Course à la présidentielle en Algérie sur fond de crise ?

" Moi, président de la deuxième République, Je fais le serment "

«Quand tu lances la flèche de la vérité, prends soin avant de tremper la pointe dans du miel.» Proverbe algérien

La situation actuelle du pays est délicate, elle demande à chacun de nous de faire son introspection et de prendre position pour le plus grand bien de ce pays. Un état des lieux sans complaisance est nécessaire.

Etat des lieux

L’Algérie de 2014, c’est 39 millions d’habitants dont 90% n’ont pas connu le colonialisme. Et pourtant, le pouvoir continue à régner sur la légitimité révolutionnaire alliée avec les nouveaux riches. Cela ne veut pas dire que la Glorieuse Révolution, les martyrs et les moudjahidine sont à oublier, non! Simplement, nous sommes au XXIe siècle, de nouvelles légitimités basées sur le savoir, la compétence et l’amour du pays doivent prendre la relève graduellement mettant un terme à toute la satrapie de la famille révolutionnaire dont on peut se demander à juste titre quelle est sa valeur ajoutée si ce n’est en termes de jouissance sans mérite. Si on devait faire honnêtement le bilan des cinquante ans passés, nous avons dilapidé une rente de près de 800 milliards de dollars dont 600 milliards depuis l’année 2000.

Qu’avons-nous fait de perenne? Il est vrai que l’Algérie de 2014 est un grand pays riche, mais désespérément sous-développé avec toujours les mêmes interrogations. Après un cinquantenaire d’actions plus ou moins glorieuses, l’Algérie se retrouve à la croisée des chemins avec une société gérée encore par la «aççabya». Elle n’a pas permis l’émergence de la nation au sens du désir de vivre ensemble.

Nous sommes, en tant qu’intellectuels, en faute, nous avons une faillite morale pour n’avoir pas su dire «non!», «basta!» aux multiples dérives d’un système qui fait dans la «aççabya» un mode de gouvernance qui perpétue et fait de la Glorieuse Révolution de Novembre et dont nous fêtons le soixantième anniversaire, un fonds de commerce lucratif. Quelle est la priorité pour celui qui s’immole ou brave la mer? Un travail, une vie décente? Un avenir ou la liberté. Beckett disait qu’«un bulletin de vote ne se mange pas». Nous ne voyons dans le comportement des jeunes que la dimension «destruction», essayons de voir en eux des bâtisseurs. Quelle tragédie que des jeunes gens en arrivent à jouer leur vie à pile ou face dans des embarcations de fortune ou, pire, à offrir leur corps aux flammes; chaque harraga qui disparaît, chaque immolation sont des actes de désespoir et aussi des actes d’accusation contre notre indifférence.

Qui se souvient pour la période récente du 5 octobre 1988, qui a vu la fine fleur du pays être fauchée? Il fut, de mon point de vue, le déclencheur du vent de liberté des peuples arabes. Cet événement donnait l’illusion que tout était permis, que l’Algérien, ce frondeur, avait le droit au chapitre, il pouvait critiquer. Il était, en un mot, acteur de son destin. La démocratie semblait à portée de main. La vie politique s’alluma, les langues se délièrent et une formidable ouverture se dessina. tout était devenu possible. Mais le fol espoir allait vite retomber. Les Algériens perdirent pied et s’accrochèrent par réflexe atavique ou eschatologique aux discours les plus radicaux, les plus sectaires, les plus dangereux qui nous amenèrent à la décennie noire.

Un quart de siècle plus tard ou en sommes-nous? Force est de constater que nous sommes au point mort, que la régression n’a pas été féconde, que la «aççabya, le régionalisme, les passe-droits, la corruption sont devenus un sport national aussi pernicieux que celui qui a permis à des individus qui n’ont rien prouvé toute leur vie de se voir offrir des milliards de DA pour avoir tapé dans le ballon et avoir donné un peu de soporifique trompeur à une jeunesse en mal d’espoir. Donner en une fois à un joueur le gain d’un salaire d’un professeur besogneux pendant toute une vie est le plus mauvais message que l’on puisse donner contre l’école qui ne joue plus son rôle d’ascenseur social.

La gestion par la paresse intellectuelle est encore possible tant que nous pompons d’une façon frénétique une ressource qui appartient aux générations futures. Notre errance actuelle c´est aussi le gaspillage frénétique de nos ressources en hydrocarbures du fait de l´absence, là aussi, d´une stratégie et c´est enfin, la corruption, qui est là pour nous rappeler notre sous-développement. De plus, il nous paraît tragique d’annoncer urbi et orbi que l’Algérie a pour cinquante ans de réserve, notamment avec le canular du gaz de schiste. C’est un mauvais signal que les Algériens perçoivent ainsi: dormons, la rente veille sur notre gabegie avec le fameux adage «Ragda oua tmangi dima felcoungi» «Sommeil, boustifaille, et toujours en congé» voilà l’Homo algerianius du 20e siècle qui roule sur quelques neurones.

C’est enfin un système éducatif en miette, et une sous-culture folklorisée dans le sens du chant et de la danse, du farniente des Mille et Une Nuits pendant que le monde développé en est au Web 3.0, que la Chine a rattrapé les Etats-Unis. En 1963, nous avions le même niveau que la Corée du Sud, 50 ans plus tard, la Corée du Sud est 10e et nous 110e.

Dans l’Algérie actuelle tout est à prendre, les Algériens qui font leur travail, qui méritent durement leur salaire sont de plus en plus scandalisés par le m’as-tu-vu et les fortunes qui ont jailli du néant, de toute une faune dont l’unité de mesure est le milliard. J’en veux à cette culture qui a réussi à abrutir la jeunesse en lui proposant de «se divertir» pour oublier dans la plus pure tradition de «panem et circenses» «du pain et des jeux de cirque» de l’Empire romain sur le déclin, alors qu’il faut lui proposer de s’instruire, de connaître l’histoire de son pays, de la lecture, du théâtre, l’éducation, du travail, bref, de la sueur au lieu de soporifiques coûteux et sans lendemain..

Il n’y a jamais de place dans les journaux pour la science, la recherche, la prouesse des Algériens. Sait-on par exemple en dépit de ce que disent les nihilistes que la Recherche – malgré ses insuffisances réelles a permis à des chercheurs de participer à la construction d’un télescope spatial. Le salaire mensuel des vingt chercheurs retenus par la Nasa est équivalent à celui d’un footballeur du «mercato», encore un autre mot pour désigner un marché juteux. On croit aussi à tort que le football, des Messi, des Maradona, payés d’une façon ou d’une autre avec le pétrole des générations futures, les Aliens de l’Equipe nationale pour la plupart vivent dans d’autres cieux, ils viennent le temps d’un match recevoir la dîme et retourner chez eux, ils sont des exemples à suivre.

De fait, l’Algérie est devenue un tube digestif immense, l’Algérien veut tout et tout de suite et par un mimétisme ravageur, il n’emprunte à l´Occident que ce qu’il ne produit pas, mais qu´il peut pour le moment encore acheter. Avoir 40 millions de portables ou rouler en 4×4 et consommer d’une façon débridée l’énergie n’est pas un signe de développement. Le pouvoir, dos au mur, est confronté à toutes les révoltes, au lieu du parler vrai, tente de maintenir une stabilité apparente alors que les problèmes de fond attendent d’être abordés résolument

La course à la présidentielle

Cette présidentielle est marquée par l’avènement de personnes frappées par le Principe de Peter. Elles pensent que leur compétence réelle ou supposée dans un domaine donné, leur permet toutes les outrances, à telle enseigne qu’une caricature les a croquées en montrant une foule de clowns criant: «Moi aussi, moi aussi je veux me présenter.» Il y a de ce fait -comble d’ironie- des candidats à la présidentielle qui viennent nous dire comment il faut faire. Que connaissent ces donneurs de leçons à distance, qui se permettent de s’immiscer dans une Algérie qu’ils ont abandonnée au plus fort de sa détresse pour des cieux plus cléments. A ces intellectuels autoproclamés, il manque une vertu fondamentale: l’humilité et la retenue vis-à-vis de cette Algérie profonde, celle qui galère au quotidien. Je les invite à venir vivre et vibrer à la fréquence de la mal-vie des Algériens d’en bas et non pas à celle du Quartier latin derrière un verre ou celle encore dénuée d’humilité à partir de Paris, Genève, Londres voire  Montréal ou d’ailleurs.

A tous les spécialistes du «Armons-nous et partez», qui donnent des conseils, qui savent au fond d’eux-mêmes que leur cinéma de la présidentielle a pour finalité d’avoir une visibilité aussi fugace que celle d’un météore soit-elle. «Etre un homme, disait Malraux, c’est réduire la part de la comédie.» Non messieurs, il s’agit du destin de l’Algérie, je vous invite à rentrer au pays vivre ses espoirs et ses déceptions, écouter ce que ces jeunes ont à dire, payer de leur personne, rattraper leur dette pour avoir fui ce pays quand il était à feu et à sang. Je les invite ´´ici et maintenant´´ à venir participer à une longue marche celle qui consiste à suer, à baver, à créer in situ en faisant fleurir cette jeunesse non pas à distance avec le «Y a qu’à…».

Un projet de société viable

Au-delà des libertés de la démocratie, de l’alternance à graver dans le marbre lors d’une nouvelle Constituante pour une deuxième République, il faut réconcilier l’Algérie avec son histoire et enseigner que 18 siècles avant l’avènement de l’Islam au Maghreb, il y avait un peuple, une identité, une civilisation. Massinissa battait monnaie quand l’Europe n’avait pas émergé aux temps historiques. Revendiquons nos racines amazighes sans en faire un fonds de commerce. Nous avons trop souffert du slogan «Nous sommes arabes, arabes, arabes» de Ben Bella. Une fois l’identité plurielle assumée, enseignée et traduite d’une façon apaisée dans les attributs de souveraineté, telle que la langue, les médias, il faut se mettre au travail et propulser l’Algérie dans ce XXIe siècle de tous les dangers.

Nous devons être en mesure de permettre à chacun de donner la pleine mesure de son talent, d’être utile, de gagner dignement son pain, non pas par des perfusions faisant des citoyens des assistés à vie ou des oubliés à vie. Tout travail mérite salaire. Distribuer la rente fera que rien de pérenne ne sera construit et tout retombera d’un coup une fois que la rente ne sera plus là pour couvrir les atermoiements et les errances.

L’exemple récent de Ghardaïa est à méditer. Il est nécessaire de réconcilier ce peuple avec son histoire. Si on ne doit pas invoquer la théorie du complot extérieur à tout bout de champ, force est de constater que le potentiel de l’Algérie ne laisse pas indifférent les grands de ce monde. A Dieu ne plaise, si on ne fait rien pour asseoir définitivement un Etat Nation, nous allons être soudanisés, voire irakisés, ou pire, somalisés. Nous ne sommes pas invulnérables !

Le moment est venu, le croyons-nous encore une fois, de réconcilier les Algériennes et les Algériens avec leur Histoire de telle façon à en faire un invariant qui ne sera pas récupéré d´une façon ou d´une autre. Le moment est venu aussi, une fois encore, de faire émerger à côté encore des légitimités historiques, les nouvelles légitimités du XXIe siècle. Chacun devra être jugé à l’aune de sa valeur ajoutée, non pas en tant que remueur de foule, voire comme professionnel de la politique.

Dans une génération, l’Algérie importera son pétrole, avec quoi, puisque présentement, il représente 98% de ses recettes. La société civile que nous devons contribuer à faire émerger devra être partie prenante du destin de l´Algérie. S´agissant de la stratégie énergétique, il est important de tout mettre à plat et tracer un cap qui nous permette d´aller vers la sobriété énergétique et miser sur les énergies renouvelables en n´extrayant du pétrole et du gaz que ce qui est strictement nécessaire au développement. Qu´on se le dise! Notre meilleure banque est notre sous-sol, c’est cela le développement durable.

Moi, président de la République

Sans être exhaustif, je propose cette anaphore qui sans être exhaustive donne une idée des mesures nécessaires si l’on veut conquérir le coeur des Algériens et s’imposer autrement que par les méthodes que la morale réprouve.

Moi, président, je mettrais tous mes efforts pour faire aboutir un projet de société consensuel en combattant le régionalisme, le népotisme et les déviations basées sur l’ethnie ou la religion.

Moi, président, je choisis de parler vrai et d’assumer une impopularité si j’ai la conviction que c’est la bonne voie pour mon pays, quitte à démissionner.

Moi, président de la République, je ferais de mon mieux pour consacrer les libertés individuelles

Moi, président, je rendrais l’espoir à cette jeunesse en lui donnant une utopie, un cap qui est la construction d’un Etat fort où seul le mérite sera pris en considération

Moi, président, je ferais du système éducatif et de la recherche le coeur de la stratégie pour une transition multidimensionnelle

Moi, président, je n’irais inaugurer que des réalisations de création de richesse, et pas de salles de classe ou d’amphis ou de logement

Moi, président, j’irais m’enquérir régulièrement de l’acte pédagogique dans les écoles, les lycées, les universités de la plus modeste recherche, dans le plus humble des laboratoires

Moi, président, je réhabiliterais le service national matrice du vivre-ensemble, j’irai encourager les bâtisseurs du développement national qui feront du Sahara une seconde Californie, qui construirons de nouvelles villes au Sud,

Moi, président de la République, je donnerais un sens au développement durableMoi, président de la République, je protégerais les ressources fossiles en n’extrayant du sous-sol que ce qui est nécessaire, convaincu que notre meilleure banque est notre sous-sol. Le peu d’énergie qui reste, notamment le gaz de schiste ne sera exploitée que quand la technologie sera respectueuse de l’environnement

Moi, président de la République, je ferais la chasse au gaspillage sous toutes ses formes, je recommanderais aux imams de faire des prêches incitant les fidèles à l’économie, je mettrais en oeuvre l’apprentissage de l’éco-citoyenneté au lieu de l’égo-citoyenneté actuelle

Moi, président de la République, je réhabiliterais l’effort, le devoir bien fait en mobilisant les médias lourds pour mettre en valeur les efforts de ces méritants de la Nation

Moi, président de la République, je réhabiliterais le sport national, la performance pour l’idéal national et non pour l’argent

Moi, président, j’exigerais de tous les responsables de déclarer sur l’honneur leur patrimoine.

L’immense majorité de la jeunesse est en attente d’un Messie qui vibre à leur fréquence qui au lieu du «quararna», convainc et ne contraint pas.

En définitive, il nous faut retrouver cette âme de pionnier que l’on avait à l’Indépendance en mobilisant, quand il y a un cap. Imaginons que le pays avec une nouvelle Constitution qui ancre la démocratie, décide de mobiliser dans le cadre du Service national, véritable matrice du nationalisme et de l’identité, des jeunes capables de faire reverdir le Sahara, de s’attaquer aux changements climatiques, d’être les chevilles ouvrières à des degrés divers d’une stratégie énergétique qui tourne le dos au tout-hydrocarbures et qui s’engage à marche forcée dans les énergies renouvelables.

L’immense majorité de la jeunesse est en attente d’un Messie qui vibre à leur fréquence qui au lieu du «quararna», convainc et ne contraint pas. Le bonheur transparaîtra en chacun de nous par la satisfaction d’avoir été unis utiles, et en contribuant par un travail bien fait, par l’intelligence et la sueur, à l’avènement de l’Algérie de nos rêves. Il ne tient qu’à notre volonté de faire de nos rêves une réalité. Nous le devons, nous le pouvons. Faisons-le. Nos élites politiques sont comptables devant l’histoire.

Professeur Chems Eddine Chitour

Ecole Polytechnique enp-edu.dz

 



Articles Par : Chems Eddine Chitour

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