Comment la peur et l’ignorance accouchent l’imprédictibilité aux États-Unis d’Amérique

« Lorsque toutes les institutions sont sous le dictat d’une pensée ou d’un parti unique, je veux parler des 3 pouvoirs de l’état, législatif/judiciaire/exécutif, le citoyen devient héros. Le dernier bouclier défendant la liberté. Montesquieu, Hobbes et Fanon sont en danger».

Tout au début, j’avais la perception que : a)  l’élection présidentielle américaine de 2016  allait être une tâche facile ; b)  Hillary Clinton ferait une bouchée du concurrent républicain et entre dans l’histoire comme la première femme élue à la présidence des Etats-Unis. Ainsi, elle aurait laissé une empreinte indélébile tout comme Barak Obama qui devint le premier président noir américain 8 ans de cela, soit en 2009. Cette introspection a été due aux discours réactionnaires des candidats conservateurs au primaire du parti républicain. Ils étaient tous des va-t-en guerre, extrêmement xénophobes, dénonçant rageusement l’immigration, en exaspération contre l’Islam ;  parfois, ils étaient brutalement racistes. Je n’étais pas le seul à avoir cette sensation, car traditionnellement  les américains moyens  votent au milieu.  Beaucoup d’anciens candidats à la présidence en avaient fait la désagréable expérience.

Mitt Romney, l’ancien candidat perdant républicain de 2012, a résumé son échec électoral  comme suit : « Je pense que la plus grosse erreur que j’ai commise, je ne me concentrais pas assez tôt sur les électeurs des minorités. »

Katie Packer Gage, ancien manager de la campagne de Mr Mitt Romney a partagé cette même réflexion documentée,  à savoir que : « Les candidats perçus comme anti-immigration vont commencer l’élection générale avec  un désavantage de 24 points parmi les électeurs probables… ». D’où l’importance de l’immigration dans les élections. Tous des éléments justificatifs confortant ma lecture du théâtre politique. C’était mal calculé. Car, d’autres raisons beaucoup plus fondamentales et profondes occupaient les esprits de « l’Amérique profonde ».

Apres la fin catastrophique de la doctrine momentanée qualifiée de « troisième voie » en Europe dans les années 2000 (marquée par Clinton, Tony Blair et Lionel Jospin), la droite extrême refaisait surface. Depuis lors, les dirigeants populistes ne cessent de menacer la citadelle politique datée de la période  d’après-guerre, soit en 1945. Avec des millions de refugiés qui envahissent les terres de l’occident durant ces dernières années, les vieux démons racistes en profitent pour requérir  le  pouvoir. Jörg Haider a failli de peu prendre le pouvoir en Hongrie ; Jean Mary Lepen (père de Marine Lepen), au cours de l’année 2002 fut au deuxième tour de la présidentielle française. Le 23 mai 2016 dernier, Norbert Hofer était à deux doigts de gagner les élections autrichiennes ; Marine Lepen, leader du « Front National » conserve une bonne chance de gagner la présidentielle française de 2017. D’aucuns pensaient que les Etats-Unis étaient immunisés par cette pandémie extrême-droitiste. C’était bien compté, mais mal calculé !

Démographie et Immigration

Beaucoup de penseurs progressistes s’illusionnent des prétendus liens qui existeraient entre Vladimir Putin, le maitre de Moscou, et Donald Trump, président élu des Etats-Unis d’Amérique, comme une lueur d’espoir. Deux hommes de différentes cultures et d’expériences : Putin fait ses premières armes dans les allées du parti communiste soviétique, puis dans les rangs du KGB comme colonel de renseignement ; Trump, un capitaliste né _ son intérêt favori est l’art d’accumuler des sommes d’argent. Donc,  la juxtaposition est d’ordre stratégique basée sur des ramifications culturelles, dépourvue de toute velléité idéologique progressiste. Russes et Américains, comme l’ensemble des pays occidentaux, ont en commun le spectre de la prédiction de « 2050 ».

Le département des affaires économiques et sociales des nations-Unies (UNDESA) avait déjà considéré un grand décalage au niveau de la population mondiale d’ici 2050. A partir de cette date, il est prévu que la population russe passera de 143 millions aujourd’hui,  à 114 millions. Présentement, 197 millions d’habitants des Etats-Unis sont blancs ; ils représentent  67% de la population, donc largement majoritaire. En 2050, ils passeront à 47%, donc infiniment minoritaire.  Nicholas Eberstadt, spécialiste en démographie, a fait la projection suivante : « En 1995, l’estimation des  populations de l’Europe et de l’Afrique étaient presque exactement égales. En 2050, par ces projections, les Africains dépasseraient les Européens de plus de 3 à 1 ». Jose Angel Gutierrez, professeur de sciences politiques dans l’état de Texas, traduit élégamment l’angoisse occidentale en ces termes : « Nous avons une population blanche vieillissante. Ils ne font plus de bébés. Donc, Ils disparaissent. L’explosion démographique est dans notre population (Mexique). Ils chient de peur dans leur pantalon. J’adore ça. » L’incontestable réalité, c’est que l’Occident cesse d’enfanter. Entretemps, L’Asie, l’Afrique et l’Amérique Latine continuent de mettre régulièrement au monde des millions d’enfants, conformément au livre de Genèse chapitre 17 : 6.

L’Occident  fait l’expérience de  la dépopulation qui le hante depuis des décennies. Il a un grand besoin d’immigrants. Mais, il entend emplir cette vacuité selon son propre terme. Le seul problème, c’est que le monde n’est plus ce qu’il était autrefois quand on introduisait l’esclavage en Amérique au 16e siècle. Si le néo-libéralisme remplace l’esclavage, par contre, les peuples ne sont plus les innocents d’antan. Ils réagissent différemment, conformément à leurs intérêts. L’appauvrissement des pays de la périphérie, les guerres civiles fomentées, les déstabilisations des gouvernements inamicaux produisent des effets non escomptés. La plus fulgurante d’entre eux : le flux de refugiés. Donc, l’immigration. Les émigrés n’attendent plus les invitations comme dans les années 60.  Ils s’invitent eux-mêmes chez les occidentaux. Certains disent qu’ils vont là où leurs richesses sont volées et entassées. Les Haïtiens prennent d’assaut les côtes de la Floride ;  les Mexicains escaladent les barbelés de « Tijuana » ;  Africains et Méditerranéens envahissent l’Europe.

La conséquence est manifeste. L’extrême droite, à partir de cette marée humaine qui entre et séjourne « illégalement » dans les pays occidentaux,  trouve l’arme fatale pour pervertir les faibles d’esprit. Maintenant, le populisme découvre  la cible idéale pour jeter les blâmes de tous les maux qui frappent leur pays. Le vent en pourpre, l’extrême droite fait la pluie et le beau temps en Europe ;  maintenant, elle saisit le pouvoir au cœur même de la capitale du monde dit civilisateur.

Race et Culture

Les Etats-Unis d’Amérique ont une population dense de 324.707.000 habitants dont 197 millions sont blancs (incluant les immigrants d’Europe et ceux du Moyen-Orient), représentant  67.7% de la population globale. Le 4 novembre 2008, un événement soudain arriva aux Etats-Unis. Barak Obama, le charismatique sénateur noir de l’état d’Illinois fut élu président contre la sénatrice Hillary Clinton. A mon avis, on dirait que l’Amérique majoritairement blanche se trouvait dans un état  léthargique, puis  se réveilla le 20 Janvier 2009, pour retrouver un descendant direct de l’Afrique à la maison blanche. Ce fut un cataclysme blanc !

L’Amérique fut abasourdie par ce coup de grisou impressionnant. Prise au dépourvu, l’Amérique blanche préparait sa revanche. Cette frange de la société constatait avec agacement la présence de Michelle et de Barak Obama accompagnés de leurs filles habitant la maison blanche. Édifice qui représente pour elle le haut symbole de la domination raciale. La citadelle avait été prise d’assaut et investie par la ruse, sans le tir d’un coup de fusil. Il faut la récupérer. D’ailleurs, Pamela Taylor _  habitante l’ouest de la Virginie_  a exprimé bien haut ce que des millions pensent tout bas, à savoir et je cite : « Ce sera rafraîchissant d’avoir une première Dame élégante, belle et digne à la Maison Blanche. Je suis fatiguée de voir un singe en talons (Michelle Obama).  » Il faut que ce soit remarquable, spectaculaire et ahurissant en plaçant le cynisme au pouvoir !

Donald Trump, le plus virulent des adeptes du discours enflammé,  gagnait haut la main les primaires républicains. Les modérés du parti de Lincoln sortaient par la petite porte. Automatiquement, je me suis rendu compte à l’évidence  que nous sommes en face d’une situation spéciale. C’est-à-dire d’un mouvement. Le leader n’est rien d’autre que Donald Trump. Un monsieur qui se passe de présentation, tantôt libéral, tantôt  conservateur. Cette fois avec un discours indigne de «l’Amérique terre de mansuétude », mais qui répond aux revendications d’une masse de citoyens, à forte majorité blanche. Donc, Donald n’est le fils de personne. Il est lui-même.

Au fur et à mesure qu’il se lançait dans des diatribes particulièrement pro- fascistes, sa popularité augmentait exponentiellement. Il est devenu un demi-dieu. Des milliers de personnes se déplaçaient pour l’écouter. Il traduit l’aspiration d’une grande frange de la société américaine  que Richard Nixon aimait appeler « la majorité silencieuse », c’était  pour décrire les transfuges du parti démocrate qui, après la signature de l’accord sur les droits civiques par Lyndon Johnson en 1964, abandonnèrent le parti démocrate.

En filigrane, « le vers est dans le fruit ». Le contrat social conclu en 1865, après la cruelle guerre de sécession, arrive à expiration. Il faut redéfinir les paramètres politiques et culturels du pays. Les Etats-Unis cessent d’être formellement une nation chrétienne unie depuis plusieurs décennies. La cour suprême, quoique conservatrice, ratifie par contre des lois anti chrétiennes, par exemple le mariage homosexuel. Libéraux et conservateurs s’affrontent en permanence sur tous  les fronts, ce qui rend la cohabitation périlleuse, parfois impossible. Le vote de Donald Trump traduit cet aspect de la vie américaine.

Ce brassage culturel, dénoncé avec loquacité par les conservateurs, a atteint son paroxysme. Ils mettent en garde contre la redéfinition de l’identité américaine, s’il en reste une. Pour accomplir cette lourde tâche, il faut recourir à des moyens extrêmes, incluant la violence et l’isolationnisme. Imaginons l’Amérique « civilisatrice des peuples »,  pour préserver sa culture, n’hésite pas à s’enfermer dans une cage, loin des immigrants. On oublie que les échanges entre les peuples ne se font pas en sens unique. De Marco Polo, en passant par Christophe Colomb jusqu’à jacques Cousteau, les civilisations s’entremêlent pour créer une symbiose.

Nous sommes au lendemain du monde nouveau que chantait John Lennon dans «  Imagine » :

« Imagine qu’il n’y ait pas de pays/Ce n’est pas difficile à faire/Aucune raison de tuer ou mourir pour/Et pas de religion non plus/Imaginez tous les gens/Vivre la vie en paix »

Le 30 juin 1991, l’apartheid fut aboli en Afrique du sud. Une date qui, malgré sa grandeur dans les annales de lutte pour  « la saison des hommes », marque aussi pour beaucoup une dégradation. Elle annonce le début d’une fin de règne que les « les blancs peureux » ne cessent de mettre en garde contre son arrivée. L’événement zimbabwéen, lui aussi effraie une bonne partie de la population blanche qui domine les richesses, la culture et le monopole international de la violence. Pour eux, Mathieu 20 : 16 prend la forme humaine et menace leur domination dans le monde. La peur est un élément clé dans l’arsenal de la manipulation idéologique et politique des masses faibles d’esprit.

Cette guerre culturelle américaine a maintenant atteint son point culminant. Les milieux conservateurs, coincés à la défensive de plus d’un demi-siècle, livrent  un combat acharné. « La meilleure façon de se vendre est de passer à l’offensive ». Le problème, c’est que Trump n’est pas un véritable conservateur. Cette pesante charge de ramener l’union dans les limites des grandes valeurs traditionnelles des père-fondateurs devrait être guidée par un authentique idéologue, non un « salesman ». Donc, la victoire du 8 novembre 2016 est éphémère. Sa survie est déjà comptée. L’histoire ne fait jamais marche-arrière. Ceux qui festoient aujourd’hui pleurent demain. Trump deviendra le pire ennemi à combattre par ces mêmes groupes ultra conservateurs qui l’ont propulsé au pouvoir. D’ailleurs, la résistance citoyenne se fait déjà sentir. Lorsque toutes les institutions sont sous le dictat d’une pensée unique ou d’un parti, je veux parler des 3 pouvoirs de l’état (législatif/judiciaire/exécutif) le citoyen devient héros. Le dernier bouclier défendant la liberté. Montesquieu, Hobbes et Fanon sont en danger. La démocratie est dans l’impasse en plein cœur de l’Amérique.

En dernier lieu, on peut se poser d’autres questions sur la nature réelle de cette situation de crise qui menace la société américaine, de l’intérieur. N’est-elle pas la manifestation corollaire d’une crise beaucoup plus profonde ? N’est-elle pas le début du déclin de l’hégémonie américaine. Ces contradictions, comme je les ai décrites plus haut, affichent des caractères ingérables. Si c’est le cas, ne faudrait-il pas que le monde se prépare à une crise généralisée, car tout déclin de cette envergure peut entrainer un effet domino. D’où la nécessité de se mettre en garde contre tout débordement autoritaire pour ne pas reproduire le même schéma néo-colonial.

Joël Léon

 

 

Références :

1-Migration Policy Institute-MPI

2-American Community Survey-ACS

3-Allan J. Lichtman –“The keys of the white house”

4-Natalie Dickinson-West Virginia under fire for racist Michelle Obama.

5-Larry Bartels& John Zaller- “Presidential vote models” (March 2001)

6-Pat Buchanan- “The death of the west”.

7-US Census Bureau

8-United Nations Department of Economics and Social Affairs-UNDESA

9-Politico.com-June 2015

10-Chris Cillizza- “How immigration could cripple the republican nominee long before 2016 election” (Washington post, June 2015)

11-Felicia J. Persaud- “Haiti makes its way into last US presidential debate” (News Americas)

12-Frantz Fanon- “Les Damnés de la Terre »

13-Montesquieu- «  L’esprit des Lois »

14-Thomas Hobbes- « Léviathan »



Articles Par : Joël Léon

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