Eloge de la transparence et de l’alternance. Le Kenya montre la voie.

«Il faut soutenir les dictateurs africains, sinon ils ne feraient pas d’élections.»  Jacques Chirac, ancien président de la France

« Si voter servait à quelque chose il y a bien longtemps que ce serait interdit. » Coluche

Déjouant tous les pronostics traditionnels concernant les élections en Afrique, et malgré le jugement sans appel de Coluche sur l’inanité des élections, les Africains se réveillent, prennent le pari de voter même pour des tyrans en choisissant le « moins disant ». Mieux encore, l’Afrique   fait son mea culpa, trouve en elle les ressources nécessaires pour enfin mettre en place l’alternance et la démocratie. Il s’agit de dire le droit Ce fut réellement un coup d’éclair dans un ciel serein!

De quoi s’agit- il en effet ? Le Kenya de l’illustre fondateur Jomo Kenyatta, père de l’indépendance donne l’exemple. Des élections à la Naegelen, triste héritage du colonialisme français, avec certainement un équivalent anglais de la falsification des scrutins et partant du détournement de la volonté populaire ont eu lieu mais une modeste commission a décidé de donner un coup d’arrêt à l’imposture . Non pas à l’échelle du pouvoir en place, mais au niveau combien discret celui de la Cour Suprême qui décida d’invalider l’élection présidentielle et c’est une première depuis les indépendances au début des années soixante du siècle dernier.

On sait en effet, que les premiers dirigeants – et même beaucoup parmi les suivants- des pays africains indépendants ont fait du pouvoir une chasse gardée triturant à l’envi et dans tous les sens les «Constitutions» pour en définitif faire des dynasties. On sait par ailleurs que dans les pays africains et arabes, le pouvoir se transmet souvent soit par la sélection naturelle darwinienne soit par l’émeute endogène ou par les coups d’Etat exogènes mis en place généralement par les anciennes puissances coloniales qui mettent en œuvre un post colonialisme, beaucoup plus sévère que le colonialisme, en ce sens que les citoyens n’ont pas en face le colon mais un citoyen – super citoyen- qui, pour le compte de ses protecteurs, continue à mettre en coupe réglée le pays. C’est en gros le sens des révolutions colorées parfumées et des printemps dont nous avons un aperçu avec les printemps à la sauce arabe. Il n’y a donc pas d’alternance sereine apaisée.

Cela dit, même dans les grandes démocraties, les élections sont en général jouées d’avance, nous l’avons vu avec la dernière élection en France, où le candidat du mouvement «En Marche» sans assise partisane, qui a pratiquement jailli du néant, a raflé la mise et pratiquement son élection ne faisait pas débat. Là les forces occultes de l’argent et des médias ont misé sur le bon cheval… C’est dire si la sentence de Coluche est sans appel !

Présentation du Kenya

Le Kenya est un pays de l’Afrique de l’Est la superficie du Kenya est de 580 367 km², sa capitale est Nairobi. La population était de 44,9 millions (2015). La croissance démographique était de 2,3% (2013), le taux d’alphabétisation est assez élevé 88% (2016). Par contre l’IDF (Indice de développement humain) est faible: 0, 555. Les religions sont nombreuses: protestants 45%; catholiques 33%; musulmans 10%; animistes 10%; autres 2%. Le PIB: 68,9 Mds $ (2016) PIB par habitant: 1516,3 $/habitant (2016) Le taux de croissance: 6% (2016). La dette publique: 54,4% du PIB (2016). Part des principaux secteurs d’activités dans le PIB; agriculture: 30%, industrie: 19% Services: 50%.

Du point de vue politique, le Kenya, est indépendant depuis 1963. Au pouvoir depuis 1978, le président Moi introduit le multipartisme en 1992. Le Kenya connait sa première alternance démocratique en 2002 avec l’élection de Mwai Kibaki à la présidence. Le chef de l’Etat actuel est Uhuru Kenyatta. En 2007, le Kenya connaît une grave crise politique. Les résultats de l’élection présidentielle sont contestés par l’opposition en raison de la lenteur du processus de dépouillement et des soupçons de fraude. Des violences éclatent dans l’ensemble du pays et mènent le pays au bord de la guerre civile, faisant plus de 1 330 morts et 600 000 déplacés. Une médiation confiée à Kofi Annan aboutit en février 2008 à un partage du pouvoir et à la mise en place d’un gouvernement de coalition dirigé par Mwai Kibaki, en qualité de président, et Raila Odinga, en qualité de Premier ministre. L’adoption par référendum d’une nouvelle Constitution en août 2010 constitue une avancée majeure pour le pays. Les élections générales se déroulent en mars 2013 sans heurt majeur. Uhuru Kenyatta (The National Alliance, TNA), leader de la coalition «Jubilee» et fils du père de l’indépendance, Jomo Kenyatta, est élu président de la République dès le premier tour avec 50,07% des voix. William Ruto (United Republican Party, URP) devient président-adjoint.

La politique étrangère du Kenya est centrée en priorité sur son environnement régional direct et la promotion de ses intérêts économiques. La Somalie est en crise depuis 1991. En octobre 2011, craignant les incursions de la milice islamiste Al Shabab (affiliée à al Qaïda) sur son territoire, le Kenya est intervenu militairement en Somalie, et a créé une zone tampon le long de sa frontière. Depuis février 2012, les forces kenyanes (4 000 hommes) sont intégrées au sein de la Mission de l’Union africaine en Somalie (Amisom), déployée depuis 2007. Le Kenya paie cher son engagement militaire en Somalie. Outre les attentats commis, en représailles, par le groupe terroriste sur le sol kenyan (centre commercial du Westgate en 2013, université de Garissa en 2015), ses bases en Somalie font l’objet d’attaques régulières. Le Kenya accueille en 2015 650 000 réfugiés dont 460 000 Somaliens, notamment dans le camp de Dadaab, le plus grand camp de réfugiés au monde.

La Cour suprême invalide l’élection présidentielle

 Une élection pour la présidentielle a eu lieu début août, elle a opposé le président sortant Raila Odinga qui s’est déjà présenté trois fois en vain, Les observateurs de l’Union africaine ont décrit le scrutin au Kenya comme «très crédible». Mercredi, le chef de l’opposition, Raila Odinga, soutenait que la commission électorale avait été hackée pour donner une avance au président sortant Uhuru Kenyatta. Sur ce point, Mbeki a indiqué que sa mission était «d’observer les élections et non de mener des investigations». (1)

Les observateurs de l’Union européenne, de l’Union africaine n’avaient rien vu d’anormal. Tout se passait bien, voire très bien pour eux. C’était en clair un adoubement du pouvoir en place. Maintenant que la Cour suprême a dit le droit, ils sont surpris d’apprendre que le résultat de l’élection présidentielle pour laquelle ils avaient donné une appréciation favorable a été invalidée. Les «ventriotes observateurs» venus de partout sont de véritables escrocs. Pourtant, L’ancien président sud-africain Thabo Mbeki, qui dirige la mission d’observation de l’instance continentale, a déclaré qu’il est satisfait du processus et de la façon dont la commission électorale (Iebc) a organisé le scrutin».

C’est une première dans l’histoire du pays, et même du continent. La Cour suprême du Kenya a tout simplement rayé d’un trait l’élection présidentielle du 8 août. La commission électorale indépendante avait proclamé la victoire du président sortant, Uhuru Kenyatta, avec 54,27% des voix, mais son rival historique, Raila Odinga, avait dénoncé des fraudes et saisi la plus haute juridiction du pays. Après deux semaines d’auditions et de délibérations, les juges ont tranché ce vendredi matin: des «illégalités et irrégularités ont affecté l’intégrité de l’élection», qui «n’a pas été conduite en accord avec la Constitution». Son résultat est donc «invalide et nul», et un nouveau vote doit être organisé sous deux mois. La décision de la Cour a été prise à une majorité de quatre juges (sur six)». (2)

«A l’annonce de l’annulation du scrutin, les supporteurs du vieil opposant ont déferlé dans les rues de la capitale, Nairobi, pour crier victoire. Après avoir été battu en 1997, 2007 et 2013, Raila Odinga, 72 ans, à la tête de la coalition de Super Alliance Nationale, entrevoit-il sa revanche? Ce vendredi matin, Odinga a aussitôt mis la pression sur la Commission électorale en affirmant n’avoir «aucune confiance» dans sa capacité à conduire une nouvelle élection. Uhuru Kenyatta, dont la réaction était très attendue, a appelé à l’apaisement en milieu de journée. «Personnellement, je suis en désaccord avec la décision qui a été prise aujourd’hui, mais je la respecte», a-t-il déclaré lors d’une allocution directe à la télévision. Le Kenya, première économie d’Afrique de l’Est, entre dans une période d’inconnu et d’incertitude. Comment le camp Kenyatta va-t-il surmonter ce coup de tonnerre? L’Iebc peut-elle se réhabiliter? Dans deux mois, les résultats seront-ils radicalement différents? Pour la démocratie kényane, le test est immense.» (2).

«La grandeur d’une nation réside dans sa fidélité à la Constitution, dans le strict respect de la loi, et surtout dans la crainte de Dieu», a déclaré le juge en chef, David Maraga. A la question de savoir si les élections ont été tenues en accord avec la Constitution, la majorité des juges a répondu par la négative. Ils considèrent que les irrégularités présentées par l’opposition ont eu un impact sur le résultat de l’élection. Des résultats qu’ils déclarent nuls et non avenus. Selon la Cour suprême, des «irrégularités» ont donc compromis l’intégrité de l’élection du président de la République, le 8 août dernier. Le chef de file de l’opposition, Raila Odinga, avait crié à la fraude massive après l’annonce des résultats. La coalition de l’opposition avait déposé un recours devant la Cour suprême le 18 août dernier. Ce vendredi, l’opposition salue cette «décision historique», mais déclare aussi ne plus avoir «confiance» en la Commission électorale (IEBC). Les partisans de l’opposition sont sortis en nombre dans les rues pour fêter la victoire. La nouvelle élection devra être organisée par l’Iebc dans les 60 jours.» (3)

La réaction du président sortant

Contre toute attente il n’y a pas eu d’émeute ni même de contestation dure. On peut lui savoir grès de ne pas avoir fait dans la fuite en avant en ne reconnaissant pas l’arrêt de la Cour Supêrme.

«Le président Uhuru Kenyatta, lit on sur le journal Le Monde avait, en cet après-midi du vendredi 1er septembre, la mine des très mauvais jours. Quelques heures plus tôt, la Cour suprême du Kenya avait invalidé sa réélection au scrutin du 8 août. «Personnellement, je suis en désaccord avec cette décision, mais je la respecte», a articulé péniblement le chef de l’Etat dans une allocution télévisée. «Nous ne sommes pas en guerre avec nos frères et nos soeurs (…) Paix. Amani», a-t-il répété, en anglais et en kiswahili. Comme pour mieux s’en convaincre. Le président kényan Uhuru Kenyatta a critiqué, samedi 2 septembre, la Cour suprême, au lendemain de l’annulation de sa réélection. Les juges de la Cour suprême ont «décidé qu’ils avaient plus de pouvoirs que plus de 15 millions de Kényans qui ont fait la queue pour voter. Cela ne peut pas durer, et nous nous pencherons sur ce problème, après les élections. Il y a un problème et nous devons le régler», a mis en garde Kenyatta, s’adressant à des représentants de son parti réunis au palais présidentiel. Le bâtonnier de l’Ordre des avocats du Kenya, Isaac Okero, a qualifié ces déclarations de «menaçantes» et «inappropriées».(4)

«(…) Ce rebondissement soulève néanmoins un nombre infini de questions. «Quand et comment va se tenir le nouveau scrutin? Comment améliorer le système en si peu de temps? Qui va imprimer les bulletins? Quelle technologie électronique utiliser?, s’interroge Cheeseman. Si, comme Odinga l’exige, il faut démettre la commission électorale et en nommer une nouvelle, cela prendra plus que soixante jours…» Faudra-t-il reporter le scrutin à l’année prochaine? Raila Odinga, de son côté, a appelé «tous les partis politiques et les parties prenantes» ainsi que le Parlement à «se rassembler» afin de réformer en profondeur la commission électorale. Seule certitude, à l’heure actuelle: dans un Kenya gangrené par la corruption et écœuré par ses politiques, il existe enfin une institution perçue comme réellement indépendante par tous les partis, dont la décision est respectée et s’impose à tous. Une institution qui aura la lourde charge de déclarer la validité du prochain scrutin.» (4)

Il nous faut saluer le courage de ces juges qui ont pris tout les risques au nom du droit de la justice et de la haute opinion qu’ils ont du peule en respectant son choix . Le président d’une Cour suprême, David Maraga, pur produit du système judiciaire de son pays, vient par cet acte ,en effet,   de déclencher un séisme en reconnaissant au principal opposant du pays, Raila Odinga, le droit de ne pas se faire piétiner. Des juges kényans ont donc pris une indépendance telle vis-à-vis du pouvoir politique qu’ils peuvent oser, en invoquant le droit, le bien commun, défaire de sa victoire l’actuel chef de l’Etat, Uhuru Kenyatta. Il ne faut pas cependant croire que c’est le Kenya qui a ouvert les hostilités contre le trucage des élections . Souvenons-nous: le président Gambien Jammeh a été lui aussi «empêché par la courageuse commission électorale fin 2016. la pression monte sur ces «présidents à vie». C’est un signe encourageant qui dénote de la maturité graduelle des élites qui peuvent s’affranchir du pouvoir

Et en Algérie?

On se plait à rêver d’une commission indépendante capable de dire le droit et mettre fin aux anomalies dont sont entachées les élections dans le pays. Curieusement même, dans les élections locales où les enjeux de pouvoir ne sont pas aussi déterminants, il existe toujours un atavisme que nous avons hérité à savoir qu’il faut manipuler les élections fruit d’un héritage colonial que nous avons embelli avec la corruption, le népotisme et autres travers qui font la mal-vie actuelle et la démission mentale devant ces simulacres de consultations. L’expression «ananmasoutiche» en son temps résume mieux que mille discours le désamour des Algériens pour remplir le devoir de citoyens. Cela ne veut pas dire que dans les pays développés la démocratie et le mode de désignation sont parfaits, mais en règle générale les candidats en compétition ont les compétences intellectuelles pour le mandat qu’ils briguent.
Chez nous ce qui est tragique est que les candidats sont cooptés, non pas en fonction de leur compétence pour le poste car en définitif c’est de cela qu’il s’agit : élire des représentants capables de se dévouer pour le bien commun avec une compétence avérée, mais en fonction d’un viatique à prendre le temps de sa mandature. Nous allons élire en novembre des gens que l’on ne connaît pas et à qui un minimum de compétence est exigé.

Imaginons que l’on oblige – ce que l’on n’a pas fait pour les députés- qu’un diplôme universitaire est exigé, qu’une charte éthique est signée, que le patrimoine du candidat élu est publié au début du mandat et est réexaminé en fin de mandat. Imaginons que l’élu maire soit élu sur un projet qu’il soit visible et disponible pour sa commune et non pour ses soutiens. Alors, les citoyens que nous sommes commenceraient à reprendre confiance dans les institutions, De proche en proche, ce sera l’avènement d’une alternance sereine pour le plus grand bien de ce pays qui nous tient à cœur.

Professeur Chems Eddine Chitour

Ecole Polytechnique Alger

 

Notes

1.http://www.bbc.com/afrique/region-40887182

2.Célian Macé, http://www.liberation.fr/planete/2017/09/01/kenya-la-cour-supreme-casse-l-election-presidentielle_1593495

3.http://www.rfi.fr/afrique/20170901-kenya-cour-supreme-invalide-election-presidentielle

4.http://www.lemonde.fr/afrique/article/2017/09/02/kenya-la-cour-supreme-invalide-la presidentielle_5179996_3212.html# ItfBWKdbxRkY45os.99

 

Article publié initialement dans :

http://www.lexpressiondz.com/chroniques/analyses_du_professeur _chitour/274832-le-kenya-montre-la-voie.html



Articles Par : Chems Eddine Chitour

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