Elizabeth Warren s’adresse à une assemblée de l’AFL-CIO

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Le discours de la sénatrice Elizabeth Warren (démocrate du Massasuchetts) au Sommet national pour l’augmentation des salaires à Washington, DC, début janvier, était un exercice démagogique ayant pour objectif de donner une couverture politique à l’administration Obama, au Parti démocrate et au système capitaliste dans son ensemble.

Le choix du lieu est révélateur. Loin de vouloir augmenter les salaires, l’AFL-CIO collabore avec les employeurs depuis des décennies pour sabrer les salaires et les avantages sociaux des travailleurs qu’elle est censée représenter. Les syndicats de l’AFL-CIO ont répondu à l’éruption de la crise financière de 2008 par des coupures massives et des conventions collectives d’austérité.

Dans le cadre du sauvetage de l’industrie automobile de l’administration Obama, l’United Auto Workers a adopté des mesures qui ont eu pour effet de réduire de moitié le salaire des nouveaux employés. Le syndicat a appuyé l’entente sur la faillite de Detroit, qui va servir de précédent pour couper les pensions du secteur public et pour les mesures d’austérités partout à travers le pays, en échange du contrôle du fonds VEBA, un fonds de pension de la santé d’une valeur d’un demi-milliard. Et le mois dernier, l’AFL-CIO a appuyé l’adoption d’une loi fédérale permettant aux entreprises privées de réduire le paiement des pensions aux personnes déjà à la retraite, renversant des lois datant de plusieurs décennies qui protégeaient les pensions.

Ce sommet a fourni une occasion aux bureaucrates syndicaux de se rapprocher de diverses figures du Parti démocrate. La liste d’invités incluait le secrétaire du Travail Thomas Perez, qui a donné le discours d’ouverture, et le maire de Boston Marty Walsh, qui a participé à une table ronde. Le sommet n’a duré que 5 heures et s’est terminé avant l’heure du souper. La rencontre, loin de s’adresser à un public de travailleurs, était une affaire interne durant laquelle l’élite politique se parlait à elle-même.

Warren, qui est pressentie comme une potentielle candidate présidentielle pour 2016, a essentiellement axé ses remarques sur les inégalités et l’influence des grandes sociétés en politique. Déclarant que la «reprise» depuis la crise financière de 2008 n’a pas atteint la «classe moyenne» américaine, Warren continua en proposant une série de règles nébuleuses visant à régler les «profonds changements structurels» de l’économie qui perdurent depuis plus de trente ans». Elle cita comme précédents le New Deal et le boum économique qui suivirent la Seconde Guerre mondiale. Au point culminant de son discours, elle déclara: «il est temps de procéder au démantèlement des banques de Wall Street et de rappeler aux politiciens qu’ils ne travaillent pas pour les grandes banques, mais pour nous!»

Warren combina ses appels pour de maigres réformes règlementaires avec la promotion du nationalisme économique et du chauvinisme, depuis longtemps le pain et le beurre de la bureaucratie syndicale. Elle exprima son inquiétude de l’échec de la politique de dérèglementation «pour protéger les Américains dans un monde de plus en plus incertain»; attaqua le fait que «les manufacturiers subventionnés à travers le monde vendent ici aux États-Unis, alors que les bons emplois américains sont envoyés outre-mer»; et déclara que «nous n’abandonnerons jamais ces trois mots: fabriqué aux États-Unis».

En fait, l’administration Obama base sa stratégie manufacturière aux États-Unis sur la réduction systématique du salaire des travailleurs.

Warren présenta dans son discours un compte-rendu totalement malhonnête de l’histoire des trois dernières décennies. Les «profonds changements structuraux» qu’elle a mentionnés sont, selon elle, simplement le résultat de mauvaises politiques poursuivies par de mauvais républicains qu’elle ne nomme pas dans son discours, sauf Ronald Reagan. «Depuis les années 1980, trop de personnes gouvernant ce pays ont mené une théorie économique de subventions aux entreprises en laissant les pauvres profiter supposément et indirectement des revenus», déclara Warren. « Ça n’a pas toujours été comme ça et ça n’a pas à être comme ça. Nous pouvons faire des choix… des choix qui reflètent nos plus profondes valeurs en tant qu’Américains.»

En fait, la désindustrialisation et l’assaut systématique contre la classe ouvrière furent la réponse de la classe dirigeante américaine au long déclin du capitalisme américain. Elle a bénéficié de l’appui tant des démocrates que des républicains et commença sous l’administration de Jimmy Carter.

La seule référence indirecte de Warren au rôle du Parti démocrate fut lorsqu’elle ajouta entre parenthèses que «si nous sommes pour être honnêtes, trop de démocrates» en plus des républicains «parlent des méfaits du “gros gouvernement” et appellent à la dérèglementation».

Warren exposa son double jeu lorsqu’elle fit ses commentaires sur la politique de l’administration Obama, qui engouffra des milliards de dollars dans les banques qu’elle prétend vouloir démanteler. «Je crois que le président et son équipe méritent des félicitations pour les mesures qu’ils ont prises pour nous mener où nous sommes actuellement», a-t-elle dit sous les applaudissements. «Particulièrement pour la croissance des emplois, ce qui est très important», négligeant de mentionner que la plupart des emplois créés sont à bas salaire.

Avec une hypocrisie totale, elle condamna «le choix, dans une récession, de sauver les banques sans restriction, tandis que les familles souffrent», seulement quelques minutes après avoir louangé l’administration qui organisa ce sauvetage.

Plus tard, Warren décrit de manière absurde les diverses politiques de droite de l’administration Obama comme «David [battant] Goliath», mentionnant en particulier l’inoffensif Consumer Financial Protection Bureau, créé après la crise financière, la mise en œuvre d’Obamacare – une mesure réduisant les coûts de santé pour la grande entreprise et qui impose une cotisation plus élevée aux travailleurs – et le récent décret exécutif d’Obama sur l’immigration.

Warren est une figure complètement intégrée dans l’establishment dont la réputation «anti-Wall Street» est essentiellement basée sur sa période passée à la tête de commissions de supervision établies suite à la crise financière de 2008. Elle fut nommée par le dirigeant du Sénat majoritaire à l’époque, Harry Reid, au Congressional Oversight Panel en 2008, qui était chargé de surveiller le sauvetage des banques sous le Programme de sauvetage des actifs à risque (Troubled Asset Relief Program, TARP).

Sous Warren, le conseil fit des critiques extrêmement timides du sauvetage des banques, essentiellement basées sur le fait que son impopularité risquait de discréditer de telles politiques dans le futur. Dans un rapport en 2010, le conseil conclua: la colère populaire contre le fait de voir l’argent des taxes aller dans les coffres des plus grandes banques… la plus grande conséquence du TARP pourrait être que le gouvernement ait perdu en partie sa capacité de répondre à une crise financière à l’avenir.»

Plus tard, Obama nomma Warren pour la supervision de la création du Bureau de la protection du consommateur en matière de finance (Consumer Financial Protection Bureau), établi pour donner un verni «favorable au consommateur» à la réforme Dodd-Frank de Wall Street et à la Loi sur la protection du consommateur de 2010. Sa nomination par Obama fut bloquée par le Congrès républicain en colère contre ses timides critiques des banques.

Warren joue un rôle crucial dans la politique du Parti démocrate en fournissant une couverture pour les syndicats et ses organisations affiliées pour appuyer les démocrates dans la campagne électorale présidentielle de 2016. Elle reprend le rôle joué par Howard Dean en 2004 et John Edwards en 2008. Les deux étaient de droite et jouaient le rôle de candidats d’opposition, et lorsqu’ils échouèrent dans leur tentative de gagner la nomination, leur appui alla au candidat le plus favorable à Wall Street.

Warren est seulement la dernière d’une longue liste de figures soi-disant progressives pour la politique de plus en plus à droite du Parti démocrate. Les efforts mis pour promouvoir une telle personne ne visent qu’à sauver le Parti démocrate et un système politique qui sont considérés avec hostilité par la vaste majorité de la population – comme il a été révélé par l’effondrement du taux de participation dans les élections de mi-mandat de 2014.

Tom Hall

Article, WSWS, paru d’abord le 13 janvier 2015



Articles Par : Tom Hall

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