Corée du Sud : le miracle démasqué

Série : Les 70 ans de Bretton Woods, de la Banque mondiale et du FMI (partie 13)

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La prétendue réussite de la Corée du Sud a été obtenue grâce à une politique opposée au modèle proposé par la Banque mondiale. Loin d’une accumulation vertueuse reposant sur les bienfaits du marché libre, le développement économique de la Corée du Sud a été permis par « une accumulation primitive brutale reposant sur les méthodes les plus coercitives pour fabriquer la ‘‘vertu’’ par la force » (J-P. Peemans). La Corée a atteint les résultats que l’on connaît sous le joug d’un régime dictatorial et particulièrement répressif protégé par les États-Unis dans le contexte de la lutte contre les régimes dits socialistes. La Corée a adopté un modèle productiviste particulièrement peu respectueux de l’environnement. La voie coréenne n’est ni recommandable ni reproductible. Mais elle mérite d’être étudiée.

Selon la Banque mondiale, la Corée du Sud constitue une indéniable réussite.

Si l’on s’en remet à la version de la Banque, les autorités du pays auraient recouru aux emprunts extérieurs de manière efficace, auraient attiré les investissements étrangers et les auraient utilisés pour mettre en place un modèle de développement réussi, basé sur la substitution des exportations. Le modèle d’industrialisation par substitution des exportations constitue l’alternative de la Banque mondiale (et d’autres) au modèle d’industrialisation par substitution d’importations (qui implique de fabriquer sur place les produits auparavant importés). La Corée, plutôt que de produire ce qu’elle importait, aurait adapté ses activités exportatrices à la demande du marché mondial tout en réussissant à favoriser les industries qui fournissent un pourcentage élevé de valeur ajoutée. Elle aurait remplacé des exportations de produits à peine transformés (ou des matières premières) par des marchandises dont la fabrication aurait requis une technologie avancée. Selon la Banque, l’État coréen serait intervenu de manière modeste pour soutenir l’initiative privée et garantir le libre jeu des forces du marché. En réalité, la voie coréenne à l’industrialisation et à la croissance soutenue contredit très largement la version de la Banque.

Je précise d’emblée que je ne considère pas du tout la Corée comme un modèle à suivre, et ce pour des raisons éthiques, économiques et sociales. La Corée a atteint les résultats que l’on connaît sous le joug d’un régime dictatorial et particulièrement répressif protégé par les États-Unis dans le contexte de la lutte contre les régimes dits socialistes. La Corée a adopté un modèle productiviste particulièrement peu respectueux de l’environnement. La voie coréenne n’est ni recommandable ni reproductible. Mais elle mérite d’être étudiée.

La prétendue réussite coréenne a été obtenue grâce à plusieurs facteurs. Les principaux sont une très forte intervention de l’État (celui-ci a dirigé le processus d’une main de fer), un soutien financier (sous la forme de dons) et technique très important des États-Unis, la réalisation dès le départ d’une réforme agraire radicale, l’application d’un modèle d’industrialisation par substitution d’importation pendant 25 ans se muant progressivement en substitution d’exportation (le second n’aurait pas été possible sans le premier), l’utilisation permanente de la répression à l’égard du mouvement ouvrier (interdiction de syndicats indépendants), la surexploitation des paysans et des ouvriers, le contrôle de l’État sur le secteur bancaire, l’application d’une planification autoritaire, un contrôle strict sur les changes et sur les mouvements de capitaux, la fixation des prix par l’État pour une large gamme de produits, la bienveillance des États-Unis qui ont toléré de la part de la Corée ce qu’ils refusaient à d’autres pays. L’État coréen a aussi réalisé un important effort en terme d’éducation, ce qui a permis de fournir aux entreprises une main d’œuvre très qualifiée.

Ajoutons que la pauvreté en ressources naturelles a paradoxalement favorisé le développement de la Corée du Sud car le pays a évité la convoitise des transnationales et celle des États-Unis. Ceux-ci considéraient la Corée comme une zone stratégique du point de vue militaire face au bloc dit communiste, pas comme une source cruciale d’approvisionnement (ce qui est le cas du Venezuela, du Mexique ou des pays du Golfe persique). Si la Corée avait été dotée de fortes réserves de pétrole ou d’autres matières premières stratégiques, elle aurait été considérée comme une zone d’approvisionnement et n’aurait pas bénéficié de la même marge de manœuvre pour se doter d’un puissant appareil industriel. Les États-Unis ne sont pas prêts à favoriser délibérément l’émergence de concurrents puissants dotés à la fois de grandes réserves naturelles et d’industries diversifiées.

Le contexte politique et géostratégique

Un accord américano-nippon signé en 1905 définit les zones d’influence respectives du Japon et des États-Unis dans le sud-est asiatique. Aux États-Unis reviennent les Philippines qu’ils avaient conquises en 1902. Taiwan (annexée dès 1895) et la Corée reviennent notamment au Japon. En 1910, le Japon annexe la Corée. Le Japon fit de la Corée un grenier agricole, puis une sorte d’annexe à tout faire de l’industrie japonaise. Lorsque l’impérialisme japonais est défait à l’issue de la Seconde Guerre mondiale, il abandonne en Corée des installations modernes en matière de transports et d’électricité, une industrie relativement importante, allant du textile à l’armement en passant par la chimie et la construction mécanique, ainsi qu’un système bancaire complet. Mais l’industrie en Corée ne constitue pas un ensemble cohérent car elle a été construite pour répondre aux besoins du Japon. L’industrialisation concerne principalement le nord de la Corée (la future Corée du Nord) tandis que le sud est à dominante agraire. La bourgeoisie est particulièrement peu développée car la domination japonaise ne lui a laissé que très peu de place. En comparaison de l’Argentine à la même époque, la Corée est un pays qui est nettement défavorisé en terme de développement industriel.

En vertu des accords de Yalta de février 1945 entre les États-Unis, la Grande-Bretagne et l’URSS, et en particulier la partie qui fixait les conditions d’entrée en guerre de l’Union soviétique contre le Japon, la Corée devait être occupée par les troupes soviétiques au nord du 38e parallèle et par celles des États-Unis au Sud de cette ligne |1|. Les troupes soviétiques arrivent les premières, en août 1945, et sont accueillies en libératrices. Elles sont accueillies par un vaste mouvement de libération anti-japonais qui s’est doté d’un réseau de comités populaires qui constituent la base du nouvel appareil d’État. Cet État réalisa rapidement une série de réformes nationales, démocratiques et anticapitalistes. Parmi les mesures qui rencontrèrent un puissant écho populaire figurait une réforme agraire radicale. L’évolution ultérieure du régime de la Corée du Nord et sa dégénérescence bureaucratique et autoritaire ne doit pas faire oublier les succès économiques du début.

Au sud du pays, les choses se déroulent différemment. Les troupes américaines ne débarquent que le 8 septembre 1945, six jours après la capitulation des troupes japonaises et deux jours après la proclamation à Séoul, par une assemblée nationale des comités populaires anti-japonais, d’une république populaire de Corée. Ce nouveau pouvoir avait déjà, avant l’arrivée des troupes américaines, désarmé les Japonais, libéré les prisonniers politiques et arrêté les collaborateurs. Cependant quand les nationalistes se présentent à l’état-major américain pour proposer leur collaboration, leur pétition affronte une fin de non recevoir. Le 9 septembre est mis en place le Gouvernement militaire des États-Unis en Corée (U.S. Military Government in Korea – USAMGIK) qui constituera l’autorité principale jusqu’en 1948. En février 1946, l’état-major américain met en place un gouvernement civil coréen sous tutelle du Gouvernement militaire des États-Unis en Corée. Ce gouvernement civil est présidé par Syngman Rhee, homme politique de droite revenu en Corée en octobre 1945, après avoir passé 39 des 41 années précédentes aux États-Unis. Comme force politique coréenne, Washington préfère placer au pouvoir gouvernemental le Parti démocratique coréen (KDP), un parti anti-communiste formé légalement durant l’occupation japonaise, pour représenter les intérêts des classes possédantes coréennes. Bientôt, le KDP subit un ravalement de façade hâtif sous le nom de Parti libéral. Aux côtés de Syngman Rhee, on trouve donc d’anciens collaborateurs des occupants japonais et l’appareil du nouvel État conserve en grande partie les cadres du temps de la colonie, notamment en ce qui concerne les forces répressives. Une CIA coréenne est créée et porte de manière significative le nom de KCIA (Korean Central Intelligence Agency). Elle laisse encore aujourd’hui un souvenir sinistre dans la mémoire collective.

Le régime mis en place par les États-Unis est très impopulaire. En 1946 et en 1948, la protestation prend la forme de soulèvements populaires très durement réprimés. Le Conseil général des syndicats coréens (GCKTU), dirigé par les militants du Parti communiste, compte plusieurs centaines de milliers de membres et est à la tête des manifestants. Il subit de plein fouet la répression et finit par être interdit en 1948. La répression se poursuit après 1948, la commission des Nations unies sur la Corée signale en août 1949 que dans les huit mois précédant le 30 avril 1949, 89.710 personnes ont été détenues en vertu du ‘Décret pour la protection de la paix nationale’. Les pertes en vies humaines se chiffrent en milliers, voire en dizaines de milliers. Plusieurs leaders historiques de la lutte anti-japonaise n’ayant pas d’attache avec les communistes sont assassinés par le régime de Syngman Rhee.

Lorsqu’en 1948, la division du pays est institutionnalisée avec la création de la République de Corée au sud du 38e parallèle, une très large majorité des forces politiques du pays y est opposée. Quand éclate la guerre de Corée en juin 1950, l’avancée rapide des forces nord-coréennes au sud n’est que très partiellement due à des raisons militaires. C’est en partie la conséquence logique de l’absence de soutien populaire réel au régime de Syngman Rhee. Selon l’histoire officielle de la guerre de Corée de l’armée américaine, l’armée sud-coréenne ‘s’est désintégrée’ |2|. On assiste à des désertions en masse.

La guerre fait rage pendant trois ans et met le monde au bord d’une troisième guerre mondiale. L’armée des États-Unis intervient massivement avec l’appui de ses alliés occidentaux, 300 000 soldats occidentaux sur mandat de l’Organisation des Nations Unies |3| combattent aux côtés de l’armée sud-coréenne. Ils affrontent l’armée nord-coréenne et un fort contingent chinois (les estimations varient entre 500 000 et 850 000 hommes). Le bilan en vies humaines : trois millions de morts dans la population coréenne. Au cours de la guerre, le régime de Syngman Rhee recourt à une répression féroce contre la gauche sud-coréenne. Certaines sources mentionnent le chiffre de 100 000 exécutions ou assassinats de militants opposés au régime |4|. L’armistice du 27 juillet 1953 ramène les troupes des deux camps pratiquement à leur point de départ, de part et d’autre du 38e parallèle.

Bourgeoisie coréenne sous tutelle de l’État

Laissé en possession d’une industrie arriérée et d’un système financier autrefois aux mains des Japonais |5|, le gouvernement de Syngman Rhee s’en sert, avec la bénédiction du Gouvernement militaire des États-Unis en Corée (USAMGIK), pour récompenser et consolider la loyauté de la couche de possédants qui constituent sa clientèle politique. Les nouveaux industriels prospèrent, non pas grâce à leurs propres investissements, car ils n’ont guère de capitaux propres, mais grâce aux revenus de l’impôt et surtout aux subsides des États-Unis que la dictature leur redistribue largement. Une politique rigoureusement protectionniste les met de surcroît à l’abri de la concurrence étrangère. Plus tard, la dictature de Park Chung Hee (1961-1979) créera des conglomérats industriels et financiers, les chaebols.

Premier constat  : la bourgeoisie coréenne se développe à l’ombre de l’État. Celui-ci la tient en tutelle et la protège.

L’aide financière extérieure en provenance des États-Unis

Fait totalement escamoté par la Banque mondiale, la Corée n’a pas du tout recouru à l’emprunt extérieur durant les 17 années qui ont suivi la seconde guerre mondiale et, par la suite, elle n’a emprunté que très modérément jusqu’en 1967.
Entre 1945 et 1961, la Corée n’emprunte pas et ne reçoit aucun investissement étranger. Selon les critères de la Banque et de la pensée néoclassique, une telle situation constitue une anomalie.

Par contre, pendant la même période, elle reçoit sous forme de dons de la part des États-Unis plus de 3100 millions de dollars |6|. Cette somme représente tout l’apport extérieur reçu. Le montant est tout à fait considérable : c’est plus du double de ce que le trio Belgique/Luxembourg/Pays-Bas a reçu pendant le Plan Marshall, un tiers de plus que ce que la France a reçu, 10% de plus que la Grande Bretagne. Pour reprendre la comparaison du chapitre 4 sur une période plus longue, les dons reçus par la Corée entre 1945 et 1961 sont supérieurs au total des prêts effectués par la Banque mondiale à l’ensemble des pays en développement ayant accédé à l’indépendance (colonies non comprises).

A partir de 1962, la Corée emprunte mais (supprimer : très) modérément. Entre 1962 et 1966, les dons des États-Unis constituent encore 70% du total des capitaux entrés dans le pays, les emprunts représentant 28% et les investissements étrangers 2%. Ce n’est qu’à partir de 1967 que les entrées de capitaux prennent principalement la forme d’emprunts à l’égard des banques étrangères, principalement japonaises. Et les investissements étrangers ne deviennent importants qu’à partir de la fin des années 1980 alors que la Corée a déjà réussi son industrialisation.

Deuxième constat  : l’industrialisation initiale de la Corée n’a pas du tout dépendu des emprunts extérieurs et des investissements étrangers.

Réforme agraire et action coercitive de l’État sur les paysans

À l’issue de la seconde guerre mondiale, la partie sud de la Corée est encore un pays fondamentalement agraire. La population rurale représente 75% de la population totale jusqu’au début des années 1950.

Les autorités militaires états-uniennes d’occupation procèdent alors à une réforme agraire radicale afin de contrer l’influence communiste |7|. Les grands domaines fonciers expropriés sans indemnisation aux Japonais |8| et avec indemnisation aux grands propriétaires terriens coréens sont démantelés et la masse des paysans se retrouve propriétaire de modestes parcelles de terre |9| (la propriété ne pouvait dépasser 3 hectares par famille ! |10|). L’État est intervenu de manière active et coercitive. La rente que les paysans versaient autrefois aux grands propriétaires a été remplacée par des taxes et des impôts à verser à l’État. En fait, l’État met la main sur le surplus agricole que s’appropriaient auparavant les propriétaires fonciers. L’État impose aux paysans un volume de production à atteindre pour certains produits. Cette quantité doit être fournie aux organismes étatiques à un prix fixé par les autorités. Le prix est très bas, souvent il est inférieur au coût de revient |11|. On estime que « le prix d’achat du riz, jusqu’en 1961, ne permettait pas aux paysans de couvrir l’ensemble de leurs coûts de production et qu’ils sont restés largement inférieurs aux prix du marché jusqu’en 1970. Jusqu’en 1975, les offices de commercialisation publics contrôlaient au moins 50% des quantités de riz mises sur le marché et ce montant atteignait 90% pour l’orge » |12|.
En résumé, en échange de l’accès à la propriété de la terre, la paysannerie coréenne libérée des grands propriétaires fonciers a dû travailler pour l’État.

Troisième constat : l’État est intervenu de manière despotique en imposant une réforme agraire radicale basée notamment sur l’expropriation sans indemnisation des grands propriétaires japonais. La réforme agraire a été entreprise pour couper l’herbe sous les pieds des communistes. Les paysans se sont retrouvés soumis à une très forte contrainte de la part de l’État.

Utilisation du surplus agricole au profit des villes et de l’industrialisation

L’État qui fixe les prix à l’achat (aux paysans) et à la vente (aux consommateurs) fournit les aliments à prix subventionné -donc bas- (à commencer par le riz) à des secteurs sociaux qu’il considère comme stratégiques, notamment l’énorme bureaucratie d’État.

Par ailleurs, mettre le bol de riz à la portée de la population urbaine et notamment du prolétariat industriel naissant permet de maintenir des coûts salariaux à un niveau plancher.

En outre, les impôts et taxes payés par les paysans sont utilisés par l’Ėtat pour des investissements dans les infrastructures de communications, l’électricité et l’industrie.

Comme le dit Jean-Philippe Peemans, à propos de l’effort imposé aux paysans : « Il ne s’est agi en rien d’une accumulation vertueuse reposant sur les vertus du marché, mais bien d’une accumulation primitive brutale reposant sur les méthodes les plus coercitives pour fabriquer la ‘‘vertu’’ par la force » |13|.

Quatrième constat : l’État ne permet pas le libre jeu des forces du marché pour fixer les prix, il les fixe d’autorité.

Cinquième constat : l’État fait peser une très lourde charge fiscale sur les paysans. Les néolibéraux dénoncent habituellement la « rage taxatoire » de l’État. La Corée du Sud en offre un bon exemple.

L’utilisation de l’aide financière extérieure

Deux sources principales alimentent les caisses de l’État coréen : les taxes et impôts (principalement en provenance des paysans) et l’aide extérieure fournie par les États-Unis. Il faut préciser que jusqu’en 1961, une partie de celle-ci est fournie en nature au gouvernement de Séoul et est constituée de surplus agricoles des États-Unis (cela représente environ 40% de l’aide). Cette partie ne rentre évidemment pas dans les caisses de l’État. Le reste alimente en cash les caisses de l’État et est utilisé pour payer les importations achetées aux États-Unis. Une partie de ces importations est constituée de biens d’équipement qui servent à l’industrialisation du pays. 71% des investissements effectués par l’Ėtat sont financés jusqu’en 1961 grâce à l’aide des États-Unis |14|. Il convient également de prendre en compte une part non négligeable de l’aide militaire qui représente plus de 1 500 millions de dollars |15|. Une grande partie a servi à la construction de routes, de ponts et d’autres infrastructures qui étaient utilisées pour la production industrielle. Enfin, il faut ajouter les commandes du corps expéditionnaire états-unien au Vietnam – au début des années soixante-dix, celles-ci représentaient à elles seules 20 % des exportations sud-coréennes.

Sixième constat : la Corée du Sud a bénéficié d’une aide extérieure massive de la part des États-Unis. Seuls quelques autres pays ont reçu le même type de traitement : Taiwan en particulier et Israël.

Industrialisation par substitution d’importation

Le développement industriel des années 1950 est essentiellement organisé autour de la production de biens de substitution aux importations, afin de satisfaire les besoins du marché intérieur, notamment dans l’agro-alimentaire et le textile. Ces deux secteurs représentent 55% de la production industrielle en 1955. L’industrie était centrée sur la transformation du coton et la production sucrière et de farine de riz. Le secteur manufacturier ne représentait encore que 10% du PNB en 1955.

Septième constat : la Corée applique une politique d’industrialisation par substitution d’importation dans les années 1950 qui sera renforcée dans les années 1960.

La politique économique de la dictature militaire de Park Chung Hee (1961-1979) |16|

La dictature corrompue de Syngman Rhee fut renversée par le soulèvement urbain initié en avril 1960 par les étudiants. Un profond courant de centralisation politique se développa rapidement au sein des masses urbaines mobilisées sous le mot d’ordre central de « l’unification pacifique de toute la Corée » lancé et mis en avant par le mouvement étudiant depuis la fin 1960.

Le coup d’arrêt des mobilisations est porté par le coup d’État du général Park Chung Hee qui met en place une dictature militaire. Celle-ci renforce encore l’intervention étatique dans l’économie. Le nouveau régime nationalise l’ensemble du système financier, des plus grandes banques à la plus petite compagnie d’assurance, pour en faire le bras séculier de son intervention dans l’économie.

A partir de 1962, le financement extérieur évolue progressivement mais les dons restent la source principale jusqu’en 1966. Les États-Unis poussent la Corée à renouer des relations économiques avec le Japon. Le Japon passe un accord de dix ans (1965-1975) qui prévoit une aide économique de 500 millions de dollars dont 300 millions sous forme de dons.

La Corée contracte son premier prêt auprès de la Banque mondiale en 1962 et signe un premier accord avec le FMI en 1965 (sous pression des États-Unis). La volonté de collaboration de la dictature coréenne avec la Banque repose sur des objectifs plus politiques qu’économiques. A posteriori, Mahn-Je Kim, qui a été vice-Premier ministre, ministre des Finances et ministre de la Planification économique sous la dictature de Chun Doo Hwan dans les années 1980 |17| et qui est devenu ensuite président d’une entreprise sidérurgique (POSCO), se félicite des bonnes relations avec la Banque mondiale et tire un bilan positif du régime militaire. Il écrit sans détour que la Banque a aidé le dictateur Park à gagner du soutien tant sur le plan international que national : “Une telle reconnaissance par la Banque – la principale autorité parmi les organisations internationales de développement – a eu une influence positive sur les relations internationales de la Corée mais plus encore au niveau national. En effet, cette reconnaissance a pleinement justifié l’existence d’un gouvernement dictatorial aux yeux de l’opinion publique coréenne puisqu’il était au service du développement économique » |18|. On ne peut être plus clair sur la complicité de la Banque mondiale avec la dictature.

Le général Park Chung Hee cherche à gagner de l’autonomie à l’égard de Washington en matière de politique économique. Le recours aux prêts de la Banque mondiale à partir de 1962, puis surtout à l’égard des banques étrangères privées à partir de 1967, fait partie de cette volonté de diminuer progressivement la dépendance de la Corée à l’égard du financement provenant du gouvernement des États-Unis. Cela arrange également Washington qui à partir de 1963 prend des mesures pour limiter les sorties de dollars des États-Unis.

Huitième constat : la Banque mondiale soutient la dictature de Park Chung Hee qui utilise cet appui à des fins internes et externes pour consolider sa position.

Le général Park Chung Hee met en place une politique d’industrialisation accélérée sous la direction d’une planification autoritaire. Le premier plan quinquennal est lancé en 1962. La Corée applique un protectionnisme strict tant à l’égard de sa production agricole (interdiction d’importation de riz) qu’industrielle. A la moitié de la décennie 1960, la Corée est déjà dotée d’industries légères qui alimentent le marché intérieur et gagnent des parts de marché à l’extérieur. Il s’agit essentiellement de produits réalisés par une industrie qui utilise beaucoup de main d’œuvre à bas coût et qui transforme ou assemble des biens importés. La dictature veut modifier radicalement la situation en consolidant l’industrialisation. Elle renforce d’abord le modèle d’industrialisation par substitution d’importation. La Corée va tenter de produire elle-même ce qu’elle importait. Pour ce faire, à partir de la fin des années 1960, elle se dote d’une industrie lourde de production d’acier et de biens d’équipement (machines outils, chaîne de montage, turbines) ainsi que d’une industrie pétrochimique. Le régime de Park ne s’arrête pas là, il veut également tourner la production vers l’exportation.

L’État favorise le développement de chaebols, vastes conglomérats, créés à partir d’un nombre limité de sociétés privées sélectionnées par Park pour constituer le fer de lance de la nouvelle industrie.

Ces chaebols sont connus aujourd’hui dans le monde entier : Samsung, Hyundai, Lucky Goldstar, Daewoo |19|, Kia, etc. Les chaebols ont bénéficié année après année d’apports financiers de l’État considérables et pratiquement gratuits. Les emprunts effectués (au taux du marché) par le régime ou par ses banques, essentiellement auprès des banques américaines, avant que le Japon prenne la première place dans les années 1970, fournirent aux chaebolsdes sources de capitaux frais quasi inépuisables, à des taux d’intérêt défiant toute concurrence, voire parfois à fonds perdus. A tout cela vinrent s’ajouter les subventions directes de l’État. Celui-ci, dans les faits, prit en main la direction de l’économie, par l’intermédiaire d’un Bureau de la planification économique. Et il dirigea d’une main de fer tous les choix de développement faits par les chaebols.

Les plans quinquennaux se succèdent. Au cours du premier plan quinquennal (1962-1966), la priorité est donnée au développement de l’énergie, des engrais, du textile, du ciment. Le second (1967-1971) met l’accent sur les fibres synthétiques, la pétrochimie et l’appareillage électrique. Le troisième (1972-1976) est centré sur la sidérurgie, les équipements de transport, l’électroménager, la construction navale.

Neuvième constat : l’État planifie d’une main de fer le développement économique du pays. D’une certaine manière, c’est lui qui crée la classe capitaliste coréenne.

Les réticences de la Banque mondiale

Au départ, la Banque mondiale considère que la volonté de la Corée de se doter d’une industrie lourde est prématurée |20| et elle tente d’en dissuader les autorités, sans succès. Face à l’insistance de Séoul et soucieuse de garder une influence dans le pays, elle change son fusil d’épaule et appuie la politique d’industrialisation par substitution d’importation. A cette époque, Robert McNamara est devenu président de la Banque (1968) et son économiste en chef, Hollis Chenery, ne s’oppose pas à ce que les PED recourent à la substitution d’importation |21|.

Les arguments des Coréens sont les suivants :
1) il faut se doter d’une industrie lourde (métal, pétrochimie) et fabriquer les biens d’équipement afin d’alimenter nous-mêmes notre industrie légère, réduire nos importations et améliorer notre balance des paiements ;
2) sur le marché mondial, des nations concurrentes peuvent rapidement gagner des parts de marchés à notre place car elles peuvent produire les mêmes marchandises que nous à moindre coût en utilisant une main d’œuvre moins payée que la nôtre. C’est pourquoi il faut que nous nous dotions d’une industrie lourde pour diversifier nos exportations vers des produits à plus grande valeur ajoutée incorporant plus de composants réalisés par nous-mêmes. Les autres nations auront beaucoup de difficultés à nous concurrencer dans ce domaine ;
3) outre le développement de l’industrie lourde, nous allons faire un gros effort en matière de technologie et nous allons investir de manière croissante dans l’éducation supérieure et dans la recherche ;
4) au départ, notre industrie lourde ne sera pas compétitive face à des concurrents étrangers qui auraient accès à notre marché intérieur, il faut donc que nous protégions nos industries naissantes et fermions nos frontières aux concurrents étrangers ;
5) l’État doit utiliser l’argent public pour financer et contrôler tout cela.

Au milieu des années 1970, alors que la Corée réussit à se doter d’une puissante industrie lourde, la Banque mondiale recommence à émettre des doutes sur la stratégie suivie. La Banque considère que la Corée est trop ambitieuse et elle suggère de réduire l’effort dans ce secteur |22|. Ces recommandations ne seront pas suivies par les autorités coréennes.

L’exemple le plus spectaculaire de cette politique fut le programme de développement des industries lourdes de 1977-1979. Pendant deux ans, 80 % de tous les investissements de l’État y furent consacrés. Son financement fut assuré par un accroissement colossal de l’endettement de l’économie, celui de l’État comme celui des banques et des entreprises privées, mais également par le gel de tous les fonds de retraite et l’utilisation forcée d’une partie de l’épargne privée |23|.

Mahn-Je Kim décrit en langage diplomatique, non sans une certaine ironie, l’attitude des économistes de la Banque :“Il faut souligner la souplesse des économistes de la Banque mondiale. C’étaient des économistes néoclassiques typiques mettant en avant la suprématie du marché et ils ont grandement contribué à convaincre les représentants du pouvoir coréen du bien-fondé des idéaux de l’économie de marché. En général, ce n’étaient pas des économistes dogmatiques et ils savaient comment faire coïncider la doctrine avec les contraintes du monde réel » |24|. Mahn-Je Kim se réfère à la période qui va jusqu’au début des années 1980.

Dixième constat : La Corée du Sud refuse de suivre les recommandations de la Banque mondiale.

Transformations sociales de 1960 à 1980

Au cours de la dictature de Park Chung Hee, la société coréenne du Sud change profondément. La population urbaine passe de 28% en 1960 à 55% en 1980. La population de la capitale Séoul a doublé entre 1964 et 1970, passant de 3 à 6 millions d’habitants. En 1980, elle frôle les 9 millions. La structure de la population active est radicalement modifiée. En 1960, 63% travaillent dans l’agriculture, 11% dans l’industrie et les mines et 26% dans les services. Vingt ans plus tard, les proportions sont modifiées de la manière suivante : 34% dans l’agriculture, 23% dans l’industrie et les mines et 43% dans les services. En 1963, le pays compte 600.000 travailleurs dans l’industrie, en 1973, ils sont 1,4 million et en 1980, plus de 3 millions dont la moitié sont des ouvriers qualifiés. Ils sont soumis à un degré d’exploitation extrême : en 1980, le coût salarial de l’ouvrier coréen représente le dixième du coût salarial de l’ouvrier allemand, 50% du coût salarial de l’ouvrier mexicain, 60% de l’ouvrier brésilien. Un des ingrédients du miracle coréen, c’est la surexploitation de la main d’œuvre industrielle. La semaine de travail de l’ouvrier coréen en 1980 est la plus longue dans le monde entier. Il n’y a pas de salaire minimum légal. Après l’écrasement du syndicat Conseil général des syndicats coréens (GCKTU) entre 1946 et 1948, les salariés n’ont plus droit à un véritable syndicat. Le régime de Syngman Rhee a créé en 1946 avec le soutien des États-Unis (et de la centrale syndicale américaine AFL-CIO) la Fédération coréenne des syndicats (FKTU), seule confédération syndicale légale en Corée du Sud jusque dans les années 1990. La FKTU est une simple courroie de transmission de la dictature et du patronat. La classe ouvrière est largement muselée, en tout cas jusqu’aux années 1980.

En plus de la classe ouvrière d’usine, d’autres acteurs sociaux s’affirment. En 1980, il y a 100 000 ingénieurs, 130 000 techniciens. La population de l’enseignement supérieur a explosé : près d’un million d’étudiants dans ce type d’enseignement en 1980.

Onzième constat : La structure sociale entre 1960 et 1980 a profondément changé et s’est rapprochée de celle des pays industrialisés.

Douzième constat : La dictature empêche la classe ouvrière de se doter de syndicats et la réprime durement. Un des ingrédients du « miracle » coréen est la surexploitation des ouvriers.

De la dictature de Park Chung Hee à celle de Chun Doo Hwan

Tout au long de la dictature de Park, malgré la répression, de grands mouvements de protestation éclatent chroniquement dans lesquels les étudiants jouent un rôle de premier plan. C’est notamment le cas des grandes manifestations en 1965 contre la signature du traité entre le Japon et la Corée et en 1972 contre la proclamation de la loi martiale et la nouvelle Constitution qui octroie au dictateur de rester en poste jusqu’à sa mort.

Des manifestations étudiantes durement réprimées dans la ville de Pusan, en octobre 1979, déclenchent une crise de régime qui se solde par l’assassinat de Park Chung Hee, le 26 octobre. Park tombe sous les balles de son collaborateur le plus proche, Kim Jae Kyu, alors directeur de la KCIA (Agence centrale de renseignement sud-coréenne). Une grande manifestation étudiante dans la cité industrielle de Pusan, le 16 octobre, a dégénéré en affrontement avec la police le lendemain. Le gouvernement Park a aussitôt proclamé l’état d’urgence dans cette ville, envoyant une division d’infanterie. Malgré cette mesure, les manifestations s’étendent à d’autres villes comme Masan, une autre ville industrielle, où se trouvent de nombreuses entreprises exportatrices. De nombreux ouvriers se sont engagés dans des actions de rue. Park déclare aussi l’état de siège à Masan. Pendant les quatre jours d’affrontement, ce sont 4 207 personnes qui sont arrêtées. Les manifestations étudiantes s’étendent à la capitale, Séoul |25|. Le chef de la KCIA juge qu’en se débarrassant de Park, il est possible de sauver la situation.

Au lendemain de la mort du général Park, l’armée est divisée : un secteur laisse miroiter la perspective d’une certaine « libéralisation » du régime. Les mobilisations se poursuivent. Début décembre 1979, la plupart des détenus politiques (dont certains purgeaient de très longues peines de prison) sont libérés. Le 12 décembre, coup de théâtre, le major-général Chun Doo Hwan réussit un putsch au sein de l’armée, il fait arrêter son principal rival le général Ching et prend le contrôle total de l’armée. Les mobilisations se poursuivent. Le 14 avril 1980, Chun Doo Hwan qui conserve ses fonctions de chef de l’armée est nommé directeur de la KCIA par le chef de l’Etat. Les mobilisations se poursuivent.

Le retour à la dictature militaire ouverte a lieu le 18 mai 1980. Une répression brutale est déclenchée : tous les dirigeants de l’opposition sont arrêtés. Cela provoque de grandes explosions sociales dont l’insurrection urbaine de Kwangju est le point culminant.

Immédiatement après la proclamation d’une nouvelle loi martiale, le 18 mai 1980, plusieurs milliers d’étudiants de l’université de Chonam à Kwangju descendent dans la rue. Des régiments de parachutistes sont envoyés et assassinent des manifestants, dont des jeunes filles, à la baïonnette (voir encadré en bas d’article). Le lendemain, plus de 50 000 personnes commencent à affronter les soldats. Au cours des combats, plus de 260 d’entre elles sont tuées. Après quatre jours de lutte acharnée, le nombre des insurgés atteint 200 000 dans une ville dont la population est d’environ 750 000. Ils prennent finalement le contrôle de la ville toute entière. Les stations de radio sont incendiées par les manifestants rendus furieux par le fait qu’aucune information n’a été donnée sur leur lutte en raison de la censure imposée par la loi martiale. Les insurgés se saisissent des armes abandonnées par les troupes repliées à l’extérieur et s’organisent en comités de contrôle et d’administration de la ville. Le 23 mai, c’est la province de Cholla au sud de la Corée qui est toute entière aux mains des étudiants et de la population insurgée. Les étudiants de Kwangju s’emparent de bus et de camions et, les armes à la main, se rendent d’une ville à l’autre permettant ainsi l’extension du mouvement. Alors que de nouvelles troupes gouvernementales approchent de Kwangju, les insurgés constituent un comité de crise afin de négocier avec les autorités chargées d’imposer la loi martiale. Ils exigent de ces autorités qu’elles présentent des excuses au peuple de Kwangju pour les atrocités commises, qu’elles versent des indemnités pour les blessés et les morts, qu’elles n’exercent pas de représailles après les événements, que les chefs militaires ne déplacent pas les troupes avant qu’un règlement n’intervienne. Malgré ces négociations, les troupes, environ 17 000 hommes, prennent d’assaut la ville à l’aube du 27 mai et l’occupent. Le nombre des morts du côté des étudiants et des habitants de la ville dépasse plusieurs centaines |26|. La répression s’est faite avec la bénédiction de l’armée américaine et de Washington |27|. Dans les mois qui suivent, la répression touche tout le pays. Selon un rapport officiel daté du 9 février 1981, plus de 57 000 personnes ont été arrêtées à l’occasion de la ‘Campagne de purification sociale’ engagée depuis l’été 1980. Près de 39 000 d’entre elles ont été envoyées dans des camps militaires pour une ‘rééducation physique et psychologique’ |28|. En février 1981, le dictateur Chun Doo Hwan est reçu à la Maison Blanche par le nouveau président des Ėtats-Unis, Ronald Reagan |29|.

Washington a permis les massacres de mai 1980Les forces armées de la République de Corée sont placées sous le commandement conjoint américano-coréen, lui-même sous le contrôle du commandant en chef des forces US en Corée du Sud. Seuls le commandement de la garnison de la capitale et un secteur des parachutistes placés sous l’autorité directe du président échappent à cette règle. Le gros des forces armées de la République de Corée ne peut être mobilisé sans la permission du commandant en chef des forces états-uniennes. Au moment du soulèvement de Kwangju, au mois de mai 1980, les troupes de la garnison de la capitale étaient utilisées pour le maintien de l’ordre à Séoul et les unités de parachutistes étaient envoyées à Kwangju. S’il y avait alors eu de nouveaux soulèvements – d’ampleur analogue ou supérieure à celui de Kwangju – le gouvernement n’aurait pu y faire face : il n’avait plus de forces en réserves placées sous son autorité directe.C’est pour cela que le gouvernement des États-Unis, en réponse à une demande du gouvernement sud-coréen, a rapidement rendu disponible une partie des troupes placées sous le commandement conjoint. L’envoi à Kwangju de la 31e division, le 19 mai, ne fut possible qu’ainsi. Et, au moment de l’assaut final, quatre régiments – soit 7 800 hommes – furent soustraits au commandement conjoint pour être envoyées à Kwangju. De plus, le porte-avions américain Coral Sea, qui faisait route vers le Moyen-Orient, reçut l’ordre de cingler vers la péninsule coréenne.

Quand les étudiants de Kwangju envoyèrent un message désespéré au président démocrate Jimmy Carter |30| pour lui demander d’intervenir en défense de leurs droits, les États-Unis ont ignoré cet appel sous prétexte qu’ « il n’avait pas été transmis par les canaux officiels  ». Mais qu’est ce que des « canaux officiels » dans le cas d’une ville assiégée ? Le Washington Post du 1er juin 1980, rapporte qu’un important fonctionnaire américain a déclaré : « Ce n’est pas une question de droits de l’homme. C’est une question qui relève de l’intérêt national des États-Unis dans la réalisation et le maintien de la stabilité en Asie du Nord-Est. »

À souligner que le gouvernement japonais se rangea, lui aussi, aux côtés de Chun Doo Hwan, contre le peuple coréen.

Treizième constat : Un puissant mouvement social anti-dictatorial avec à sa tête les étudiants affronte la dictature. Après l’assassinat de Park (octobre 1979) et un court intermède démocratique, une nouvelle dictature féroce s’installe en déclenchant une répression sanglante en mai 1980 soutenue par Washington et par Tokyo.

La politique économique du dictateur Chun Doo Hwan (1980-1987)

Après l’assassinat du dictateur Park Chung Hee en 1979 et la mise en place de la dictature du général Chun Doo Hwan, l’orientation économique ne change pas fondamentalement. La Corée qui s’est endettée fortement au cours des années 1970 auprès des banques étrangères, principalement japonaises, subit plus durement que les autres PED le choc de la hausse brutale des taux d’intérêt car elle a largement emprunté à taux variables. En 1983, la Corée du Sud est quatrième sur la liste des pays les plus endettés en chiffres absolus (43 milliards de dollars), elle n’est précédée que par le Brésil (98 milliards), le Mexique (93 milliards) et l’Argentine (45 milliards). Mais, encore une fois, sa position géostratégique lui donne droit à un traitement différent de celui des autres pays en développement. Le Japon vient à la rescousse en versant à la Corée 3 milliards de dollars (au titre des réparations de guerre) que celle-ci utilise pour maintenir le remboursement de la dette à l’égard des banquiers japonais. Cela lui évite de devoir faire appel au FMI et de se plier à ses conditions draconiennes |31|. De son côté, le gouvernement japonais évite ainsi la faillite de certaines de ses banques et obtient de la Corée du Sud de plus grandes facilités d’investissement.

Quatorzième constat : Contrairement à la version de la Banque mondiale, le recours massif à l’endettement externe auprès des banques privées a failli coûter très cher à la Corée du Sud. Si celle-ci n’avait pas occupé une place géostratégique de toute première importance aux yeux des Etats-Unis et du Japon, elle aurait pu connaître le sort de pays comme l’Argentine, le Brésil et le Mexique qui ont dû se soumettre aux conditions du FMI. Comme on le verra dans la suite, elle a pu continuer à suivre une voie partiellement indépendante de développement jusqu’aux années 1990.

La Corée est aussi affectée par le second choc pétrolier de 1979 (hausse du prix du pétrole provoquée par la révolution iranienne et le renversement du Shah) mais encaisse le coup. Le contrôle autoritaire sur l’économie est maintenu : le gouvernement impose aux industries de fabriquer tel produit plutôt que tel autre. Il décide de restructurer l’industrie de production de véhicules de transport et charge deux chaebols de produire des automobiles.
La Banque mondiale s’oppose à cette orientation et recommande au contraire à la Corée d’abandonner la production de véhicules finis en se concentrant sur la production de pièces détachées destinées à l’exportation. La Banque explique que les voitures coréennes ne se vendront pas.
Les autorités coréennes tiennent tête. Résultat : au milieu des années 1980, la firme coréenne Hyundai (contrôlée à 100% par du capital privé coréen soutenu par les pouvoirs publics) réussit à exporter ses voitures aux États-Unis et à y conquérir de substantielles parts de marché !

A l’époque, la Banque a définitivement tourné la page des concessions à l’égard du modèle d’industrialisation par substitution d’importation. En 1981, sous l’administration Reagan, les derniers économistes favorables à une intervention de l’État sont remplacés par des néolibéraux purs et durs avec Anne Krueger comme économiste en chef. Celle-ci a écrit quelques années auparavant un livre sur la Corée pour démontrer la supériorité de la substitution d’exportation sur la substitution d’importation |32|. La volonté de Séoul de produire des automobiles pour l’exportation s’inscrit dans une démarche agressive de substitutions d’exportation et, en principe, elle devrait être fermement soutenue par la Banque. Ce n’est pas le cas car la décision de Séoul menace l’industrie automobile des Ėtats-Unis. La limite de la grande flexibilité des économistes de la Banque est vite atteinte lorsque les intérêts des Ėtats-Unis sont en jeu.

Quinzième constat : Le régime de Chun Doo Hwan refuse une nouvelle fois de suivre les recommandations de la Banque mondiale et gagne son pari contre elle. La Banque maintient cependant son soutien à la dictature car elle veut à tout prix tenter de l’influencer. De leur côté, les Ėtats-Unis commencent à se méfier de l’appétit des entreprises sud-coréennes.

Vers la fin de la dictature de Chun Doo Hwan (1980-1987)

En 1979-1980, dans de nombreuses entreprises, des ouvriers cherchent à se doter de syndicats. L’enjeu est la formation de nouveaux syndicats « indépendants », défiant ouvertement la politique de collaboration de la direction de la FKTU, tout en étant obligés de s’y affilier conformément à la loi. Suite à la répression déclenchée par Chun Doo Hwan, une centaine de sections locales de la FKTU sont dissoutes, 191 permanents sont licenciés et certains sont envoyés dans des camps.

Dans ce mouvement de création des syndicats indépendants, le rôle moteur a été joué par des jeunes, ouvriers ou étudiants contestataires, qui ont choisi de s’établir en usine pour poursuivre la lutte politique entamée à l’université.

Le mouvement étudiant a commencé à relever la tête en 1983-1984 et connaît un processus non seulement de radicalisation mais aussi de politisation en profondeur. De début 1986 à mai 1986, 166 000 étudiants ont participé à des manifestations |33|. L’importance du mouvement dans les universités |34| est reflétée par le fait que ce sont les étudiants qui constituent la grande majorité des prisonniers politiques (800 étudiants sur 1 300 détenus politiques).

Dans les usines, les ouvriers reprennent le combat à partir de 1985. Pour la première fois, une grève importante éclate dans un chaebol, l’entreprise Daewoo Motors. Elle est couronnée de succès et un nouveau syndicat indépendant est créé.
Le 12 février 1986, une campagne de pétition est lancée à Séoul par le Nouveau Parti démocratique de Corée (NKDP) pour changer la Constitution (l’objectif est de permettre l’élection par suffrage direct du président et non par un collège électoral). Dans les mois suivants, une série de rassemblements mobilisent des dizaines de milliers de personnes dans les grandes villes du pays. Les étudiants participent de manière autonome au mouvement démocratique en mettant en avant des mots d’ordre radicaux tels que ‘A bas la dictature militaire’, ‘Contre la présence dans le pays des 40.000 soldats US’ et pour une ‘Constitution populaire’.

Le 29 novembre 1986, le régime fait investir la ville de Séoul par 50 000 policiers afin d’empêcher la tenue d’un rassemblement du NKDP. Le régime applique la force de l’État contre l’opposition mais cette politique échoue car une lame de fond traverse toutes les couches de la société pour les revendications démocratiques. Les négociations entre dictature et opposition sur les procédures électorales n’aboutissent pas. Le gouvernement est affaibli par les suites politiques de l’assassinat d’un étudiant dans un commissariat. Dans cette situation, toutes les forces d’opposition, dont la nouvelle coalition issue d’une scission du NKDP, appellent à une manifestation le 10 juin 1987. La veille, la police a interpellé 3 000 personnes, mis en résidence surveillée 140 dirigeants de l’opposition, déployé des dizaines de milliers de policiers. Rien n’y fait : le 10 juin et les jours suivants, la protestation s’étend à tout le pays, des affrontements massifs atteignent un tel niveau que le régime commence à reculer : les élections présidentielles directes sont acquises |35|. Cette fois-ci, Washington a fini par mettre la pression sur la dictature pour qu’elle lâche du lest.

Du côté des usines, le mouvement ne se limite pas à la perspective des urnes.
Les travailleurs sud-coréens s’engouffrent dans la brèche ouverte par la victoire du mouvement de masse de juin 1987 dont le fer de lance fut constitué par les étudiants.

L’été 1987 voit la Corée du Sud secouée par une vague de grèves sans précédent. Entre le 17 juillet et le 25 août, on dénombre 1 064 conflits du travail |36| alors que la moyenne annuelle des dix années précédentes s’établit à 200 conflits |37|. Tous les secteurs de l’économie sont touchés, y compris les chaebols (24 000 ouvriers des chantiers navals de Hyundai, 15 000 mineurs de charbon, etc.). Les luttes sont marquées par une forte combativité : occupation des entreprises et même des locaux de direction, blocage des voies ferrées et occupation des gares, refus de la tactique du lock-out patronal… Les conflits aboutissent à des augmentations de salaire significatives et la reconnaissance de syndicats indépendants et démocratiques.

En 1988, on compte déjà 2 799 syndicats démocratiques. En 1989, on dépasse les 7 000. En janvier 1990 est fondé le Congrès des syndicats coréens, qui devient quelques années plus tard la Confédération des syndicats coréens (KCTU). Pourtant, jusque dans les années 2000, la création d’une confédération syndicale est un acte illégal.

Sur le plan politique, en 1988, des élections au suffrage universel sont organisées pour la première fois en Corée. Mais l’opposition est divisée et présente trois candidats différents, « les trois Kim » : Kim Youngsam, Kim Daejung et Kim Jongpil. Le général Roh Taewoo, candidat soutenu par le président sortant et qui était à ses côtés lors du putsch de 1979 et lors du massacre de Kwangju en mai 1980, est élu.

Seizième constat : Pressé de toutes parts par des mouvements de contestation, dans un contexte de montée en puissance d’une classe ouvrière jeune et combative, la dictature lâche du lest face à l’opposition et organise les premières élections libres. Washington a fini par mettre la pression. Face à la division de l’opposition, le candidat de la dictature remporte les élections mais les luttes se développent dans les usines.

Le tournant des années 1990

Des années 1980 à la moitié des années 1990, la Corée accumule les succès en terme de conquêtes de position dans la production industrielle : de la construction de bulldozers au matériel informatique en passant par les chantiers navals (elle devient dans les années 1980 le deuxième constructeur mondial de navires, devancé seulement par le Japon). La Corée réussit à concurrencer les transnationales des Ėtats-Unis et d’Europe dans plusieurs domaines.

Pendant la même période, la Chine est devenue un partenaire de Washington, elle a arrêté depuis longtemps son soutien aux mouvements qui, dans différents pays, menaçaient la stabilité des alliés des Ėtats-Unis et est entrée à la Banque mondiale en 1980. De son côté, Moscou sous Gorbatchev a passé des accords géostratégiques à la fin des années 1980 avec Washington, le mur de Berlin est renversé en 1989 et l’URSS implose en 1991. La guerre froide prend fin.

La situation politico-militaire internationale héritée de la seconde guerre mondiale, de la victoire de la révolution chinoise de 1949 et de la guerre de Corée de 1950-1953 a fondamentalement changé. Washington considère qu’il vaut mieux dorénavant ne pas s’entêter à soutenir des dictatures affirmées confrontées à de puissants mouvements d’opposition et à la fronde sociale. Face à des mobilisations qui sont prêtes à aller jusqu’au bout, il vaut mieux lâcher du lest (comme en juin 1987) et sauver l’essentiel : des rapports privilégiés avec le régime qui remplace la dictature. De plus, il est plus efficace d’avoir un gouvernement démocratique pour appliquer l’agenda néolibéral car cela évite d’affronter une jonction entre opposition démocratique et mouvement social opposé au néolibéralisme.

En 1992, à la suite d’une fusion entre le parti au pouvoir et de deux partis de l’opposition, Kim Youngsam, l’ancien opposant modéré, est élu avec le soutien de Roh Taewoo. Kim Youngsam est le premier président civil depuis 32 ans, mais il dépend du soutien des militaires et se range résolument du côté de Washington |38|. Enfin, son agenda est clairement néolibéral.

La Corée occupe toujours une place militaire stratégique mais le gouvernement des Ėtats-Unis, qui maintient dans le pays 37 000 soldats, ne considère plus nécessaire de laisser autant de marge de manœuvre à l’appétit économique de la Corée du Sud. Il faut ramener ses prétentions à une dimension modeste. Washington met la pression sur la Corée et utilise différents instruments parmi lesquels des protections tarifaires aux Ėtats-Unis contre les produits coréens. Washington demande à la Corée de suivre les recommandations de la Banque mondiale et du FMI et obtient partiellement gain de cause. En témoigne, le rapport de la mission envoyée en Corée par le FMI en novembre 1996 et le procès-verbal qui en résulte à la suite d’un débat entre dirigeants du FMI. En voici des extraits.

1) De la suppression des barrières douanières ou d’autres formes de limites aux importations : « Depuis 1994, les autorités ont progressivement démantelé les obstacles à l’importation et réduit les droits de douane conformément à l’accord de l’Uruguay Round |39|. L’octroi de licences d’importation est désormais automatique sauf pour un petit nombre de produits risquant de menacer la santé ou la sécurité publique » |40|.

2) De la privatisation : « Au cours des dix dernières années, les autorités ont partiellement appliqué deux programmes de privatisation des entreprises publiques. Le programme mis en place en décembre 1993 prévoyait, pendant la période 1994-1998, la privatisation de 58 des 133 entreprises publiques. Au milieu de 1996, 16 entreprises avaient été privatisées » |41|.

3) De la libéralisation des mouvements de capitaux : « Les administrateurs du FMI se sont aussi félicités de la libéralisation récente des mouvements de capitaux. Bien que quelques administrateurs aient souscrit à la démarche progressive en ce domaine, un certain nombre d’autres estiment qu’une libéralisation rapide et intégrale offre de nombreux avantages au stade de développement économique où se trouve la Corée ».

Dix-septième constat : Washington a progressivement modifié sa politique à l’égard des dictatures alliées à partir de la deuxième moitié des années 1980 dans un contexte de fin de guerre froide. Ce tournant a été appliqué au Brésil dans la deuxième moitié des années 1980, aux Philippines en 1986, en Corée du Sud en 1987, il sera également appliqué au cours de la décennie suivante en Afrique du Sud en 1994, progressivement au Chili, en Indonésie en 1998. Du point de vue des États-Unis, le bilan est positif, les intérêts essentiels ont été sauvegardés. En effet, que serait-il arrivé si Washington s’était entêté à soutenir jusqu’au bout toutes les dictatures alliées secouées par des mouvements de masse ? Ce tournant de Washington n’est pas général. A l’égard des pays arabes, Washington maintient son appui aux dictatures à commencer par l’Arabie saoudite.

La crise économique asiatique de 1997 et ses suites

Entre 1990 et 1996, par leurs luttes, les travailleurs sud-coréens ont obtenu une augmentation de 66% de leur salaire réel |42|. Impressionnant. L’agenda néolibéral rencontre en Corée du Sud, comme ailleurs, une résistance des ouvriers. Le 26 décembre 1996 éclate la première grève générale qu’ait connue le pays depuis 1948. Les travailleurs s’opposent à une réforme du code du travail visant à faciliter les licenciements. Après 24 jours de grève, ils obtiennent un succès. La réforme du code du travail est reportée. La KCTU sort renforcée du conflit.

Les succès importants des travailleurs sont remis en cause à la faveur de la crise qui éclate en 1997. Le patronat prend sa revanche.

De plus, ce que les Ėtats-Unis et les autres puissances industrielles ont obtenu par la négociation jusqu’en 1996 est approfondi par la crise de 1997 provoquée par une vague spéculative d’attaques contre les monnaies du Sud Est asiatique et de la Corée. Cette spéculation est facilitée par les mesures de libéralisation des mouvements de capitaux mentionnées plus haut. Arrivant des pays du Sud-Est asiatique (la Thaïlande est la première à avoir été touchée en juillet 1997), la crise frappe brutalement la Corée du Sud à partir de novembre 1997. Entre novembre 1997 et le 8 janvier 1998, la monnaie coréenne, le won, se déprécie de 96,5% par rapport au dollar américain. En décembre 1997, le gouvernement de Séoul se soumet aux conditions imposées par le FMI (tandis que la Malaisie s’y refuse) |43|.

Un véritable réaménagement structurel est mis en œuvre : fermeture de nombreux établissements financiers, licenciements massifs, autonomisation de la banque centrale par rapport au gouvernement, augmentation brutale des taux d’intérêt (ce qui plonge l’industrie locale et les travailleurs dans la récession), abandon de grands projets d’investissements, démantèlement de certains grands conglomérats coréens (les chaebols), ventes de certaines entreprises aux transnationales des pays les plus industrialisés. La modification du code du travail coréen qui avait été reportée suite à la grève générale de janvier 1996 est adoptée. Elle permet de recourir à des licenciements massifs. La cure néolibérale imposée à la Corée est radicale. Le pays est plongé dans une récession profonde (chute de 7% du PIB en 1998).

Les prêts accordés par le FMI, la Banque mondiale et les banques privées comprennent tous une prime de risque. Ces institutions engrangent donc de plantureux revenus lors des remboursements. Les dizaines de milliards de dollars prêtés à la Corée ont été immédiatement utilisés pour rembourser les banques. Tous les participants au « plan de sauvetage » sont remboursés grâce aux revenus d’exportations et aux coupes claires dans les dépenses publiques. Une partie croissante des recettes fiscales sert à payer la dette extérieure. La dette publique de la Corée croît de manière spectaculaire à cause de la prise en charge par l’État des dettes des entreprises privées. La dette publique qui représentait 12% du Produit intérieur brut avant la crise a quasi doublé en pourcentage, passant à 22,2% fin 1999.

L’augmentation de la dette publique sert de prétexte pour mener de nouvelles coupes claires dans les dépenses sociales et pour pousser plus loin le programme des privatisations et d’ouverture au capital étranger.

Les mesures imposées visent également à imposer une défaite aux travailleurs coréens dont les organisations s’étaient renforcées dans les années antérieures. Le salaire réel du travailleur coréen a baissé de 4,9% en 1998 suite à la crise.

Les mesures d’ouverture commerciale renforcée touchent également de plein fouet les paysans sud-coréens qui multiplient les résistances dans le pays et entreprennent d’envoyer régulièrement des délégations de manifestants à l’étranger lors des sommets de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) : Cancun en septembre 2003, Hong-Kong en décembre 2005.

Pour la Banque mondiale, la Corée est aujourd’hui un pays développé. Mais tant de luttes restent encore à mener.

Eric Toussaint

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Notes

|1| Cette partie s’inspire notamment de David Cameron, « Corée du Sud, Un miracle fragile », Inprecor, n° 228, 20 octobre 1986.

|2| Roy E. Applemanb, South to the Naktong, North to the Yalu, Washington, 1961, p. 18.

|3| Les États-Unis obtiennent un mandat de l’ONU pour intervenir contre la Corée du Nord. Le corps expéditionnaire commandé par Washington comprend des soldats de 16 pays. Comment se fait-il que le Conseil de sécurité de l’ONU en arrive là alors que la Chine et l’Union soviétique en sont membres permanents avec droit de veto ? Depuis que la Chine populaire a été exclue du Conseil de Sécurité et des Nations Unies après la victoire de la révolution chinoise, c’est le représentant du régime anticommuniste de Taiwan dirigé par le général Tchang Kaï Chek qui obtient le droit de représenter la Chine de 1949 à 1971. Il vote au Conseil de Sécurité pour l’intervention en Corée. L’Union soviétique, elle, dans le contexte de la guerre froide, a décidé de mener la politique de la chaise vide, elle ne participe pas au Conseil de Sécurité et ne peut donc pas exercer son droit de veto contre l’intervention en Corée.

|4| Le chiffre de 100.000 morts est tiré du livre de Gregory Henderson, à l’époque diplomate en Corée, The Politics of the Vortex, Harvard, 1968.

|5| Avant 1945, plus de 90% de l’investissement total dans l’économie coréenne, agriculture mise à part, étaient détenus par les Japonais.

|6| Mahn-Je Kim, “The Republic of Korea’s successful Economic Development and the World Bank” in Kapur, Devesh, Lewis, John P., Webb, Richard. 1997. The World Bank, Its First Half Century, Volume 2 : Perspectives, Brookings Institution Press, Washington, D.C., p. 25. Voir également US Overseas Loans and Grants (Greenbook) http://qesdb.cdie.org/gbk/index.html

|7| “La réforme a également éliminé le dernier problème sur lequel la gauche aurait pu se baser pour espérer un soutien important des populations rurales de Corée ». Cole, David C. and Princeton N. Lyman. 1971. Korean Development, The Interplay of Politics and Economics, Cambridge, Havard University Press, p. 21 cité par Krueger, Anne O. 1979, p. 21.

|8| 40% des terres cultivées étaient en possession des Japonais.

|9| Le même type de réforme a été appliqué à Taiwan.

|10| Krueger, Anne O. 1979. Studies in the modernization of the Republic of Korea : 1945-1975. The Development Role of the Foreign Sector and Aid, Council on East Asian Studies Harvard University, Cambridge, Massachusetts and London, England, p. 20. Voir également : Sarah Sugarman, “Land Rights and Establishing Desirable Production and Consumption Outcomes for Agricultural Households”, October 2, 2002
www.reed.edu/ sugarmas/LandRights&a…

|11| Pour augmenter leurs revenus, les paysans accroissent fortement leur productivité et le volume de la production notamment vers des produits dont les prix restaient libres (fruits par exemple).

|12| Voir Peemans, Jean-Philippe. 2002. Le développement des peuples face à la modernisation du monde, Academia- Bruylant/L’Harmattan, Louvain-la-Neuve/Paris, p. 373.

|13| Voir Peemans, Jean-Philippe. 2002, p. 374.

|14| Bank of Korea, National Accounts (1987) cité par Mahn-Je Kim, “The Republic of Korea’s successful Economic Development and the World Bank” in Kapur, Devesh, Lewis, John P., Webb, Richard. 1997. The World Bank, Its First Half Century, Volume 2 : Perspectives, Brookings Institution Press, Washington, D.C., p. 25.

|15| Selon Mahn-Je Kim, entre 1953 et 1961, l’aide militaire des États-Unis sous forme de dons s’est élevée à 1561 millions de dollars. Selon US Overseas Loans and Grants (Greenbook) http://qesdb.cdie.org/gbk/index.html, le montant atteint 1785 millions de dollars.

|16| Pour une analyse du régime de Park Chung Hee, voir notamment Paik Nak-chung, discours à l’occasion de l’ouverture de la conférence internationale des Études coréennes tenue à l’Université de Wollongong, Australie, 10-13 novembre 2004 sur le thème « L’ère Park : une nouvelle évaluation après 25 ans ». La conférence de Paik Nak-chung est disponible en français, en anglais et en coréen : http://www.korea-is-one.org/article… Voir aussi le site de la maison d’édition Changbi : http://www.changbi.com/english/html… Paik Nak-chung, directeur de la maison d’édition coréenne Changbi a été victime de la répression durant la dictature de Park. Changbi a été fermée sous la dictature du général Chun Doo Hwan, de 1980 à 1987.

|17| Il a également occupé des fonctions ministérielles dans les années 1990 pendant la présidence de Kim Young Sam

|18| Mahn-Je Kim, “The Republic of Korea’s successful Economic Development and the World Bank” in Kapur, Devesh, Lewis, John P., Webb, Richard. 1997. The World Bank, Its First Half Century, Volume 2 : Perspectives, Brookings Institution Press, Washington, D.C., p. 46. « Such recognition from the Bank – the world’s most authoritative international developement organization – positively influenced Korea’s international relations, but was even more important domestically. It provided a powerful and persuasive justification to the Korean public for the existence of a dictatorial government devoted to economic development”.

|19| Pierre Rousset décrit en 1984 l’évolution fulgurante du groupe Daewoo : « Il emploie à lui seul 70 000 employés, alors qu’il n’a été formé que voilà 17 ans à partir d’une petite entreprise textile. Grâce au soutien de Park Chung Hee, Kim Woochong a constitué un empire dans le commerce, la construction navale, le bâtiment, l’automobile, le textile, la finance, les télécommunications, l’électronique, l’habillement. Il possède à Pusan la plus grande usine textile du monde et à Oskpo un chantier naval ultramoderne. Il ouvre des chantiers considérables au Moyen-Orient. Il investit aujourd’hui dans les semi-conducteurs », Rousset, Pierre. « La Corée du Sud, second Japon ? » in Croissance des jeunes nations, numéro 265, Paris, octobre 1984.

|20| Mahn-Je Kim, “The Republic of Korea’s successful Economic Development and the World Bank” in Kapur, p. 33

|21| Voir chapitre « Le développement selon la Banque mondiale » dans Eric Toussaint, « Banque mondiale : Le coup d’État permanent. L’agenda caché du Consensus de Washington », CADTM – Syllepse- Cetim, Liège – Paris – Genève, à paraître en mai 2006.

|22| Mahn-Je Kim, “The Republic of Korea’s successful Economic Development and the World Bank” in Kapur, p. 35

|23| Voir Lutte de Classe, N°26, Mars 1997, « Corée du Sud – Du mythique « miracle économique » aux traditions de lutte de la classe ouvrière »

|24| Mahn-Je Kim, “The Republic of Korea’s successful Economic Development and the World Bank” in Kapur, p. 35. « The flexibility of the WB economists should be emphasized. They were typical neoclassical markets economists, and they contributed greatly to the indoctrination of Korean officials with the ideals of the market economic system. The Bank’s economists in general were not dogmatic and knew how to harmonize textbook principles with real-world constraints”.

|25| Voir Jun Yasaki « La crise du régime sud-coréen et le soulèvement de Kwangju, in Inprecor n° 80, 26 juin 1980, p. 25

|26| Les chiffres concernant le nombre de pertes en vie humaines du côté des manifestants varient fortement. L’estimation la plus faible, celle des autorités, mentionne le chiffre de 240 morts. D’autres sources mentionnent de mille à deux mille morts. Le New York Times du 28 mai 1980 affirme que 50 parachutistes ont été tués au cours d’un seul combat (voir Kim Chang Soo « Le Soulèvement de Kwangju », in Inprecor n° 97, 16 mars 1981, p. 35-39).

|27| Jun Yasaki « La crise du régime sud-coréen et le soulèvement de Kwangju », in Inprecor n° 80, 26 juin 1980, p. 25 et Kim Chang Soo « Le Soulèvement de Kwangju », in Inprecor n° 97, 16 mars 1981, p. 35-39.

|28| Kim Chang Soo « Le Soulèvement de Kwangju », in Inprecor n° 97, 16 mars 1981, p. 35

|29| Ronald Reagan a présidé les Ėtats-Unis de 1981 à 1988.

|30| Jimmy Carter a été président des États-Unis de 1977 à 1980. Au cours de son mandat, plusieurs alliés de Washington tombent ou sont déstabilisés : le Shah s’enfuit en février 1979 devant une révolte populaire, le dictateur Anastasio Somoza est renversé en juillet 1979 par la révolution sandiniste, la dictature coréenne est déstabilisée d’octobre 1979 à mai 1980. C’en était trop, il fallait à tout prix garder cet allié stratégique. Pourtant, Jimmy Carter se faisait le chantre des droits de l’homme en politique internationale.

|31| “La Corée du Sud a également bénéficié d’une aide spéciale du gouvernement japonais au motif formel de réparations. Le fait que le traité mis sur pied après la guerre était resté lettre morte pendant de nombreuses années ne tracassait aucune des deux parties. Le gouvernement japonais savait très bien qu’un don de trois milliards de dollars à la Corée pour lui permettre de continuer à rembourser sa dette extérieure élevée bénéficierait à long terme aux intérêts des entreprises japonaises qui avaient des investissements dans le pays et des participations dans des entreprises coréennes. Alors que la crise de la dette s’étendait, le gouvernement coréen n’a jamais eu besoin de négocier avec les banquiers étrangers ou le FMI » “South Korea also got special help from Japan under the formal guise of reparations. The fact that the postwar treaty had been a dead letter for many years did not worry either party. The Japanese government was aware that putting up $3 billion to help Korea service its large foreign debt was going to be in the long term interests of the many japanese companies with investments and joint ventures in Korea. The results was in subsequence phase of the debt crisis, the Korean government never had to negotiate with foreign bankers or with the IMF.” In Strange Susan, Rival States, Rival Firms, Competition for World Trade Shares, CSRI, 1991, p. 46.

|32| Krueger, Anne O. 1979. The Development Role of the Foreign Sector and Aid, Council on East Asian Studies Harvard University, Cambridge, Massachusetts and London, England, 256 p.

|33| Chiffres annoncés par Kang Min Chang, chef de la police nationale. Cité dans Korea Communiqué Bulletin, numéro spécial juillet 1986.

|34| Prise d’assaut du campus de Konkuk, le 31 octobre 1986 par exemple.

|35| David Cameron, « La classe ouvrière prend la relève » in Inprecor n° 248, 7 septembre 1987, Paris, pp 4-5

|36| Chiffres du ministère du Travail cités dans International Herald Tribune, 26 août 1987

|37| « De juillet à septembre 1987, le nombre de grèves atteindra 3.372 », Hermann Dirkes, « Le nouveau mouvement syndical » in Inprecor n° 281, 6 février 1989.

|38| En octobre 1995 éclate en Corée le plus gros scandale que ce pays a connu depuis la fin de la guerre, il éclabousse trois présidents successifs. Sur l’accusation d’un parlementaire de l’opposition, l’ancien président de la République Roh Taewoo (1987-1993) est arrêté pour avoir reçu 369 millions de dollars en pots-de-vin. Son prédécesseur Chun Toowhan (1980-1987) connaît le même sort. Kim Youngsam se trouve dans une situation embarrassante : il a en effet été élu grâce au soutien de Roh Taewoo. Il a reconnu avoir touché de l’argent lors de sa campagne électorale. Le monde industriel n’est pas en reste : la plupart des chaebols sont mouillés d’une manière ou d’une autre par ce scandale.

|39| Le dernier cycle de négociation du GATT (Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce) est appelé Uruguay Round. Il a donné lieu notamment à la mise en place de l’OMC qui a remplacé le GATT à partir de 1995. Le GATT avait été créé en 1948 après le sabordage de l’Organisation Internationale du Commerce (créée sur papier en 1947 lors de la conférence de La Havane) par les États-Unis.

|40| Fonds monétaire international. 1997. Rapport annuel 1997, Washington DC, p. 60.

|41| Idem. p. 61.

|42| CNUCED, 2000c, p 65-66 cité par Eric Toussaint. 2004. La Finance contre les Peuples. Chapitre 17, p. 477.

|43| J’ai analysé la crise asiatique de 1997-1998 en détail dans Eric Toussaint. 2004. La Finance contre les Peuples. Chapitre 17, « Tempête en Asie : les tigres domptés reprennent-ils du poil de la bête ? » p. 461 – 479.

Éric Toussaint, porte-parole du CADTM international (Comité pour l’annulation de la dette du tiers-monde, www.cadtm.org), est maître de conférence à l’université de Liège. Il est l’auteur de Bancocratie, Aden, 2014, http://cadtm.org/Bancocratie ; Procès d’un homme exemplaire, Edition Al Dante, Marseille, septembre 2013 ; Banque mondiale : le coup d’Etat permanent, Edition Syllepse, Paris, 2006, téléchargeable : http://cadtm.org/Banque-mondiale-le-coup-d-Etat Voir également Eric Toussaint, Thèse de doctorat en sciences politiques présentée en 2004 aux universités de Liège et de Paris VIII : « Enjeux politiques de l’action de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international envers le tiers-monde », http://cadtm.org/Enjeux-politiques-de-l-action-de Eric Toussaint est coauteur avec Damien Millet de 65 Questions, 65 Réponses sur la dette, le FMI et la Banque mondiale, Liège, 2012 (version en téléchargement libre sur internet : http://cadtm.org/65-questions-65-reponses-sur-la,8331) ; La dette ou la vie, coédition CADTM-Aden, Liège-Bruxelles, 2011. Prix du livre politique octroyé par la Foire du livre politique de Liège http://www.cadtm.org/Le-CADTM-recoit-le-prix-du-livre



Articles Par : Eric Toussaint

A propos :

Eric Toussaint docteur en sciences politiques des universités de Liège et de Paris VIII, porte-parole du CADTM international et membre du Conseil scientifique d’ATTAC France. Il est l’auteur des livres, Capitulation entre adultes : Grèce 2015, une alternative était possible, Syllepse, 2000, Le Système Dette. Histoire des dettes souveraines et de leur répudiation, Les liens qui libèrent, 2017 ; Bancocratie, ADEN, Bruxelles, 2014 ; Procès d’un homme exemplaire, Éditions Al Dante, Marseille, 2013 ; Un coup d’œil dans le rétroviseur. L’idéologie néolibérale des origines jusqu’à aujourd’hui, Le Cerisier, Mons, 2010. Il est coauteur avec Damien Millet des livres AAA, Audit, Annulation, Autre politique, Le Seuil, Paris, 2012 ; La dette ou la vie, Aden/CADTM, Bruxelles, 2011. Ce dernier livre a reçu le Prix du livre politique octroyé par la Foire du livre politique de Liège. Il a coordonné les travaux de la Commission pour la Vérité sur la dette publique de la Grèce créée le 4 avril 2015 par la présidente du Parlement grec. Cette commission a fonctionné sous les auspices du parlement entre avril et octobre 2015.

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