Eduardo Galeano, une ardente mémoire, pour un présent de tous les présents

Eduardo… Ton courage ironique, élégant, nous a appris à l’aimer. Cette terre rebelle, deux fois belle, pionnière dans ses laboratoires émancipateurs, tu la portais rationnellement dans tes entrailles.

Je me souviens d’un petit monsieur, proviseur d’un grand lycée, qui nous interdit dans les années 1970 -nous étions quatre profs d’espagnol- d’inciter nos élèves à acheter « Les veines ouvertes de l’Amérique latine », car l’essai de cet auteur uruguayen était « politique ». Il en avait de bonnes, cet Eduardo Galeano ! Etudier l’histoire d’un continent par le biais du pillage de ses ressources, de la spoliation de ses matières premières, de la dépossession de soi-même, par le colonialisme puis par les impérialismes et leurs multinationales vampires, relevait aux yeux de ce torquemada de quartier, de la propagande moscoutaire. L’Amérique a été découverte par les Espagnols et les Portugais, qui l’ont civilisée, alphabétisée, évangélisée… Allez, circulez, l’occident a été et veut rester, le pauvre, le nombril (de plus en plus flétri) du monde. Les « sauvages » du sud n’ont même pas la reconnaissance du ventre !! Car le sud existe, Eduardo… Ton courage ironique, élégant, nous a appris à l’aimer. Cette terre rebelle, deux fois belle, pionnière dans ses laboratoires émancipateurs, tu la portais rationnellement dans tes entrailles.

Tes « Veines ouvertes », ton essai imparable au milieu des poteaux, « best-sellarisé » pour l’éternité, que Chavez offrit un jour (à Trinidad et Tobago) au président amnésique B. Obama, est devenu une arme de persuasion massive.

Oui, oui, Eduardo, par les veines ouvertes de « Nuestra América » coulait hier à flots l’or et l’argent qui contribuèrent au développement du capitalisme européen, et l’horreur génocidaire, l’ethnocide, le commerce triangulaire, l’esclavage d’antan (et celui d’aujourd’hui), le nickel, le sucre, le cuivre, le salpêtre, le pétrole… cette orgie impérialiste sans cesse recommencée et puis, un jour : BASTA !! BASTA que les Yankis commandent !! Depuis Fidel en 1959, et surtout depuis plus de 15 ans, tes amis Chavez, Maduro, Evo Morales, Correa, Lula, Pepe Mugica, Marcos…, ont interrompu le festin… Tu n’avais que de mauvaises fréquentations, et les « gringos », les « agringados », ne te le pardonnaient pas. En 1973, les « milicos » t’emprisonnèrent et tu pris le chemin du « des-tierro », de la perte de la terre, de l’exil, jusqu’en 1985.

Nous, les militants, les amis des peuples latinos, nous attendions tes ouvrages, essais, romans (« La pierre qui brûle »), récits courts, contes, textes parfois scientifiquement pamphlétaires, corrosifs, d’une poésie de « páramo », d’une écriture parfois laconique, parfois métaphorique ou/et sensuelle, tes aphorismes, tes saillies en plein dans le mille, si didactiques, si tendres, si efficaces, si toniques. Avec le temps, avec « Les voix du temps », avec « Le livre des étreintes », avec tes « Paroles vagabondes », tu mettais tout à l’endroit face à des mondes « Sens dessus-dessous », « A l’envers », si « Versatiles ». Tes titres sont autant d’uppercuts, de directs à la face des promoteurs du « tout-jetable », jusqu’aux individus.

Tu avais, et tu l’écrivis, la « Mémoire du feu », cette trilogie d’une hauteur macchu picchesque (« Les Naissances », « Le siècle du vent », « Les visages et les masques »), une pyramide incandescente.

Passionné de football, tu leur en as mis, des buts, à ces « desalmados » (sans âme), essoreurs de peuples. Tu ne te voulais pas un « maître à penser » ; mais pour nous, tu étais kilométrique, un référent, un volcan « imprescindible » (absolument nécessaire) pour aujourd’hui, et pour demain, car, en fin de compte, tu disais : « nous sommes ce que nous faisons, pour changer ce que nous sommes ».

Jean Ortiz

Chroniques Latines, L’Humanité, 14 Avril, 2015 – 11:54



Articles Par : Jean Ortiz

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