Cameroun: Débat : la grippe aviaire existe-t-elle réellement au Cameroun ?

Les réflexions d'un vétérinaire camerounais.

Il y a quelques mois encore, les promoteurs de la filière avicole, après avoir gagné la bataille contre les importations « massives et incontrôlées » de poulets congelés, bataille dans laquelle nous prîmes toute notre part, se lancèrent dans une campagne pour  » l’arrêt complet de l’importation des poulets congelés « , avec comme cheval de bataille  » la grippe aviaire « , comprenez :  » les poulets congelés importés d’Europe, après avoir détruit notre économie, vont tuer les consommateurs camerounais ». A leur corps défendant, ils préparaient ainsi les esprits des consommateurs à leur comportement actuel et, conséquemment, les éleveurs à leur déconvenue.

En ce qui nous concerne, après quarante ans d’exercice vétérinaire au service des éleveurs en clientèle privée, nous ne pouvons nous réjouir de ce qui leur arrive. C’est donc en toute responsabilité que nous nous engageons à nouveau à leurs côtés afin d’exorciser la psychose actuelle car, si elle arrange les consommateurs qui peuvent enfin se délecter d’un produit devenu hors de portée de la plupart des bourses les moins garnies, elle peut aussi leur réserver des retours de bâton fort préjudiciables.

Enfin, cette crise ayant décidément quelque vertu, la semaine dernière, l’interprofession avicole du Cameroun (Ipavic ex-Sifac), qui regroupe les gros opérateurs de la filière aviaire, a pris, la résolution de procéder à l’abattage, à la préparation, au conditionnement et à la congélation des poulets afin de limiter les pertes face à la situation actuelle de mévente.

Pour cela, ils ont décidé de construire des abattoirs dans plusieurs provinces. Nous nous félicitons d’autant plus chaleureusement de cette initiative qu’elle répond à ce que les associations de consommateurs demandent en vain depuis deux ans. Désormais le poulet local, frais ou congelé, pourra être vendu au poids réel, ce qui permettra aux consommateurs de faire des comparaisons de prix avec le poulet congelé importé et aussi avec d’autres viandes (porc, boeuf). Il ne reste plus qu’une petite étape à franchir par les membres de l’Ipavic pour satisfaire le consommateur : mettre en place en même temps un système de découpe, ce qui autorisera les petites bourses à consommer du poulet local.

Le titre de cette contribution ne cache aucune intention provocatrice, mais il nous semble utile et sain – en tout cas intellectuellement honnête – que l’on se pose cette question avec sérieux, au vu des conséquences possibles que chacune des réponses pourrait entraîner, et les comportements et décisions qu’elle devrait commander.

Epizootie de grippe aviaire au Cameroun: deux canards morts !

Depuis l’annonce de la découverte d’un foyer à l’extrême nord, il y a plus d’un mois, on assiste à une logorrhée médiatique dont la seule conséquence visible est la chute des prix du poulet et des oeufs sur les marchés. Mais quel épidémiologiste, quel vétérinaire pourrait décemment énoncer une telle assertion ? Car par définition, une épidémie (une épizootie, s’agissant des animaux) c’est  » l’atteinte SIMULTANEE d’un GRAND NOMBRE d’individus d’un pays ou d’une REGION par une MALADIE contagieuse « . J’ai à dessein emprunté cette définition du Petit Larousse Illustré, car elle a le mérite d’être simple et claire, compréhensible donc par tous.

Or, que s’est-il réellement passé à l’Extrême-Nord et au Nord?

Les données actuellement à notre disposition sont les suivantes :

 » Des canards sont morts dans une concession de 03 familles qui élevaient 43 canards en liberté.

 » Alertées, les autorités ont incinéré 08 canards survivants.

 » Les résultats des analyses ont donné : UN canard positif au H5N1, virus de la grippe aviaire.

 » A ce jour y vivent encore mêlés, poulets, pintades, chèvres, et moutons.

 » Des prélèvements ont été effectués sur d’autres volailles du voisinage, et sur les personnes susceptibles d’avoir manipulé ou mangé des volailles contaminées.

 » Depuis lors, aucun autre cas n’a été déclaré dans cette région, bien que villageois et citadins, sensibilisés, aient pris le réflexe de porter aux services vétérinaires la moindre volaille trouvée morte.

La grippe aviaire est une MALADIE contagieuse, ce qui implique l’observation d’animaux MALADES au sein desquels on peut trouver des morts dans des proportions variables (en l’occurrence, près de 100%) ; Dans le cas de l’Extrême-Nord, hors le fait qu’il n’ait, à ma connaissance, été déclaré nulle part et à aucun moment une maladie grippale cliniquement diagnostiquée, les diverses analyses de laboratoire ont montré que tous ces animaux (sauf un) ne sont pas morts de la grippe aviaire : ils sont donc morts d’autre chose que l’on n’a pas recherché, mais qui pourrait bien être aussi la cause de la mort de celui qui a été positif au H5N1.

UN canard par région, et deux REGIONS séparées par 400 km au moins, est-ce un GRAND NOMBRE ? Les canards sauvages vivent en colonies, et rappelons que nous avons affaire à une maladie qui dévaste les bandes.

La SIMULTANEITE est primordiale dans la définition d’une épidémie ; ainsi par exemple, l’épidémie de choléra que nous avons connue il y a quelques années dans notre pays; alors que l’on ne peut pour le moment parler d’épidémie à propos de la tuberculose qui atteint pourtant un nombre croissant de victimes au Cameroun. Dans le cas qui nous préoccupe, il s’est passé UN MOIS ET DEMI entre les deux cas.

Pour nous résumer : nous avons deux canards morts déclarés infectés au H5N1, à 400km et à un mois et demi d’intervalle, sans aucun signe clinique d’atteinte grippale chez d’autres animaux : on ne peut honnêtement en conclure que le Cameroun vit une épizootie de grippe aviaire !

Au demeurant, le canard étant connu à travers le monde et depuis très longtemps comme étant un porteur sain de H5N1, on peut juste en déduire que ce virus existe bien chez nous, mais certainement pas que ces oiseaux trouvés morts et qui se sont révélés positifs au H5N1 ont fait la maladie appelée « grippe aviaire ».

Au Nigeria d’où l’on soupçonne que le virus est venu, cette maladie a décimé des fermes avicoles entières, ce qui est conforme à sa manifestation habituelle. Au Cameroun, les poulets sont épargnés ; le canard serait-il le seul animal sensible chez nous? Le virus aurait-il muté pour épargner les poulets et ne s’en prendre qu’aux canards du Cameroun ?

Si l’on s’en tenait à la version officielle des événements, il y aurait là, pour le moins, de quoi approfondir les recherches épidémiologiques ! Et pour en avoir le coeur net, on trouverait opportun de procéder à un dépistage systématique à travers la république, sur toutes sortes de volailles, afin d’avoir la « carte d’identité H5N1 » du pays, en mettant l’accent sur les oiseaux aquatiques et les zones réservoirs que sont les lacs.

Il convient en effet de se rappeler que le virus H5N1 n’est pas nécessairement hautement pathogène (celui qui provoque les épizooties) ; il en existe des variétés bénignes, légèrement pathogènes (qui provoquent une maladie non ou peu mortelle), et hautement pathogènes. Cette dernière variété pouvant d’ailleurs vivre en attente, sous une forme quiescente, ce qui explique les flambées observées après l’éradication des foyers.

DEUX canards positifs au H5N1, justifient-ils tout le remue-ménage actuel ?

Les données en notre possession nous suggèrent donc un paysage épidémiologique calme, dans lequel le virus est bien présent sur des porteurs asymptomatiques, dans des zones réservoirs à partir desquelles pourrait éventuellement naître une flambée épidémiologique, hormis le risque d’infection à partir de pays voisins, qui n’est pas à négliger.

La question est donc pertinente, au regard des conséquences économiques que nous observons déjà ; Et il y a pire : en considérant l’hypothèse des services officiels d’une épizootie de grippe aviaire à H5N1 hautement pathogène au Cameroun, et sachant que celle-ci est presque toujours suivie par des « vagues » plus fortes, il nous faudrait considérer que notre filière aviaire serait fragilisée pour longtemps, et en tirer les conséquences pour l’avenir.

Les raisons de la psychose actuelle

Cacophonie et divergence d’intérêts nous paraissent être la source de la psychose.

Le système médical :

Des études de suivi épidémiologique de la grippe aviaire montrent que le virus, dans son évolution actuelle (franchissement de la barrière des espèces, durée de vie plus longue, pathogénicité plus forte) pourrait, en se combinant à un virus de grippe humaine, donner naissance à un nouveau virus humain qui pourrait se transmettre d’homme à homme. Ce n’est pour le moment qu’une hypothèse et, si cela arrivait (voir encadré) l’humanité serait alors exposée à une pandémie.

L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a donc mis au point une stratégie de veille, d’alerte et d’action afin d’être prêt au cas où ce virus nouveau apparaîtrait. C’est cette stratégie qu’appliquent tous les services de santé à travers le monde, à grand renfort médiatique, mais qui présente comme revers la phobie envers le poulet et les volailles et la perturbation de l’économie mondiale.

Les services vétérinaires :

Par leur attentisme, ils se sont laissés déborder par l’activisme du ministère de la Santé, alors que la grippe aviaire est une maladie animale qui doit être gérée par le Minepia dans sa mission de santé publique vétérinaire.

Aujourd’hui nous pouvons nous déclarer heureux que ces Services Publics commencent tout de même à regarder dans la même direction, en espérant que les premiers concernés assument résolument leur rôle.

Aussi, les mesures à prendre sont-elles essentiellement vétérinaires et doivent-elles consister à :

« Eradiquer les foyers dès qu’ils apparaissent ;

« Protéger, informer et sensibiliser les personnes qui sont au front ;

« Mettre en place une  » épizootio-surveillance  » sur toute l’étendue du territoire ou mieux, dans la sous région CEMAC.

« Impliquer tous les professionnels : organisations des éleveurs, des vétérinaires (Ordre national des vétérinaires et Syndicat national des vétérinaires privés) qui, il faut le dire, sont totalement tenus à l’écart.

Ces mesures ont d’abord pour objectif d’éviter de grosses pertes économiques à nos éleveurs (avec les répercussions sociales que l’on devine). Ensuite, de réduire le risque éventuel de contamination erratique des personnes immédiatement au contact des animaux malades.

A l’adresse des consommateurs

La grippe aviaire reste une maladie spécifique aux volailles.

Nous avons affaire à une panzootie (épizootie mondiale), et non à une pandémie.

Alors que l’épizootie a atteint plus de la moitié de l’humanité (toute l’Asie, la moitié de l’Europe, et aussi l’Afrique soit plus de 3 milliard d’habitants), les cas humains confirmés par les laboratoires de l’OMS sont au 24 mars 2006 : 186 malades, 105 morts.

Sur nos routes, dans les rues de nos villes, les accidents par moto sont proportionnellement plus nombreux et provoquent plus de morts. Personne n’a jamais dit qu’il faut proscrire les motos ! On donne des conseils et on prend des mesures afin qu’il y ait moins d’accidents et, en cas d’accident, moins de morts. On n’en déduit pas que les motos tuent !

En conclusion, la psychose actuelle est due à une communication aberrante qui laisse croire que :

1- La grippe aviaire existe au Cameroun, ce qui n’est pas démontré.

2- les quelques morts signalés sont victimes de la pandémie ; ce qui est faux.

3- la maladie animale est contagieuse chez l’homme ; ceci est également faux, car le virus capable de cette contagion interhumaine n’existe pas.

La désinvolture des services vétérinaires dans le traitement de ce dossier (cf. le témoignage de madame Massing sur Canal2 international, qui a attendu deux jours avec un oiseau mort dans son jardin sans que les services vétérinaires alertés daignent venir l’en débarrasser), devrait d’ailleurs nous rassurer quant à la réalité du danger au Cameroun.

En un siècle d’observation, aucun cas d’infection humaine n’a été signalé suite à l’ingestion de volaille contaminée par la grippe aviaire.

Pour finir, si comme moi vous n’avez pas de thermomètre à mettre dans votre casserole pour mesurer la température de cuisson de votre poulet, faites comme nous : préparons notre poulet comme d’habitude et mangeons-le sans crainte !



Articles Par : Samuel Esoungou Ndemba

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