De l’Afghanistan à la Syrie : Droits des femmes, propagande de guerre et CIA

Cet article a été publié initialement le 14 avril 2013.

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Les droits des femmes sont de plus en plus utilisés comme instrument de propagande favorisant des desseins impériaux.

Les chefs d’État occidentaux, les représentants de l’ONU et les porte-paroles militaires font invariablement l’éloge de la dimension humanitaire de l’invasion de l’Afghanistan d’octobre 2001, menée par les États-Unis et l’OTAN, laquelle aurait pour but de combattre les fondamentalistes religieux, d’aider les petites filles à aller à l’école et de libérer les femmes soumises au joug des talibans.

La logique d’une telle dimension humanitaire de la guerre d’Afghanistan est contestable. N’oublions pas qu’Al-Qaïda et les talibans ont été appuyés par les États-Unis dès le début de la guerre soviéto-afghane, et ce dans le cadre d’une opération clandestine de la CIA.

Voici comment l’Association révolutionnaire des femmes en Afghanistan (RAWA) a décrit la situation :

« Les États-Unis et leurs alliés ont tenté de légitimer leur occupation militaire en Afghanistan sous la bannière de la « liberté et de la démocratie pour le peuple afghan ». Cependant, en ce qui concerne le destin de notre peuple, ce que nous avons vécu depuis 3 décennies nous a démontré que le gouvernement étasunien prend d’abord ses propres intérêts politiques et économiques en considération et a renforcé et équipé les groupes fondamentalistes les plus traitres, antidémocratiques, misogynes et corrompus en Afghanistan. »

Ce sont les États-Unis qui ont installé le régime des talibans en Afghanistan en 1996, une stratégie de politique étrangère ayant mené à l’anéantissement des droits des femmes :

« Dans le cadre du décret présidentiel sur la sécurité nationale NSDD 166, l’aide étasunienne aux brigades islamistes acheminée par le Pakistan n’était pas limitée à une aide militaire typique. Par le biais de la U.S. Agency for International Development (USAID), Washington appuyait et finançait également le processus d’endoctrinement religieux, principalement dans le but d’assurer l’abolition des institutions laïques. »  (Michel Chossudovsky, 9/11 ANALYSIS: From Ronald Reagan and the Soviet-Afghan War to George W Bush and September 11, 2001, Global Research, 9 septembre, 2010.)

Les écoles religieuses étaient généreusement financées par les États-Unis d’Amérique :

« Avant la guerre soviéto-afghane, l’éducation en Afghanistan était majoritairement laïque. L’éducation clandestine des États-Unis a détruit l’éducation séculière. Le nombre d’écoles religieuses financées par la CIA (madrasas) est passé de 2 500 en 1980 à plus de 39 000 [en 2001]. » (Ibid.)

Afghan women.(AFP Photo / Shah Marai)

Femmes afghanes aujourd’hui (AFP Photo / Shah Marai)

Le peuple étasunien ignore que les États-Unis ont propagé les enseignements du djihad dans des recueils de textes « Fabriqués aux États-Unis » et conçus par l’Université du Nebraska :

« [D]ans le cadre d’une tentative clandestine visant à stimuler la résistance à l’occupation soviétique, les États-Unis ont dépensé des millions de dollars pour fournir aux élèves afghans des recueils remplis d’images violentes et d’enseignements islamiques militants.

Les premiers livres, plein de discours djihadistes et de dessins d’armes à feu, de balles, de soldats et de mines servent depuis ce temps de programme de base du système scolaire afghan. Même les talibans ont utilisé les livres produits aux États-Unis.

La Maison-Blanche défend le contexte religieux en disant que la culture afghane est imprégnée des principes islamiques et que les livres « sont entièrement conformes aux politiques et à la loi des États-Unis ». Des juristes se demandent toutefois si ces livres violent une loi constitutionnelle interdisant que l’argent des contribuables serve à promouvoir la religion.

[D]es représentants de l’AID ont déclaré qu’ils avaient laissé le matériel islamique intact, craignant que les éducateurs afghans ne rejettent des livres ne contenant pas une forte dose de pensée islamique. L’agence a enlevé son logo et toute mention du gouvernement étasunien des textes religieux, a affirmé la porte-parole de l’AID Kathryn Stratos.

“L’appui à une éducation religieuse ne fait pas partie des politique de l’AID, mais nous sommes allés de l’avant avec ce projet parce que l’objectif principal […] est d’éduquer les enfants, une tâche principalement laïque », a déclaré Mme Stratos.

[P]ublié dans les principales langues Afghanes, le dari et le pachtoune, les recueils ont été conçus au début des années 1980 grâce à une subvention de l’AID à l’Université du Nebraska à Omaha et son Centre d’études afghanes. L’agence a versé 51 millions de dollars aux programmes d’éducation de l’université en Afghanistan de 1984 à 1994. » (Washington Post, 23 mars 2002.)

Retour en arrière

Avant l’arrivée au pouvoir des talibans. Les femmes afghanes avaient un style de vie très semblable à celui des femmes occidentales (voir photos ci-dessous).

Femmes afghanes durant les années 1970, avant l’intervention de la CIA

Kabul University 1980s

Kabul University 1980s

Université de Kaboul dans les années 1980

Dans les années 1980, Kaboul était « une ville cosmopolite. Les artistes et les hippies inondaient la capitale. Les femmes étudiaient l’agriculture, l’ingénierie et le commerce à l’université de la ville, elles occupaient des postes dans la fonction publique. » Il y avait des femmes députés, elles conduisaient des voitures, voyageaient et fréquentaient des hommes sans avoir à demander la permission à un gardien.

Ironiquement, les droits des femmes avant l’insurrection djihadiste appuyée par les États-Unis et tels que décrits par RAWA sont confirmés par un article de 2010 publié par Foreign Policy (2010), un porte-voix du Washington Post fondé par Samuel Huntington :

 Original caption: "Kabul University students changing classes. Enrollment has doubled in last four years." The physical campus of Kabul University, pictured here, does not look very different today. But the people do. In the 1950s and '60s, students wore Western-style clothing; young men and women interacted relatively freely. Today, women cover their heads and much of their bodies, even in Kabul. A half-century later, men and women inhabit much more separate worlds.

Les étudiants de Kaboul changeant de classe. Les inscriptions ont doublé dans les quatre dernières années

« Le campus de l’Université de Kaboul ci-dessus n’a pas beaucoup changé contrairement aux gens. Dans les années 1950 et 1960, les étudiants portaient des vêtements de style occidental et les jeunes hommes et femmes se côtoyaient assez librement. De nos jours, les femmes couvrent leur tête et la majorité de leur corps, même à Kaboul. Un demi-siècle plus tard, les hommes et les femmes vivent dans des univers bien plus séparés.

 "Biology class, Kabul University." In the 1950s and '60s, women were able to pursue professional careers in fields such as medicine. Today, schools that educate women are a target for violence, even more so than five or six years ago.

Classe de Biologie, Université de Kaboul

Dans les années 1950s and 1960, les femmes pouvaient poursuivre des carrières professionnelles dans des domaines comme la médecine. Aujourd’hui, les écoles éduquant les femmes sont la cible de violences, encore plus aujourd’hui qu’il y a cinq ou six ans.

 "Phonograph record store." So, too, were record stores, bringing the rhythm and energy of the Western world to Kabul teenagers.

Magasin de disques

Il y avait également des magasins de musique, apportant aux adolescents de Kaboul le rythme et l’énergie du monde occidental.

"Hundreds of Afghan youngsters take active part in Scout programs."

Des centaines de jeunes Afghans participent activement à un programme de scoutisme

Il y avait autrefois en Afghanistan des garçons et des filles scouts. Dans les années 1950 et 1960, ces programmes ressemblaient énormément à ceux des États-Unis, où l’on éduquait les élèves des écoles primaires et secondaires sur les sentiers de randonnée, le camping et la sécurité publique. Toutefois, les scouts ont complètement disparu après les invasions soviétiques à la fin des années 1970. » (Mohammad Qayoumi Once Upon a Time in Afghanistan…, Foreign Policy, 27 mai 2010.)

Le lecteur avisé aura noté l’insidieuse désinformation dans la légende ci-dessus. Elle porte à croire que la destruction du style de vie libéral des Afghanes est l’œuvre de l’Union Soviétique, alors qu’elle découle en réalité de l’appui des États-Unis à Al-Qaïda et aux talibans. L’action de Moscou en appui au gouvernement prosoviétique de Kaboul visait à contrer l’insurrection des moudjahidines islamistes soutenus clandestinement par la CIA, un fait reconnu par Zbignew Brzezinski, le conseiller en politique étrangère des États-Unis :

« En effet, c’est le 3 juillet 1979 que le président Carter a signé le premier décret approuvant l’aide aux opposants du régime prosoviétique de Kaboul. Ce jour-là, j’ai écrit une note au président, dans laquelle je lui expliquais qu’à mon avis, cette aide allait provoquer une intervention militaire soviétique […]

L’opération secrète était une excellente idée. Elle a eu pour effet d’attirer les Russes dans le piège afghan et vous voulez que je le regrette? Le jour où les Soviétiques ont officiellement traversé la frontière, j’ai écrit au président Carter : « Nous avons maintenant l’opportunité de donner à l’URSS sa guerre du Vietnam. » »(L’intervention de la CIA en AfghanistanNouvel Observateur, 1998, Global Research, 15 octobre 2001.)

En 1982, le président Ronald Reagan a même dédié la navette Columbia aux « combattant de la liberté », les islamistes appuyés par les États-Unis en Afghanistan, à savoir Al-Qaïda et les talibans.

« Columbia représente les plus grandes aspirations de l’Homme dans le domaine de la science et de la technologie au même titre que la lutte du peuple afghan représente les plus grandes aspirations de l’Homme à la liberté. »

Ronald Reagan rencontre les moudjahidines (talibans) en 1985 : « Ces hommes sont l’équivalent des pères fondateurs des États-Unis. »

 

Pourtant les gouvernements des États-Unis et des pays membres de l’OTAN affirment que leur présence militaire en Afghanistan a aidé à promouvoir les droits des femmes. En réalité, ces droits ont été abolis par l’arrivée au pouvoir du régime taliban appuyé par Washington.

Le Réseau des femmes syriennes du département d’État

En quoi cette histoire des femmes afghanes concerne-t-elle les droits des femmes syriennes dans le contexte de crise actuel?

La guerre non déclarée des États-Unis et de l’OTAN en Syrie (2011-2013) en appui à des rebelles affiliés à Al-Qaïda semble avoir une logique semblable, à savoir la destruction de l’éducation laïque et l’abolition des droits des femmes.

Les Syriennes feront-elles face au même destin tragique que les Afghanes sous le régime taliban?

En janvier dernier « un groupe hétérogène de Syriennes » disant « représenter les principaux mouvements d’opposition » ont assisté à une conférence organisée par  Women’s Democracy Network (Réseau démocratique des femmes,WDN), en coordination avec l’Office of Global Women’s Issues à Doha au Qatar, une agence du département d’État des États-Unis.

WDN est une initiative de l’International Republican Institute, bien connu pour son appui aux dissidents dans divers pays défiant l’impérialisme étasunien. Il est évident que le département d’État utilise « les droits des femmes » comme instrument, puisqu’il finance simultanément l’« opposition » islamiste dans le but de miner l’État laïque et d’installer tôt ou tard un gouvernement islamiste à Damas.

Le Syrian Women’s Network (Réseau des Syriennes) s’est formé à la conférence parrainée par les États-Unis et a formulé une charte « visant à assurer l’inclusion des femmes dans la résolution du conflit et la transition de leur pays »:

« Dans la charte, les participantes demandent l’égalité des droits et de représentation pour tous les Syriens, l’égalité de participation des femmes à toutes les réunions internationales, à l’ébauche d’une constitution et aux comités de réconciliation, ainsi que dans les organes directeurs élus. La charte traite aussi de sujets incluant la prévention des actes de violences envers les femmes et les poursuites judiciaires des responsables, l’accès à l’éducation et la nécessité de faire participer les femmes de manière générale dans la résolution du conflit en cours, tout en assurant la participation future des femmes dans la reconstruction de la Syrie. Des représentants du gouvernement étasunien ont également pris part à la conférence, soulignant leur appui aux Syriennes  […], Carla Koppell, conseillère principale de l’United States Agency for International Development [USAID] pour l’Autonomisation des femmes et l’égalité des sexes a suggéré lors de son discours que  » [s]i un groupe de femmes si diversifié peut trouver un programme commun, il sera très puissant » ». (Women Demand Role in Syria’s Transition and Reconciliation, 28 janvier 2013, c’est l’auteur qui souligne.)

Monica McWilliams, founder of the Northern Ireland Women’s Coalition (left) and Deputy Prime Minister of Kosovo Edita Tahiri (right) share their experiences with participants of a conference in Doha, Qatar, where Charter of the Syrian Women’s Network was adopted by a diverse group of Syrian women representing the leading opposition movements in the country.(Photo from wdn.org)

« Monica McWilliams, fondatrice de la Coalition des femmes d’Irlande du Nord (à gauche) et de la vice première ministre du Kosovo Edita Tahiri (à droite) partagent leur expérience avec les participantes d’une conférence à Doha au Qatar, où la Charte du Réseau des Syriennes a été adoptée par un groupe hétéroclite de Syriennes représentant les principaux mouvements d’opposition du pays. » (Photo from wdn.org)

Le premier paradoxe frappant de cette conférence est qu’elle se soit tenue au Qatar, un pays où les droits des femmes demeurent pour le moins limités. À la mi-mars, le gouvernement qatari a même exprimé ses inquiétudes « à propos de références aux droits sexuels et reproductifs des femmes » contenus dans la Déclaration des Nations Unies sur le statut des femmes appelé Élimination et prévention de toute forme de violence contre les femmes.

Second paradoxe : l’USAID, qui a contribué à l’anéantissement des droits des femmes en promouvant l’endoctrinement religieux en Afghanistan, fait maintenant la promotion  des droits des femmes afin d’entraîner un changement de régime en Syrie. Entre-temps, les États-Unis, le Qatar et l’Arabie Saoudite appuient des groupes islamistes extrémistes luttant contre le gouvernement laïc en Syrie. Certaines « zones libérées » en Syrie sont maintenant dirigées par des extrémistes religieux:

« Des écoles religieuses wahhabites et les droits des femmes dans une zone libérée d’Alep dirigée par l’ »opposition » soutenue par les États-Unis et l’Arabie Saoudite. Il s’agit certainement d’une « amélioration » lorsqu’on les compare au système d’éducation laïque en vigueur en Syrie. » (Michel Chossudovsky, Syria: Women’s Rights and Islamist Education in a “Liberated” Area of Aleppo, Global Research, 27 mars 2013.)

Si un régime étasunien par procuration était installé à Damas, les droits et libertés des Syriennes pourraient bien suivre la même voie liberticide que ceux des Afghanes sous le régime des talibans, soutenu par les États-Unis, une voie qui se poursuit sous l’occupation des États-Unis et de l’OTAN.

Julie Lévesque

 

 

Une version de cet article a été originalement publiée en anglais par RT Op-Edge :

http://rt.com/op-edge/afghanistan-syria-womens-us-153/



Articles Par : Julie Lévesque

A propos :

Julie Lévesque is a journalist and researcher with the Centre for Research on Globalization (CRG), Montreal. She was among the first independent journalists to visit Haiti in the wake of the January 2010 earthquake. In 2011, she was on board "The Spirit of Rachel Corrie", the only humanitarian vessel which penetrated Gaza territorial waters before being shot at by the Israeli Navy.

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