Elections, démocratie, occupation et ingérence

Alors que les élections municipales se terminent en Cisjordanie et témoignent d’une percée importante et prévisible du Hamas, les Etats unis et maintenant l’Europe par la voix de son représentant, Solana, se permettent menaces et condamnation.

Qui d’honnête et informé s’étonnera de la percée du Hamas ? Depuis sa création dans les années 80, il a été utilisé par les autorités israéliennes pour faire pièce à l’OLP, et au Fatah. Il s’est développé sur une ligne opposée à l’Autorité palestinienne issue des Accords intérimaires d’Oslo.

Dans une logique de résistance à une occupation brutale et pour prendre date dans le projet politique palestinien, il s’est rapidement présenté comme le seul défenseur de la population palestinienne sans recours devant la violence du terrorisme d’état israélien. Il a aussi assuré des services à la population étranglée par l’occupation par l’intermédiaire de ses écoles, cliniques et autres organismes caritatifs, surtout dans la bande de Gaza.

Ses méthodes de lutte armée ont inclus des attentats qui sont contraires au droit (on ne s’attaque jamais à des civils) et qui ont coûté cher à la lutte palestinienne en terme d’image. L’amalgame Palestinien/terroriste était si facile à utiliser et repris avec tant de détermination par les partisans de l’occupation coloniale israélienne face à une opinion mal informée, que l’on a pu à de nombreuses reprises, notamment dans les dernières années, se demander à qui servaient vraiment les attentats.

Ils permettaient, entre autre falsification, de faire porter la responsabilité première de la violence sur les « groupes armés terroristes ».

Or la seule responsable de la violence qui détruit la Palestine et aussi Israël est l’occupation. C’est la souffrance durable et désespérée d’un peuple qui le fait accepter, en partie, des méthodes de lutte qui lui sont finalement défavorables.

Il ne s’agit en rien d’une attitude religieuse. La politique du Hamas, parti politique, mené par des hommes pragmatiques, en rien des « fous de Dieu », était de faire payer aux autorités d’occupation leur politique coloniale meurtrière tout en discréditant l’ANP en tant que représentant efficace de la résistance. Le message adressé aux autorités politiques et militaires israéliennes était que tant que durerait l’occupation la population israélienne ne serait pas en sécurité. Population qui avait justement élu Sharon pour la protéger et qui n’a jamais autant subi d’attaques que pendant son mandat mais qui n’a, semble-t-il, pas fait le lien de cause à effet entre la politique agressive de son gouvernement contre le peuple palestinien et les actions, pour certaines immorales et illégales -les attentats- qu’elle entraînait.

Contrairement à ce que la propagande israélienne présente avec autant de brio que de malhonnêteté, les attentats ne précèdent pas les « représailles », ils sont la conséquence prévisible et annoncée d’attentats contre des civils palestiniens (assassinats ciblés) ou de campagnes militaires contre la population civile (attaques aériennes ou d’infanterie sur les villes ou les camps) en Palestine occupée.

La communauté internationale le sait bien, dont les observateurs sur place constatent régulièrement les violations par Israël du droit international [1], du droit humanitaire et des droits humains, que ce soit par la construction continue du mur d’annexion et d’apartheid dénoncé par la Cour Internatoinale de Justice, ou l’extension des colonies, les campagnes d’arrestations ou les punitions collectives, tous actes qui violent le droit auquel Israël prétend adhérer.

Les revendications nationales palestiniennes sont foulées au pied, Jérusalem-est devient un confetti palestinien emmuré dont la vocation à être la capitale de Palestine devient de plus en plus irréaliste [2]. Le territoire palestinien morcelé, fragmenté, déstructuré, est réduit à peau de chagrin par le mur de la honte, les routes d’apartheid et les colonies, toutes illégales, qui volent la terre et l’eau de Palestine.

Tout ça la communauté internationale le sait bien. Tout ça fait le lit d’une résistance dite radicale. Cependant, dans un contexte de lassitude (mais pas de renoncement) de la population palestinienne après 5 ans de répression de l’Intifada, répression qui a fait des milliers de morts, de blessés et handicapés, des milliers de maisons détruites,des centaines de milliers d’arbres arrachés, des centaines d’hectares de terre et des dizaines de sources d’eau volées, le Hamas a jugé nécessaire d’entrer dans le jeu démocratique qui prévaut en Palestine.

Quels que soient ses motivations politiques premières et ses « parrains » réels, le Hamas a aujourd’hui choisi de participer aux élections et une partie du peuple palestinien se reconnait en lui.

Or, au lieu d’encourager ce processus qui, sans privilégier nécessairement la négociation par rapport aux armes -le Hamas ne renonce pas à la lutte armée contre l’occupation-, est néanmoins un tournant important dans la stratégie du mouvement, les Etats-unis, vite suivis par l’Europe, menacent et condamnent. C’est d’autant plus irresponsable que la politique israélienne de provocation meurtrière continue au quotidien [3] et continue d’exaspérer la douleur et la colère palestiniennes.

C’est qu’il faut pour Sharon, reconverti en « centriste » mais qui réaffirme ses priorités coloniales sionistes sans état d’âme, appuyer sa politique sur une image de violence palestinienne.

Et elle va venir, cette violence. Les organisations de la résistance qui s’étaient en février 2005 engagées à une trêve jusqu’à fin décembre, et qui l’ont tenue, ne vont pas la renouveler, puisque la partie israélienne ne tient aucun de ses engagements et continue à tuer, emprisonner et coloniser.

Que veulent alors Solana et Bush ? La paix à laquelle ils affirment vouloir aboutir ou la violence poursuivie par l’occupation à laquelle répond une petite partie de la résistance ?

Quelle société prétendent-ils promouvoir ? La société laïque et démocratique qui reste aujourd’hui le modèle palestinien que soutiennent tant l’ANP que la gauche palestinienne et la société civile, celle qu’ils menacent de ne plus aider, ou une société plus proche de ce que le Hamas envisage et que leur position d’arrogance hostile va renforcer ?

Ce n’est pas le Hamas qu’il faut rejeter, même si l’on ne partage pas son idéologie, c’est l’occupation dont il se nourrit, c’est la politique coloniale israélienne qui reste publiquement et officiellement à l’ordre du jour. C’est cela qu’il faut punir, en sanctionnant, en imposant le respect du droit à l’occupant.

Le peuple palestinien est, quant à lui, seul juge de son choix électoral démocratique, personne n’a le droit de s’immiscer dans ses choix de société. L’ingérence américano-européenne est à ce titre scandaleuse et contre- productive.

Et si l’on veut que ces choix soient proches de ce que nombre de dirigeants et peuples du monde considèrent comme des valeurs universelles d’ouverture, de tolérance et de liberté, alors il faut donner au peuple palestinien et ses représentants démocratiquement élus le soutien dont a besoin un peuple opprimé sous occupation militaire violente depuis des décennies, pour gagner l’obtention de ses droits nationaux et humains, avec le droit au retour chez lui de son peuple forcé à l’exil, avec un état indépendant et sa capitale, Jérusalem.

Alors le Hamas ne grandira plus, il ne fera plus peur -dans le cadre d’une « guerre de civilisation » que des irresponsables et des criminels comme Bush promeuvent-, et il ne servira plus d’alibi à nos dirigeants pour se dédouaner de leur propres responsabilités historiques et présentes et pour accepter les violations du droit commises par les autorités israéliennes en Palestine occupée.

Le droit prévaudra et la démocratie aussi quand l’occupation israélienne aura disparu et que la Palestine sera libre.

[1] voir le rapport fait par des diplomates britanniques qui vient d’être « gelé »par l’Union euopéenne

[2] voir la déclaration hier de Shimon Pérès sur Jérusalem capitale du seul Israël

[3] voir Gaza aujourd’hui



Articles Par : Claude Léostic

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