Comandante Chavez : Eloge et devoir d’inventaire

«A ceux qui me souhaitent la mort, je leur souhaite une très longue vie pour qu’ils continuent à voir la Révolution bolivarienne avancer de bataille en bataille, de victoire en victoire.» –

Hugo Rafael Chavez Frias

Belle phrase en vérité qui nous renseigne sur le sacerdoce de Chavez! Un jour triste, pourtant que celui du décès du Comandante Chavez qui a dirigé le Venezuela, un petit pays avec une grande histoire dont la figure tutélaire de Simon Bolivar, est revendiquée par plus d’un pays d’Amérique latine. A plusieurs titres, Chavez était avant tout un battant, qui a toujours lutté et toute sa vie n’a été qu’une suite de combats incessants qui l’ont propulsé d’une condition sociale la plus humble aux plus hauts sommets. Il fascinait, à la fois ses admirateurs, mais aussi ses adversaires. En clair il ne laissait, personne indifférent. Il fait partie de ces personnages haut en couleur un peu brouillon, un peu populiste- cela fait partie de la personnalité de tout un chacun quoiqu’on en dise- mais toujours généreux avec un cap pour lequel il ne s’est jamais départi, celui de combattre les inégalités pour que le soleil se lève pour les classes les plus déshéritées. Il fut à sa façon un combattant pour la libération du joug d’un capitalisme prédateur.

Le XXe siècle a offert aux «damnés de la terre», Che Guevara qui marquera encore longtemps son époque bien après la disparition de la plupart des dirigeants occidentaux. Qui se souviendra des Bush et même d’un Obama dont on s’aperçoit avec amertume qu’il ne fut pas à la hauteur des promesses qu’il a faites au monde. Qui se souviendra d’un Sarkozy, d’un Tony Blair. Assurément, ce sont des nains comparés à ces géants. De Gaulle est resté dans l’histoire pour avoir été un nationaliste intransigeant vis-à-vis de l’Empire. Chavez fut à sa façon le Che Guevara social du XXIe siècle. Ceci étant dit, il y eut des présidents qui nous ont fait croire en la personne humaine. Dans l’une de ses nombreuses interviews, Chavez rapporte que dans un entretien téléphonique avec Jimmy Carter, il lui avait fait part de son regret de n’avoir pas été président à la même période que lui, ils auraient fait, poursuit-il, ensemble beaucoup de choses constructives et généreuses.

Se revendiquant du bolivarisme et d’un «socialisme du XXIe siècle», Chavez a mis en place un ensemble de réformes, désignées sous le nom de «Révolution bolivarienne». Depuis son élection, Hugo Chávez déclare mettre petit à petit en place une politique économique sensiblement «socialiste» sans pour autant l’être totalement, il la nomme «Révolution bolivarienne». Une redistribution partielle des terres a été lancée: dans un pays où l’économie est principalement fondée sur l’exploitation du pétrole. (1)

Les réussites incontestables

«Sa plus grande réussite fut en direction des démunis; les taux de pauvreté et de pauvreté extrême ont considérablement baissé ces dernières années. Le rapport du Center for Economic and Policy Research sur l’évolution des indicateurs socio-économiques au cours des dix premières années de l’administration Chávez indique que: le taux de pauvreté a été diminué de moitié, de 54% des ménages (2003) à 26% (2008). La pauvreté extrême a diminué de 72%. L’accès à la nourriture a été amélioré de manière significative. La consommation calorique moyenne est passée de 91% des apports recommandés (1998) à 106% (2007)».(1)

«Les décès liés à la malnutrition ont chuté de 50% (de 4,9 à 3,2 décès par .100 000 habitants) entre 1998 et 2006, notamment grâce au Programme alimentaire scolaire (petit-déjeuner, déjeuner et collation gratuits dans les écoles publiques) et au réseau Mercal de nourriture subventionnée. La part du Produit intérieur brut consacrée à l’éducation, qui était de 1,7% en 1993 et de 1,6% en 1998, est passée à 4,3% en 2005. D’après les chiffres de l’Unesco, l’analphabétisme a été éradiqué au Venezuela. De 1996 à 2006, la mortalité infantile a diminué de plus d’un tiers. Le nombre de médecins généralistes dans le secteur public a plus que décuplé, fournissant des soins médicaux à des millions de Vénézuéliens qui n’y avaient pas accès. (…) Par ailleurs, Chavez n’était pas contre le peuple américain, notamment les plus démunis. En janvier 2006, Hugo Chávez avait lancé une opération de réduction de 40% du prix du fioul exporté aux États-Unis, en faveur des Américains pauvres. Il donne suite à une promesse faite en septembre 2005, après la catastrophe de l’ouragan Katrina.(1)

La diabolisation occidentale de Chavez

C’est dire que sur le plan social ce fut un succès que les dirigeants précédents et même en Occident n’atteindront jamais, il n’ya qu’à voir la détresse des besogneux en Grèce, et pratiquement dans tous les pays occidentaux où le néolibéralisme prédateur au nom de la «liberté du renard dans le poulailler» achève de détruire les emplois, les espérances de millions de personnes. La devise occidentale pourrait être résumée par cette formule «Il faut démolir le soldat Chavez» pour tout ce qu’il réussit, et pour ne pas rentrer dans le rang.

Eduardo Febbro écrit: «Le président Chávez conspué en Occident était un adversaire commode, permettant aux démocrates occidentaux de se construire une bonne conscience à coups de clichés. Contre qui vont-ils désormais s’acharner? L’Occident a perdu un paladin inimitable, un ennemi sans égal qui, au cours des années passées à la tête du Venezuela, a mis à nu toutes les hypocrisies qui permettent aux démocraties occidentales d’asseoir leur légitimité. Diabolisé par la presse, Hugo Chávez était le miroir inversé à partir duquel les âmes bien-pensantes des pays occidentaux construisaient leur propre image de démocrates honnêtes. Hugo Chávez incarnait, pour les moralistes de l’Ouest, le profil parfait «du nouveau despote sud-américain». Cet homme représentait tout le mal qu’ils pensaient de l’hémisphère Sud: (…) Maintenant, il y a un ennemi de moins grâce auquel se faire des louanges dans le miroir. La mort a emporté un chef d’Etat controversé, dont le verbe implacable mettait en évidence les contradictions moralistes de ceux qui gouvernent le monde selon leurs modèles. Aujourd’hui, les pays occidentaux ont perdu leur adversaire. Ils vont devoir en trouver un autre pour cacher leurs propres faiblesses.»(2)

Le syndrome  hollandais ou la malédiction de la rente

Pour Jean-Jacques Kourliandsky, chercheur à l’Iris (France) le Venezuela est un pays de taille et d’économie modestes. Avait-il converti le Venezuela au communisme cubain? Etait-il un modèle pour les révoltés du monde? Il l’affirmait en tous les cas. Et la presse main stream, de New York à Francfort, sans oublier les journaux de Caracas lui ont fait crédit sans inventaire. (…) En dépit des polémiques avec l’opposition et ses journaux, Il n’y a pas de Pravda chaviste. Le multipartisme est garanti par la Constitution. La vraie rupture aura été celle de la solidarité. Solidarité sociale d’abord, en direction des Vénézuéliens les plus défavorisés. Solidarité extérieure également, qui a été aussi politique d’influence avec le Sud, le Sud voisin de la Caraïbe et d’Amérique du Sud, le Sud plus lointain d’Afrique et du Monde arabe. Cependant, note le chercheur, il y a le revers: «La priorité donnée au pétrole est à la base de cette solidarité nationale et extérieure, définie par le régime comme «socialisme du XXIe siècle». Le Venezuela était un pays victime du syndrome hollandais. Il est à ce jour toujours paralysé par cette malédiction. Avant-hier, avant le pétrole, avant donc 1920, le pays produisait l’alimentation dont il avait besoin. Il exportait du café». (3)

«Aujourd’hui le Venezuela importe sa nourriture comme l’essentiel de sa consommation courante. Les tentatives de diversification agricole et industrielle, ou de création d’un tiers secteur, relèvent du social plus que de l’économie. Comme ses prédécesseurs, le gouvernement est contraint de remettre en dévaluant la monnaie nationale les compteurs à zéro, de temps en temps, pour casser l’inflation et tenter de donner un peu d’air aux survivants du secteur productif. Dévalué en janvier 2010, le Bolivar l’a de nouveau été en février 2013. Ces mesures qui relèvent de l’expédient ne bouleversent pas la tendance. (…) Les autorités de Caracas s’accrochent donc au pétrole, comme à une assurance vie et à une garantie de survie politique. Ce qui peut-être les a conduits à tirer excessivement sur le chéquier Pdvsa. La production de barils/jour est en effet à la baisse depuis plusieurs années. Chavez aura été bien davantage un «missionnaire» accordant une forme de charité nationale aux plus pauvres. Il n’aura en aucune manière été un magicien ou un missionnaire de l’économie ayant permis à son pays de rompre avec le maléfice hollandais, la corruption et avec la délinquance, maux qui affectent de façon structurelle un pays pour bien des raisons souvent qualifié de Venezuela-saudite».(3)

Il y a, de ce fait, une analogie flagrante avec la politique sociale et rentière de l’Algérie; les mêmes travers de corruption, d’intouchabilité prévalent. La malédiction de la rente pétrolière compromet le développement s’il n’y a pas création de richesses. De plus, le budget de l’État est calculé sur la base d’un baril à bas prix – autour de 50 dollars (contre 100 dollars perçus). Peut-être que le moment est venu d’adosser chaque calorie exportée à un développement endogène et pérenne car la rente pétrolière outre le fait qu’elle ne durera pas, stérilise tout effort pour s’en sortir par le savoir, le savoir-faire en un mot, l’effort (4).

Ce qui restera de Chavez

Hugo Chávez a laissé une marque indélébile dans le paysage politique vénézuélien, américain et mondial. Les restes d’El Comandante vont désormais reposer aux côtés de son inspirateur, au mausolée Simon Bolívar. Il existait, et il existera sûrement encore longtemps, une connexion passionnelle entre Hugo Chávez et des millions de Vénézuéliens. Intitulé «Chávez, coeur du peuple», le dernier slogan de campagne du leader latino a tapé dans le mille. «C’est le premier président à s’être réellement préoccupé des pauvres», commente le journaliste révolutionnaire, Miguel Ángel Pérez Pirela, en évoquant les programmes sociaux impulsés par Chávez.» (5)

Pour Rory Carroll, le dirigeant vénézuélien laisse derrière lui un pays alphabétisé et doté d’un bon système de santé, mais aussi trop dépendant du pétrole et dont les infrastructures partent en lambeaux. Toutefois, ce ne sont pas ses accomplissements dans le domaine de la démocratie qui sont les plus critiquables, mais ses compétences en tant que gestionnaire. Après avoir empoché pendant dix ans des revenus pétroliers sans précédent, d’un montant de 1000 milliards de dollars, le Venezuela tombe en morceaux (…) L’économie est biaisée par les subventions et les contrôles. On peut faire le plein pour environ 40 centimes d’euro, mais il faut se battre pendant des mois pour monter son entreprise. Des parasites, surnommés les «boligarques», jouent les flambeurs avec les milliards qu’ils détournent grâce à leurs contacts au sein du gouvernement. Les revenus à l’exportation du pays dépendent à 96% du pétrole, contre 80% il y a dix ans. Il s’est opposé à George Bush sur l’Irak, a encouragé le renouveau de la fierté nationale dans une Amérique latine qui a retrouvé de l’assurance, et le tout avec style et charisme.»(6)

La mort de Chavez est elle naturelle ?

Des soupçons pèsent sur cette loi des séries s’agissant des dirigeants sud américains ; Nous lisions dans cette contribution : « …Outre Chavez, différentes formes de cancer ont été diagnostiquées chez l’ex-président argentin Raul Alfonsin (mort en 2009) et la dirigeante actuelle du pays Cristina de Kirchner, l’ex-président brésilien Lula da Silva et la présidente actuelle Dilma Rousseff, ainsi que chez l’ancien chef de l’Etat paraguayen Fernando Lugo »

De ce fait , certains à l’instar  du dirigeant du Parti communiste de la Fédération de Russie (KPRF), Guennadi Ziouganov, « affirme que  la mort du président vénézuélien Hugo Chavez n’est pas fortuite et qu’elle doit faire l’objet d’une enquête internationale ».

« Comment expliquer le fait poursuit Guennadi Ziouganov que six leaders de pays latino-américains qui   tentaient de former leur propre bloc influent pour devenir souverains et indépendants, ont soudainement contracté la même maladie que Chavez? », a demandé M. Ziouganov interrogé par la chaîne de télévision Rossiya 24. « Je pense que cet épisode est loin d’être fortuit », a souligné le chef du KPRF, ajoutant qu’il fallait « engager une enquête, y compris sous contrôle international ».(7)

Le Chavez religieux

Deux citations d’Hugo Chávez éclaircissent sa pensée: «Parmi les éléments qui pourraient définir le socialisme du xxie siècle, je dirais que la première caractéristique est l’élément moral. Il faut commencer par cela, par la conscience, par l’éthique. Le Che a beaucoup écrit sur la morale socialiste. Quelle que soit la vision du monde que l’on a, il faut nous réapproprier le sens éthique de la vie. Ce que je dis là tient sans doute beaucoup du christianisme: «Aimez-vous les uns les autres» ou «Aimez votre prochain comme vous-même.» En réalité, il s’agit de ceci: de la solidarité avec le frère. Il s’agit de la lutte contre les démons que le capitalisme a semés: l’individualisme, l’égoïsme, la haine, les privilèges. Je suis chrétien et je pense que le socialisme doit se nourrir des courants les plus authentiques du christianisme.» (1)

Chavez à sa façon, était soumis à Dieu ( traduction du mot musulman) – le président Bouteflka appréciant ses actions en direction des pauvres, lui aurait dit qu’il était un bon musulman-.  Chavez était sur le pas du Christ en termes d’humilité, de devoir, d’alléger les souffrances des faibles. C’est la théologie de la libération en action.

On comprend qu’il soit contre le décorum de l’Eglise. «Lors d’un discours, il a déclaré que l’Église catholique ainsi que d’autres courants essayaient de manipuler le christianisme pour en faire un opium du peuple, mais qu’au Venezuela, la religion chrétienne restait l’énergie du peuple et qu’elle était source de justice sociale, de lutte pour la dignité de l’être humain, d’égalité et de liberté.» (1)

Il est à espérer que son dauphin, Nicholas Madéro, s’il est élu, perpétue l’héritage humaniste, le sacerdoce de Chavez. Il devra cependant, changer de fusil d’épaule, et investir pour créer de la richesse hors hydrocarbures car la rente est éphémère. Alors, la révolution bolivarienne aura de beaux jours devant elle et peu importe ce qu’en pensent les pays capitalistes qui eux, curieusement, font des espérances de leurs travailleurs vulnérables des variables d’ajustement.

Nous dédions cet hommage à Chavez qui reprend et adapte pour la circonstance, celui fait à Che Guevara dans «Hasta siempre» chanson écrite en 1965 par Carlos Puebla et chantée par Nathalie Cardone et tant d’autres: «Aprendimos a quererte Aqui se queda la clara, de tu querida presencia Comandante Chavez», «Nous avons appris à t’aimer Ici il reste la clarté De ta chère présence Commandant Chavez» «Hasta siempre comandante», «Pour toujours commandant».

Professeur Chems Eddine Chitour

Ecole Polytechnique nep-edu.dz

 

1. Chavez: Encyclopédie Wikipédia

2.Eduardo Febbro Página 12 http://www.courrierinternational.com/article/2013/03/06/hugo-chavez-le-leader-diabolise-par-l-occident

3. Hugo Chavez, un missionnaire de l’économie solidaire Le Monde.fr 07.03.2013

4. C.E. Chitour http://www.legrandsoir.info/hugo-chavez-le-phoenix-tranquille.html

5.http://billets-du-temps-perdu.blogspot.fr/2013/03/adios-companero-adios-el-comandante.html

6. Rory Carroll: Les nombreuses contradictions d’Hugo Chávez The Guardian 6 mars 2013

7. http://fr.ria.ru/world/20130306/197720378.html

 



Articles Par : Chems Eddine Chitour

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