Ciao Berlusconi ?
Élections en Italie. À l’issue d’une campagne détestable, les électeurs choisiront dimanche et lundi entre leur très contesté premier ministre et le centre gauche de Romano Prodi.
La campagne pour les législatives italiennes s’est achevée dans un climat de tension et de bassesse inédit dans l’histoire récente du pays. Avant de voter dimanche ou lundi, avant 15 heures, les 42 millions d’électeurs auront vu le premier ministre sortant Silvio Berlusconi, à nouveau chef de la droite, pourrir systématiquement la campagne de son rival de centre gauche Romano Prodi. Traité au mieux de « prête-nom », au pire d’« idiot » manipulé par ses alliés, accusé de vouloir préparer un régime « contre la liberté » en cas de victoire, l’ex-président de la Commission européenne aura eu le mérite de ne jamais répliquer sur le même niveau de haine et de mensonge – il aura tout de même dénoncé l’attitude de « délinquants politiques » de ses adversaires.
Cette dernière semaine de campagne a été sans doute la pire. Lundi, Silvio Berlusconi jouait son va-tout en promettant de supprimer la taxe foncière ; mardi, il traitait de « couillons » les électeurs de gauche ; mercredi, il tentait en vain une manoeuvre « éclair » pour s’exprimer sur l’une de ses trois chaînes de télévision, lesquelles ont toutes été condamnées par les autorités électorales pour lui avoir consacré trop de temps d’antenne ; jeudi, il dénonçait dans un délire paranoïaque un « complot » conjugué des juges, des médias et des patrons pour empêcher sa réélection.
Visiblement sous tension, le premier ministre a sans doute perdu en partie son sang-froid. Il a aussi conscience qu’il ne peut gagner la bataille en se basant sur le bilan objectif de ses cinq années de gouvernement. L’Italie de 2006 est en moins bonne santé économique que celle de 2001 (voir ci-dessous). La « Maison des libertés », la coalition que Berlusconi reconduit à l’identique cette année, a offert le spectacle permanent de luttes intestines entre Forza Italia (libérale), les populistes xénophobes de la Ligue du Nord, les conservateurs de l’Alliance nationale (AN, post-fasciste) et les centristes de l’UDC. L’activité du Parlement s’est concentrée sur des lois profitant personnellement à Silvio Berlusconi et sur des réformes clientélistes (régionalisation pour la Ligue du Nord, lois sécuritaires pour l’AN). Beaucoup d’Italiens sentent aussi que leur pays a régressé dans le domaine culturel et des libertés d’expression : une « berlusconisation » des esprits (voir ci-contre) que dénoncent nombre d’intellectuels dont récemment le cinéaste Nanni Moretti et la comique Sabina Guzzanti.
Pour une « société plus juste »
Ce recul général du débat public est sans doute le meilleur atout de Silvio Berlusconi pour inverser les sondages qui donnent à la droite 3 à 5 points de retard. Favorite, la coalition de l’Unione est issue d’un patient travail de dialogue entre communistes, écologistes, centristes de gauche et centristes tout court, sous la direction d’un Romano Prodi consacré par une mobilisation inespérée de quatre millions de sympathisants lors des primaires de novembre dernier. Son programme est un épais document de près de 300 pages qui, s’il manque parfois de propositions claires, se démarque sur tous les plans ou presque de l’action de la droite : relance des politiques de santé et d’aide sociale, taxation renforcée des revenus du capital, lutte contre la précarité, retrait d’Irak : le centre gauche veut offrir une « société plus juste », voire un autre « projet de civilisation » selon une expression chère au leader de Refondation communiste Fausto Bertinotti.
Reste à espérer que les électeurs usés par les cinq années de gestion Berlusconi se rendront aux urnes. Jamais le taux de personnes qui ne savent pas si elles vont aller voter, et pour qui, n’a été aussi fort dans un pays passionné de politique : jusqu’à un quart du corps électoral.
Le « plus nocif » des dirigeants
Le dégoût de la politique se double d’un retour au scrutin proportionnel voulu par la droite pour limiter les frais d’une défaite attendue : le nouveau système a bloqué les listes – ce qui n’a pas incité les candidats non éligibles à se mobiliser – et mis un terme aux votes de « préférence » que les Italiens adoraient parce qu’il leur permet de privilégier leur candidat favori. Terne sur le terrain, détestable au plus haut niveau de la droite, cette campagne électorale s’achève dans le soulagement général. Et avec – l’espoir, à gauche, de renverser le dirigeant décrit comme « le plus nocif » pour l’Italie depuis le renversement du – fascisme.