Ce n’est pas la Chine le problème

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Dans une période où le Wall Street Journal a disparu dans la gueule d’un énorme conglomérat de médias, le New York Times reste un journal indépendant. Mais il ne fait preuve d’aucune indépendance dans ses reportages ou sa façon de penser.

Le Times a publié un mea culpa pour avoir laissé sa journaliste, Judith Miller, désinformer les lecteurs sur l’Irak, aidant ainsi les néo conservateurs à préparer leur invasion. Maintenant, les articles du Times sur l’Iran semblent répéter la même erreur. Le Times publiera –t-il un autre mea culpa après un acte de pure agression dénué de sens : le bombardement de l’Iran ?

Les éditoriaux du Times servent aussi comme voie de propagande. Le 13 août, un éditorial du Times s’en est pris à la Chine concernant « des menaces irresponsables » qui menacent le libre marché. Les éditorialistes du Times ne comprennent pas que la délocalisation des emplois américains, que le Times confond par erreur avec le libre commerce, est une menace beaucoup plus grande pour l’Amérique (= USA ndlt) qu’un rappel par les chinois, qui en ont marre d’être maltraités par les US, que la Chine est le banquier de l’Amérique.

Passons brièvement en revue la « menace chinoise » et puis tournons nous vers le vrai problème.

Les membres du gouvernement US croient, comme le font de nombreux américains, que la monnaie chinoise est sous évaluée par rapport au dollar US et que c’est la raison pour laquelle l’Amérique à un énorme déficit commercial avec la Chine. Des pressions continuent de s’appliquer sur la Chine pour qu’elle réévalue sa monnaie pour réduire son avantage commercial sur les biens fabriqués aux US.

La pression mise sur la Chine est mal dirigée. Le taux d’échange n’est pas la principale cause du déficit commercial des US avec la Chine. Les coûts de main d’œuvre, la réglementation et les tracasseries sont bien moins élevés en Chine, et les entreprises US ont délocalisé leur production en Chine pour bénéficier de ces coûts plus bas. Quand une entreprise déplace sa production des US vers un pays étranger, elle transforme le GDP US en importations. Chaque fois qu’une entreprise US délocalise la production de biens et services, elle augmente le déficit commercial des US.

Clairement, c’est une erreur du gouvernement US et des économistes de penser que le manque d’équilibre est produit par les entreprises chinoises vendant aux US leurs produits à des prix inférieurs à ceux des entreprises US en Amérique. Le déséquilibre est le résultat des entreprises US produisant leurs biens en Chine et les vendant en Amérique.

Beaucoup pensent que la solution c’est de forcer la Chine à réévaluer sa monnaie, augmentant ainsi de 70 % les prix des produits sur les rayons de Wal-Mart * (Multinationale US de la Grande Distribution, chaîne d’hypermarchés la plus grande mondialement, et premier employeur privé qui s’est fait connaître par sa repression contre les syndicats, son recours à des enployés surexploités, ses pressions sur ses fournisseurs, ses délocalisations ndlt). Mystérieusement, des membres du gouvernement US croient que cela aidera le consommateur US, qui est tout aussi dépendant en matière de biens manufacturés importés qu’il l’est pour l’énergie importé, s’il paie des prix plus élevés.

La Chine croit que sont taux d’échange n’est pas la cause de la délocalisation par les US et s’oppose à tout changement rapide de la valeur de sa monnaie. Dans un message délivré pour dire aux US de faire baisser la pression brutale du public, la Chine a rappelé à Washington que les US n’avaient pas toutes les cartes en main.

L’éditorial du NYT exprime l’inquiétude que la « menace » de la Chine ait pour conséquence que les élus US imposent des droits de douane et commencent une guerre commerciale. Les économistes du « libre commerce, libre marché » s’activent pour nous dire combien cela serait mauvais pour les consommateurs US. Un droit de douane augmenterait le prix des produits pour les consommateurs.

Les économistes du libre marché ne nous disent pas que la dévaluation du dollar aurait le même effet. Des produits fabriqués en Chine verraient leur prix augmenter de 30 % si un droit de douane de 30 % leur était imposé, et les prix des produits augmenteraient de 30 % si la monnaie chinoise était réévaluée de 30 % par rapport au dollar.

Alors pourquoi tout ce remue ménage à propos de droits de douane ?

Le remue ménage concernant les droits de douane est encore moins sensé une fois qu’on réalise que le but des droits de douane c’est de protéger les biens produits intérieurement contre ceux produits à l’extérieur. Cependant, les droits de douane des US aujourd’hui seraient imposés sur la production délocalisée des entreprises US. A une époque de délocalisation, les entreprises ne sont pas parties prenantes de droits de douane.

Des droits de douane profiteraient à la main d’œuvre américaine, ce à quoi s’opposeraient fortement la Chambre de Commerce US, l’Association Nationale des Fabricants, et le parti Républicain. Un droit de douane équivalent à la différence de salaires détruirait la plupart des avantages de la délocalisation. Les profits diminueraient, et les profits en baisse s’accompagneraient de compensations plus faibles pour les directeurs d’administration et de retours sur investissement à la baisse pour les actionnaires.

C’est évident que des droits de douane, vont à l’encontre des intérêts des entreprises et de Wall Street et qu’ils n’en veulent pas.

Le NYT et les économistes du « libre commerce » n’ont pas compris, car ils pensent à tort que délocaliser c’est du commerce. En fait, la délocalisation est un arbitrage par la main d’œuvre. La main d’œuvre US est tout simplement retirée des fonctions de production produisant des biens et services pour les marchés US, et remplacée par de la main d’œuvre étrangère. Aucun commerce n’est impliqué. Au lieu d’être produit en Amérique, des produits de marques US vendus en Amérique sont produits en Chine.

Ce n’est pas la faute de la Chine si les entreprises américaines ont si peu de respect pour leurs employés et concitoyens au point qu’elles détruisent les opportunités économiques de ceux-ci et à la place les donnent à des étrangers.

C’est paradoxal que tout le monde blâme la Chine pour le comportement des entreprises américaines. Qu’est supposée faire la Chine, fermer ses frontières au capital étranger ?

Quand les économistes du libre marché s’alignent, comme ils l’ont fait, avec des étrangers contre les citoyens américains, ils détruisent leur crédibilité et le futur de la liberté économique. Récemment, l’Independent Institute, avec lequel je suis associé, a mis l’accent sur le fait que les associations pour le libre marché « ont complètement défendu l’immigration ouverte et les marchés libres de la main d’œuvre », faisant remarquer que 500 économistes ont signé la lettre ouverte sur l’Immigration de l’Independent Institute prônant l’immigration ouverte.

Une telle politique en satisfait certains par sa pureté idéologique. Mais ce que cela veut dire en pratique c’est que les américains, qui sont chassés de leurs emplois professionnels et de la fabrication par la délocalisation et la délivrance de visas à des étrangers, ne peuvent pas non plus trouver de travail dans les emplois non qualifies et semi qualifiés qui sont pris par les immigrants illégaux. Une politique de libre marché qui envoie paître la main d’œuvre américaine ne va pas être acceptée par la population. Une telle politique sert seulement ceux à qui le capital appartient et les directeurs de haut rang.

Les économistes du livre marché vont argumenter sur cette conclusion. Ils affirment que la délocalisation et une immigration ouverte offrent aux consommateurs des prix plus bas sur le marché. Ce que ne disent pas les économistes du libre marché c’est que la délocalisation et l’immigration ouverte offrent aussi aux citoyens US des revenus plus bas, des possibilités d’emplois moins nombreuses, et des emplois moins satisfaisants. Il n’y a pas de preuve que la baisse des prix à la consommation soit supérieure à la baisse des salaires pour que les citoyens américains puissent dire qu’ils en bénéficient matériellement. L’expérience psychologique d’un citoyen perdant sa carrière en faveur d’un étranger est aliénante.

Les économistes du libre marché ignorent qu’un pays qui délocalise sa production délocalise aussi ses emplois. Il devient dépendant de biens et services produits dans des pays étrangers, mais manque de recettes suffisantes à l’exportation pour payer les biens importés. Un pays dont la force de travail est réorientée vers des services domestiques, sous la pression de la délocalisation, n’a rien pour faire du commerce pour équilibrer ses importations. C’est pourquoi le déficit commercial des US a explosé atteignant 800 milliards de dollars annuellement.

Parmi tous les pays du monde, seuls les US peuvent s’en tirer avec des déficits commerciaux explosifs. La raison c’est que les US ont hérité de la Grande Bretagne, épuisée par deux guerres mondiales, le rôle de réserve monétaire. Etre le pays de la réserve monétaire cela veut dire que votre monnaie est le moyen de paiement accepté pour régler les comptes internationaux. Les pays paient les factures de leurs importations de pétrole en dollars et règlent leurs déficits de leurs comptes commerciaux en dollars.

Les énormes et continuels déficits US usent le dollar US comme monnaie de réserve. Un moment viendra quand les US ne pourront plus payer pour leurs importations, dont ils sont devenus encore plus dépendants, en inondant le monde avec encore plus de dollars.

La délocalisation et l’idéologie du marché libre sont entrain de transformer les US en un pays du Tiers Monde. Selon le bureau des statistiques, ¼ de tous les nouveaux emplois US crées entre juin 2006 et juin 2007 ont été pour des serveuses et des barmans. Presque tous les nouveaux emplois nets aux US au XXI ème siècle le sont dans les services domestiques.

Les économistes du libre marché ignorent simplement ces faits et continuent avec leurs justifications idéologiques et l’ouverture des frontières, une politique qui détruit rapidement l’ascenseur social pour la population des Etats-Unis.

© Copyright Paul Craig Roberts, Information Clearing House, 2007

LIre l’article original en anglais.

Traduction: Mireille Delamarre pour Planète non violence.



Articles Par : Dr. Paul Craig Roberts

A propos :

Paul Craig Roberts, former Assistant Secretary of the US Treasury and Associate Editor of the Wall Street Journal, has held numerous university appointments. He is a frequent contributor to Global Research. Dr. Roberts can be reached at http://paulcraigroberts.org

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