Blackwater, la torture et l’impérialisme américain

Mercredi 22 octobre, un jury composé de huit femmes et quatre hommes du tribunal fédéral de Washington DC a condamné quatre mercenaires de la société de sécurité privée américaine Blackwater pour le rôle qu’ils ont joué dans le massacre de la Place Nissour à Bagdad en 2007. Les jurés ont reconnu l’un des mercenaires coupable de meurtre et les trois autres coupables d’homicide volontaire pour avoir tiré des centaines de coups de feu et lancé des grenades sur des civils irakiens lors d’une opération brutale qui fit 17 morts et 20 blessés.

Le jugement, prononcé sept ans après les crimes, est le signe d’une évolution positive. La décision du jury – qui n’a pas répondu aux attentes des médias et de l’establishment politique – a sans aucun doute exprimé la révulsion des jurés face aux actes barbares qui ont été décrits en détail durant l’audience. Le jury écouta les dépositions de dizaines de témoins oculaires et de victimes irakiens. Il put se rendre compte de la brutale réalité d’une guerre qui fut largement cachée au public américain.

Ce verdict est le reflet d’une opposition populaire grandissante aux Etats-Unis aux crimes commis par l’armée américaine et les légions de mercenaires recrutés pour venir renforcer ses opérations dans le monde entier.

L’affirmation des responsables du ministère de la Justice du gouvernement Obama cependant, comme quoi le verdict représentait, aux dires de l’un des procureurs généraux, « une affirmation claire de l’engagement du peuple américain vis-à-vis de l’Etat de droit, » procède du blanchiment politique et de l’occultation.

En fait, les agissements des employés de Blackwater – Nicholas Slatten (reconnu coupable de meurtre au premier degré), Evan Liberty, Paul Slough et Dustin Heard (déclarés coupables d’homicide volontaire et d’avoir utilisé un fusil-mitrailleur pour commettre des crimes violents) – sont le produit d’un crime plus grave et plus fondamental: la guerre d’agression menée contre l’Irak et l’éruption continue de violence impérialiste dont cette guerre faisait partie.

D’innombrables atrocités ont été commises dans le cadre de ces guerres. Si certaines sont apparues au grand jour, d’autres bien plus nombreuses demeurent cachées: la destruction systématique de la ville de Falludja, entreprise en 2004 par les Marines en réponse au meurtre de plusieurs mercenaires de Blackwater et qui a tué bien plus d’un millier d’Irakiens; le massacre d’Haditha, en novembre 2005, dans lequel un groupe de Marines américains ont tué vingt quatre Irakiens non armés et pour lequel seul un soldat fut condamné pour manquement à son devoir; l’incinération d’une école religieuse au Pakistan par des drones de la CIA en octobre 2006, tuant au moins 68 enfants; le massacre de quarante sept personnes célébrant un mariage dans la province de Nangahar, en Afghanistan en juillet 2008 et une tuerie, quatre mois plus tard seulement, dans la province de Kandahar qui tua soixante trois personnes…

Les auteurs de ces crimes sont toujours en liberté. Ils comprennent de hauts responsables du gouvernement Bush (le président lui-même, l’ancien vice-président Dick Cheney, l’ancien secrétaire à la Défense Donald Rumsfeld, l’ancien secrétaire d’Etat Colin Powell et de nombreux autres) qui ont planifié et mené une guerre sur la base de mensonges délibérés. Ils comprennent de haut gradés de l’armée et de hauts responsables de la CIA qui ont mené une guerre de terreur contre la population d’Irak et d’Afghanistan en recourant à la torture et au meurtre de masse comme instruments politiques. Ils comprennent les dirigeants des partis Démocrate et Républicain qui ont approuvé des guerres qui ont causé la mort de centaines de milliers de gens. Et ils comprennent des responsables de haut rang dans les médias de masse qui ont œuvré pour vendre ces guerres au peuple américain.

Depuis son arrivée au pouvoir en 2009, la principale préoccupation du gouvernement Obama fut d’empêcher qu’aucune responsabilité ne puisse être attribuée à l’armée et aux services de renseignement pour les crimes commis – et qui continuent d’être commis. Le président démocrate et ses responsables gouvernementaux figurent parmi les nombreux co-conspirateurs non inculpés.

Il est instructif de comparer la décision du jury à propos du massacre de Blackwater à une audience qui eut lieu deux jours plus tôt devant un autre juge d’un tribunal fédéral de la ville de New York. Cette affaire concernait les tentatives répétées du gouvernement Obama, sur une période de six ans, d’empêcher la diffusion de 2.100 photos d’actes de torture commis par l’armée américaine tant en Irak qu’en Afghanistan. La Maison Blanche s’est efforcée de garder en masse les photos secrètes pour des motifs de « sécurité nationale », une justification qu’elle a aussi utilisée pour masquer l’espionnage de la NSA, l’alimentation forcée par sonde des détenus à Guantanamo Bay et d’autres crimes. Le juge fédéral Alvin Hellerstein a fixé au gouvernement la date butoir du 12 décembre pour présenter les raisons spécifiques de ne rendre publique aucune de ces photos.

Selon un article paru le 23 octobre sur le WSWS (Voir: US judge sets deadline in lawsuit over Iraq, Afghanistan torture photos , en anglais), les photos des tortures « sont censées être plus dérangeantes que celles diffusées en 2004 montrant des sévices infligés aux prisonniers à Abou Ghraib… On y voit des soldats pointant des fusils sur les têtes des détenus couverts d’une cagoule et menottés, des soldats frappant des détenus avec leurs poings ou avec des objets divers, des soldats posant avec des groupes de prisonniers menottés et immobilisés, des soldats posant à côté de cadavres et, dans un cas au moins, une femme soldat pointant un manche à balai sur l’anus d’un détenu cagoulé. »

Les manoeuvres du gouvernement Obama dans les tribunaux ont lieu alors que la Maison Blanche poursuit ses tentatives d’empêcher la diffusion d’une enquête du Sénat américain sur les méthodes de torture « médiévales » (voir: CIA employed “medieval” torture that brought prisoners “to the point of death” , en anglais) pratiquées par la CIA, entre autres le « maintien [des détenus] sous l’eau au point d’en mourir ». En début d’année, la CIA fut surprise en train d’espionner des collaborateurs du Sénat qui établissaient ce rapport d’enquête et le gouvernement Obama collabore depuis avec l’agence d’espionnage afin de garantir qu’en cas de diffusion du document, il s’agira d’une version lourdement expurgée.

Aux dires de l’avocat spécialiste des droits de l’homme Scott Horton dans une interview accordée au magazine en ligne The Intercept, « le plan de bataille » du directeur de la CIA, John Brennan, et du gouvernement Obama est de retarder la publication du rapport sur la CIA jusqu’aux élections de mi-mandat en novembre. Ils espèrent qu’une victoire prévue du Parti républicain au Sénat garantira que le rapport sera définitivement enterré sans nécessiter que les Démocrates fassent ce sale travail eux-mêmes.

La raison de la détermination de la Maison Blanche à couvrir les crimes du gouvernement Bush est suffisamment claire. Pour reprendre les mots de Faulkner, « Le passé n’est jamais mort. Il n’est même pas passé. »

La torture, l’assassinat par drone, les massacres, les meurtres extra-judiciaires : ce sont les méthodes employées par la classe dirigeante américaine pour imposer ses intérêts de par le monde. Le gouvernement Obama a poursuivi et intensifié la politique de son prédécesseur. Il organise actuellement l’escalade d’une nouvelle guerre au Moyen-Orient tout en planifiant de nouveaux crimes encore plus sanglants. En Ukraine, il collabore avec des mercenaires intégrés à des organisations droitières et fascistes dans le cadre d’opérations visant à asseoir l’hégémonie américaine en Europe de l’Est. Un récent document (voir : « L’armée américaine élabore un plan pour la Troisième Guerre mondiale ») publié par l’armée américaine expose une stratégie de guerre préventive menée dans chaque région du globe et désigne la Chine et la Russie comme des cibles potentielles spécifiques.

Le massacre de la Place Nissour n’est pas une exception mais bien la règle, il n’est pas le résultat de l’action de quelques « brebis galeuses », mais le produit organique de la criminalité de l’impérialisme américain. Justice ne sera pas rendue tant que ceux qui font cette politique aux plus hautes instances de l’appareil militaire et de l’Etat ne se trouveront pas dans la situation des mercenaires condamnés de Blackwater.

Joseph Kishore

Article original, WSWS, paru le 24 octobre 2014



Articles Par : Joseph Kishore

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