Dégâts des eaux au Brésil: Nestlé refuse l’expertise

ENVIRONNEMENT – Les défenseurs du Parc des eaux de São Lourenço, dans l’Etat des Minas Gerais, demandent une expertise des dommages causés, selon eux, par le pompage excessif de la transnationale suisse.

«Nestlé a enfin cessé de pomper!» Le sourire de Franklin Frederick est encore plus pétillant qu’à l’accoutumée. Quinze mois après l’accord passé avec la transnationale (lire ci-dessous), le fer de lance du Movimento de Cidadania pelas Aguas1 (MCPA) de São Lourenço peut enfin exulter. Depuis un mois, l’usine de pompage destinée par le groupe suisse à la marque Pure Life-Brésil est désaffectée. Mais les défenseurs du fameux Parc des eaux minérales de la petite cité des Minas Gerais ne désarment pas. Ils exigent qu’une expertise indépendante constate les dégâts commis, selon eux, sur ce joyau millénaire qui attire des centaines de milliers de curistes chaque année. A terme, le MCPA souhaite rendre le Parc – aujourd’hui propriété intégrale de Nestlé – aux habitants. Photos et lettres de soutien à l’appui, Franklin Frederick a donc repris son bâton de pèlerin pour revenir au pied du géant veveysan. «Notre victoire contre la mise en bouteille de Pure Life à São Lourenço aurait été impossible sans la mobilisation ici en Suisse», précise l’écologiste brésilien, bien décidé à remettre le couvert.

«En arrêtant de pomper, Nestlé pense sûrement que le problème est résolu. Mais non, c’est clair qu’il n’est pas résolu!» s’enflamme Franklin Frederick. Selon le MCPA, à trop solliciter la nappe phréatique, le Parc des eaux de São Lourenço serait «en train de s’effondrer». «On a relevé des dizaines de fissures», assure M. Frederick, photos à l’appui. Le Brésilien regrette qu’«aucune expertise technique en profondeur» n’ait été menée sur l’impact du pompage réalisé pour Pure Life. Or, «si nous voulons obtenir des mesures de compensation, nous devons avoir un tableau clair de la situation».
L’activiste a de sérieuses inquiétudes quant aux dommages qui pourraient avoir été causés aux autres sources du Parc. Il s’interroge notamment sur l’impact du mur bâti par Nestlé tout autour de son usine. «Par endroits, les fondations vont jusqu’à sept mètres sous terre», relève-t-il. La circulation des eaux souterraines en a-t-elle été perturbée? Avec quelles conséquences?

Tourisme en chute libre

Franklin Frederick affirme en tout cas qu’une des sources du Parc – «la magnésienne» – s’est tarie, tandis que d’autres ont perdu leurs spécificités minérales. «Chaque source du Parc est une merveille de la nature, avec un goût et des propriétés très particulières que des milliers d’années de filtrage naturel leur ont conférés. Or, si l’on pompe de façon excessive, le terrain s’affaisse et des eaux s’infiltrent beaucoup plus rapidement», explique-t-il.
Les dommages seraient d’autant plus graves, pour São Lourenço, que cette ville de 40 000 habitants s’est construite autour de son Parc et dépend économiquement des eaux médicinales. Dans une récente lettre à la coalition d’ONG suisses Alliance Sud, plusieurs associations de commerçants et d’hôteliers de São Lourenço accusaient «l’activité écologiquement criminelle de Nestlé» d’avoir été «l’une des principales causes de la chute brutale de notre unique activité économique, le tourisme». Selon M. Frederick, la ville ne recevrait plus que 250 000 touristes annuellement contre 800 000 auparavant, «en partie à cause des dégâts causés par le pompage».

Nestlé conteste

Des «allégations absolument rejetées» par Nestlé qui, s’appuyant sur «toutes les enquêtes des autorités brésiliennes», ne voit «aucune nécessité d’expertiser le Parc», selon son porte-parole à Vevey, François-Xavier Perroud. A contrario, l’entreprise affirme entretenir la principale attraction de la ville à la satisfaction de la communauté, qui n’a ainsi pas bourse à délier.

«Mais si le Parc est réellement en si bon état, une expertise indépendante permettrait de faire taire les critiques», réplique M. Frederick. Dès son arrivée en Suisse, le militant a remis une lettre plaidant en ce sens à Alliance Sud. La coalition l’aurait à son tour expédiée au siège de la multinationale. «Je n’en ai aucune connaissance», répond laconiquement M. Perroud.

A dire vrai, Nestlé n’accorde que peu de crédit au mouvement représenté par Franklin Frederick. Dans une lettre adressée l’an dernier à d’importantes ONG britanniques, Nestlé s’étonnait que celles-ci puissent inviter à un meeting un tel personnage qui «représente aussi mal les sentiments des gens [de São Lourenço] que la réalité des faits». A l’appui de ses critiques, le groupe veveysan joignait une lettre du maire de São Lourenço, niant toute représentativité à M. Frederick et vantant l’implication de l’entreprise dans des projets sociaux et écologiques.

Alors Franklin Frederick, un affabulateur? «Les supposées actions de développement durable menées par Nestlé et mentionnées dans la lettre n’existent qu’en propagande», réagit sèchement l’évêque de Campanha, dont le diocèse comprend São Lourenço. Dans une missive de soutien à l’écologiste, Diamantino P. de Carvalho en appelle au contraire à la récupération de ce «bien public, source de santé» aujourd’hui en mains d’une «entreprise qui se préoccupe bien peu de la protection de l’environnement».

«Nous voulons tirer le Parc des eaux des mains de Nestlé, confirme M. Frederick. Cette entreprise a prouvé son incapacité à le gérer correctement.» L’idée, confie-t-il, serait de remettre sa gestion à une «fondation publique», chargée en premier lieu de réparer les dégâts «en toute transparence», et ce, grâce aux dédommagements versés par Nestlé. Utopique? Hilare, Franklin Frederick réplique le plus naturellement du monde: «Qui aurait pensé que nous ferions cesser la production de Pure Life – l’eau en bouteille la plus profitable de Nestlé – au Brésil?» I

Note : 1 Mouvement de citoyenneté pour les eaux.

Paru le Samedi 21 Juillet 2007

Après Pure Life, l’exportation?
   
BPZ    

Débutée à São Lourenço, la lutte pour la préservation des sources médicinales s’est étendue aux autres cités de l’Etat dotées d’un tel trésor. Réunis en Mouvement des amis du Circuit des eaux1, les écocitoyens des Minas Gerais sont mobilisés contre le projet de commercialisation et d’exportation de ces eaux minéralisées à travers Aguas Minerais de Minas, une société promue par le gouverneur. «Nous ne croyons pas un instant au caractère public de cette entreprise», avertit Franklin Frederick, d’autant que la tendance, au Brésil, serait aux «partenariats public-privé», façon élégante de camoufler des privatisations. Face aux plans d’exportation d’eau minérale vers les pays du Moyen-Orient, les écologistes craignent que le scénario de São Lourenço ne se répète dans des Parcs jusqu’à présent protégés par leur statut public.

Méfiant, M. Frederick serait enclin à voir la patte de Nestlé derrière le projet: «Il est évident qu’aucune compagnie ne peut espérer entrer sur le marché mondial de l’eau sans le soutien d’un des quatre grands: Nestlé, Danone, Coca ou Pepsi.» Pis, échafaude l’écologiste, une manoeuvre pourrait consister dans la cession du Parc de São Lourenço à une «prétendue société publique», Nestlé se préservant ainsi de tout risque de poursuites pour les dégâts, tout en gardant la main sur les sources…

Du côté de Vevey, en revanche, on se dit très satisfait de la situation actuelle, qui voit Nestlé assumer la gestion touristique du Parc et exploiter une eau locale, du nom de São Lourenço. «Aucune grosse opération n’est envisagée», nous assure-t-on. BPZ

Note :
1 http://www.circuitodasaguas.org  
2 Tirée d’une autre source du Parc, cette eau en bouteille n’est pas contestée par les écologistes.



Articles Par : Benito Perez

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