Cinq ans après la « mission accomplie » en Irak, le nombre de victimes américaines et irakiennes est en forte augmentation

Le 1er mai marque le cinquième anniversaire du tristement célèbre discours prononcé par le président George Bush sur le pont d’un porte-avions américain. Cinq ans après que Bush ait proclamé la fin des « combats majeurs » en Irak, le bilan des victimes américaines a atteint un record depuis ces sept derniers mois tandis que le nombre de morts irakiens continue d’augmenter.

En avril, 52 soldats américains étaient tués en Irak, le nombre le plus élevé enregistré depuis septembre dernier. La plupart des victimes ont été tuées à Bagdad, le plus souvent dans le quartier chiite pauvre de Sadr City. La forte augmentation du nombre des tués et des blessés américains ainsi que le bilan beaucoup plus important de tués et de destruction infligée à la population civile irakienne est la conséquence d’une offensive longue d’un mois lancée par les forces fantoches américaines et irakiennes contre l’Armée du Madhi, la milice loyale à l’imam nationaliste chiite Moqtada al-Sadr.

En citant des « forces de sécurité », l’Agence France-Presse a dit que 1073 Irakiens avaient été tués le mois dernier. Ce qui est indéniablement une sous-estimation grossière du véritable nombre de tués. Un hôpital de Sadr City a rapporté avoir accueilli à lui seul 400 corps.

Les deux grands hôpitaux de la région où habitent plus de deux millions de personnes, ont dit avoir reçu près de 2500 blessés. Les capacités d’accueil des installations hospitalières sont dépassées par le nombre des victimes. Ils ont signalé manquer d’un nombre suffisant de spécialistes en traumatologie pour soigner les blessés graves et aussi d’être sur le point de manquer de produits de première nécessité, y compris de l’eau propre.

« La situation est très critique et très instable, » a dit Abbas Owaid, directeur général de l’hôpital Fatima al-Zahra, à l’agence des Nations unies IRIN. « Il existe un besoin urgent de pansements, d’analgésiques, de seringues et autres produits de premiers secours. Nous disposons de sang, les gens donnent du sang, mais il nous en faut davantage, car il y a des blessés. »

Owaid a dit que les ambulances étaient attaquées et que les patients au même titre que le personnel hospitalier ne parvenaient pas à se rendre à l’hôpital, car des forces irakiennes soutenues par les Américains avaient pris position à proximité.

Un militaire haut gradé du Pentagone a profité mercredi d’un point de presse pour affirmer que la nette augmentation du nombre de victimes ne signifiait pas la détérioration de la « montée en puissance » (« surge ») américaine, l’intensification de l’intervention américaine qui a envoyé l’année dernière 30 000 soldats supplémentaires dans le pays occupé.

« Alors qu’il est triste de voir à nouveau le nombre de victimes augmenter, je ne pense pas que ce soit obligatoirement le signe d’un changement majeur de l’environnement dans lequel se passent les opérations, du moins vu sous l’angle américain, » a dit le général Carter Ham, directeur des opérations de l’état-major interarmées américain. Il a ajouté « Quand les combats augmentent, alors, malheureusement le nombre de victimes a tendance à augmenter aussi. » Il a souligné que l’armée américaine n’avait jamais fait de la baisse du nombre de victimes « Le critère de progression des choses en Irak. »

Au contraire, le Pentagone, tout comme la Maison Blanche ont jusqu’à tout dernièrement loué la réduction relative du carnage contre la population irakienne et la réduction du nombre de soldats américains morts au combat comme preuve de succès du « surge ». A présent, l’armée américaine s’adonne tous les jours à décompter les morts en qualifiant invariablement les personnes tuées de « criminels » et de « terroristes ». Les hôpitaux qui accueillent les victimes font toutefois mention de ce que la plupart sont des civils, dont un grand nombre sont des femmes et des enfants.

L’armée a reçu l’ordre d’arriver à un objectif politique jugé crucial pour sauver la tentative chancelante de Washington d’imposer une domination coloniale sur ce pays riche en pétrole. Elle a pour objectif de s’en prendre à l’Armée du Madhi et de la vaincre pour ainsi affaiblir les sadristes qui ont exprimé leur opposition à la fois à l’occupation américaine et à la demande d’ouverture des ressources pétrolières irakiennes à l’exploitation par les groupes énergétiques américains sur place. Le but est d’achever cette tâche avant les élections provinciales d’octobre, dont on pense que les partisans de Sadr seraient sinon en mesure de l’emporter dans les régions clés du sud où se trouvent le gros des ressources pétrolières de l’Irak.

Afin d’assumer cette tâche, Washington est prêt à verser autant de sang irakien qu’il faudra tout en acceptant aussi une augmentation considérable du nombre de victimes américaines. Une conséquence en a été un accroissement constant du nombre de cercueils recouverts du drapeau américain qui regagnent les Etats-Unis pour rejoindre des villes aux quatre coins du pays. Les nouvelles sur ces tragédies individuelles sont limitées à la presse locale, dissimulant ainsi au peuple américain le coût véritable de cette guerre criminelle.

Parmi ceux qui ont perdu la vie le mois dernier dans cette guerre de conquête qui dure depuis cinq ans figurent :

* le sous-officier technicien David P. McCormick, 26 ans, qui est décédé le 28 avril suite aux blessures subies dans une attaque à la roquette. Mike Zimmerman, ministre et ami de longue date du soldat, l’a décrit comme « une personne plutôt calme » qui « était impatient de rentrer d’Irak » pour pouvoir suivre des cours d’informatique et de gestion à l’institut universitaire technologique.

* le sergent-chef de l’armée de l’air Anthony Capra, 31 ans, qui est décédé le 9 avril suite aux blessures infligées par l’explosion d’une bombe placée en bordure d’une route. Capra laisse derrière lui son épouse et cinq enfants. Il accomplissait son quatrième service actif en Irak.

* le sergent Jesse Ault, un garde national de Virginie, qui est décédé le 9 avril suite aux blessures subies par un engin explosif (IED) improvisé. Il avait quitté la garde nationale, mais quand son épouse, qui est également membre de la garde nationale, fut rappelée pour un deuxième service actif en Irak, il se rengagea pour prendre sa place afin qu’elle puisse rester auprès de leurs enfants. « Je dois faire ce qui est le meilleur pour ma famille », avait-il dit à son père.

* le sergent Shaun Paul Tousha, 30 ans, a été tué par un engin explosif (IED) le 9 avril. Il est la centième victime de Houston, au Texas. Sa sœur Becky considérant l’augmentation du nombre de morts a dit au Houston Chronicle, « Je pense qu’ils devraient ramener les gars à la maison et en rester là. »

* Jacob Fairbanks, 22 ans, de St Paul dans le Minnesota, est mort en Irak le 9 avril. Il avait été renvoyé pour un service de 15 mois en Irak, peu de temps après que lui et sa femme Dawn eurent un nouveau bébé. Dawn a dit au Star Tribune de Minneapolis qu’il était rongé par l’angoisse. « Et si je ne revenais pas cette fois-ci ? » lui avait-il dit. Le Pentagone a enregistré la cause du décès comme blessure par arme à feu que la victime s’est infligée.

* le sergent Jeremiah McNeal, 23 ans, de la garde nationale de Virginie, est décédé le 6 avril suite aux blessures causées par un IED. « Il avait rejoint la garde nationale peu de temps après son baccalauréat pour soutenir sa mère et ses trois frères et sœurs plus jeunes », a précisé le Virginian Pilot. « Il n’était pas juste un matricule », a déclaré sa femme Nikita à la presse.

* le caporal Shane Penley, 19 ans, a été tué le 6 avril par un tireur embusqué juste un an après avoir obtenu son baccalauréat au lycée Blook Trail High School en Illinois. Selon la presse locale, le Southtown Star, il « avait intégré l’armée parce qu’il était frustré de ne pas trouver un bon emploi » après avoir été serveur dans un restaurant de la ville. Ses trois sœurs, rapporte le journal, avaient essayé de l’en dissuader.

* le commandant Stuart Wolfer, 36 ans, a été tué le 6 avril lors d’une attaque à la roquette dans la « zone verte » (« Green zone » une enclave protégée et fortifiée) où sont situés l’ambassade américaine et les bâtiments du gouvernement irakien. Il laisse une épouse et trois enfants. Quand le représentant Robert Wrexler (démocrate de Floride) a invité les électeurs de sa circonscription à soumettre des questions destinées à être posées au général David Petraeus, commandant des forces américaines en Irak lors de son témoignage, le mois dernier, devant le Sénat du Congrès américain, Len Wolfer, père du soldat, lui demanda de demander à Petraeus, « Pourquoi ? Pourquoi ai-je perdu mon fils ? »

Les noms des victimes des Hellfire missiles [missiles antichar tirés depuis hélicoptères], des bombes et des mitrailleuses dans les rues bondées de Sadr City sont pour la plupart inconnus hors d’Irak et ces victimes sont bien plus nombreuses qu’on ne le pense. Grâce à un photographe déterminé de l’Associated Press, l’identité de l’une de ces victimes a été publiée. Il s’agit de Ali Hussein, âgé de deux ans.

Un photographe a capturé l’image de son corps sans vie, couvert de calcaire et que l’on retirait des ruines de sa maison détruite par une attaque américaine à la roquette. La bouche entr’ouverte, les membres ballants, le petit garçon portait un t-shirt, un short maculé de sang et des sandales d’enfant.

Au moment où ces crimes avaient lieu, la Maison-Blanche profitait du cinquième anniversaire du discours « mission accomplie » de Bush pour inventer une nouvelle défense pour l’évaluation grotesquement infondée faite par le président américain de la situation en Irak.

Dans ce qui était évidemment un script préparé d’avance et destiné à parer aux remarques inévitables de la presse quant à cet anniversaire, la porte-parole de la Maison-Blanche, Dana Perino, a déclaré lors de la conférence de presse : « Le président Bush est tout à fait conscient que la bannière aurait dû être beaucoup plus spécifique et aurait dû dire « mission accomplie » pour ces marins qui sont en mission sur ce navire. Et nous avons certainement payé un prix pour n’avoir pas été plus précis sur cette bannière. »

Tout cela est bien sûr absurde. La bannière, tout comme l’atterrissage de Bush avec câbles d’arrêt sur le pont du porte-avions USS Abraham Lincoln, sa parade devant les caméras en tenue de pilote de l’aéronavale, avaient été soigneusement mis en scène pour vendre le succès de la guerre en Irak et le militarisme américain à l’opinion publique. La bannière quant à elle avait été fabriquée par une firme privée avec l’aide de la Maison-Blanche.

Les remarques faites par Bush à l’époque avaient parfaitement repris l’esprit contenu dans ce slogan à deux mots. « Pour ce qui est de la bataille en Irak, les Etats-Unis et leurs alliés sont victorieux, » déclarait-il devant son auditoire de marins séduit. « Et notre coalition est engagée à sécuriser et à reconstruire ce pays. »

De plus, à peine un mois plus tard, il utilisait ces mêmes mots inscrits sur la bannière, lors d’un discours prononcé devant les troupes américaines au Qatar. « L’Amérique vous a envoyé en mission pour supprimer une grave menace et pour libérer un peuple opprimé », dit-il, « et cette mission a été accomplie. »

A cette époque, le gouvernement Bush et la plus grande partie de l’élite dirigeante américaine croyaient être rapidement en mesure de consolider leur emprise sur l’Irak, d’installer un régime fantoche et d’utiliser les richesses pétrolières du pays pour payer la guerre et renforcer le capitalisme américain.

A l’époque, le World Socialist Web Site avait prévu qu’il n’y aurait pas de voie facile pour cette aventure de type colonial de l’impérialisme américain en Irak.

« En réalité, bien sûr, la tuerie est loin d’être finie, » déclarait le 2 mai 2003 le WSWS. « Les responsables du Pentagone reconnaissent qu’il n’y a pas de perspective pour réduire le nombre actuel des troupes américaines en Irak, près de 140 000, lors des prochaines années. Bref, il n’y a pas de « stratégie de sortie » mais plutôt un projet pour une occupation coloniale permanente. »

« Un certain nombre des plus grands crimes de guerre américains nous attendent au vu des tentatives de Washington de réprimer l’opposition populaire à l’encontre de son imposition d’un régime fantoche pour diriger le peuple irakien selon les intérêts des compagnies pétrolières, des banques et des grands groupes américains. »

Cet avertissement a été tragiquement confirmé. Près de 97 pour cent des victimes américaines ont été recensés depuis que Bush a fait ce discours alors que le bain de sang subi par le peuple irakien au cours de la même période a éclipsé le carnage monstre infligé durant l’offensive « choc et stupeur » de l’invasion américaine. Selon les meilleures évaluations démographiques, au moins un million d’Irakiens sont morts suite à l’intervention américaine.

Article original en anglais, WSWS, paru le 2 mai 2008.

Copyright WSWS.



Articles Par : Bill Van Auken

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