé que le pape François. Le vieux général comparaît dans ce nouveau procès (il a déjà été condamné plusieurs fois pour des actes similaires) en compagnie d’une vingtaine de « camarades » aussi sinistres que lui, parmi lesquels l’ex-président Jorge Videla, commanditaire des horreurs ou encore le général Luciano Menendez, 85 ans, surnommé « la hyène » parce qu’il riait pendant les séances de torture… Tous comparaissent pour leur participation au plan Condor, une multinationale fasciste et meurtrière dont on a bien tort de penser qu’elle ne sévissait qu’en Amérique latine, avec la bénédiction américaine.

Le Condor est l’un des plus beaux rapaces des Andes. Les Argentins le respectent, tout en le pourchassant dans les pampas où il fait des carnages parmi les troupeaux. L’opération Condor a pris racine au Chili, après l’assassinat du président Allende, avant de se répandre chez les dictatures voisines, en Argentine, au Brésil, en Uruguay, en Bolivie, au Pérou ou au Paraguay. Il ne s’agissait pas seulement d’échanger des renseignements pour poursuivre les communistes ou autres résistants aux dictatures. Il s’agissait de comparer les méthodes de torture afin de les rendre plus efficaces. Les militaires d’Amérique latine firent appel à des conseillers, les meilleurs alors sur le marché : dix ans après la fin de la guerre d’Algérie, les anciens mercenaires de l’OAS ou des commandos Delta, membres des services secrets français ou de la garde rapprochée de Valéry Giscard d’Estaing, champions de la « guerre contre révolutionnaire » avaient acquis une réputation hors pair en ce domaine. Ils enseignèrent aux apprentis tortureurs, avec la bénédiction de l’Etat français, les rudiments de la Gégéne (électrocutions), les crevettes Bigard (militants jetés d’hélicoptères) et autres corvées de bois (exécutions sommaires collectives).

Les disciples argentins (1976 – 1983) se distinguèrent par leur excellence : 15 000 fusillés, 10 000 prisonniers politiques, plus de 500 bébés confisqués à leurs parents « mal pensants » pour être donnés à des familles proches du pouvoir en mal d’enfants, plus de 30 000 disparus.

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En 1976, Jorge Mario Bergoglio n’était encore pas archevêque, et encore moins pape, mais déjà un ecclésiastique puissant : il présidait alors aux destinées de la compagnie de Jésus, les jésuites d’Argentine. Il fit tout pour les maintenir loin des prêtres qui prônaient la théologie de la Libération pour s’élever contre les dictateurs et leurs soutiens de la CIA.

Horacio Verbitsky, dont la voix d’éditorialiste porte très loin en Argentine, fait part dans Pagina 12, (quotidien argentin de gauche qui titrait le 15 mars 2013 « Pagadios » – « Dieu te le rendra » en quelque sorte …), de la colère qui l’anime au lendemain de l’avènement du pape François. Il publie tous les messages outrés qu’il a reçus en une nuit, en particulier ceux de parents de prêtres disparus pendant la dictature, qui avaient sollicité Jorge Mario Bergoglio pour obtenir alaires son aide. En vain…

Les procès des Condor se poursuivent, et les lourdes peines tombent les unes après les autres. L’Argentine est le seul pays hanté par ce passé à avoir refusé de passer l’éponge par une loi d’amnistie. Au lendemain de l’élection du pape François, le jeudi 14 mars 2013, les co accusés de Bignone et Videla sont entrés dans le tribunal, arborant des cocardes du Vatican et portant des insignes du Saint Siège au revers de leur veste.

 

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L’hommage des militaires de la dictature au pape François, lors de leur procès

 

Et en petit cadeau bien senti, je vous offre le dessin de Kroll pour le Soir. Le quotidien francophone de Belgique, qui lui aussi, sous la plume de son éditorialiste Jurek Kuczkiewicz s’interroge : « On n’ose croire que les cardinaux ont élu ce pape sans avoir la certitude qu’il est blanc de tout soupçon de collaboration avec une dictature militaire. Mais on ne peut oublier que la hiérarchie de l’Eglise a montré, ces dernières années encore avec les scandales pédophiles, combien elle sait occulter ses propres turpitudes. »

Sylvie Braibant

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Articles Par : Sylvie Braibant

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