Espagne : Le juge Baltasar Garzon saqué

Le magistrat espagnol avait voulu enquêter sur les crimes franquistes. 
Le conseil général du pouvoir judiciaire (CGPJ) espagnol a décidé de le suspendre.

Le juge espagnol Baltasar Garzon a été suspendu hier de son poste à l’Audience nationale. Attendue, la décision du conseil général du pouvoir judiciaire, l’organe de tutelle de la magistrature espagnole, est néanmoins dévastatrice puisque le juge encourt une peine de vingt ans d’interdiction d’exercice de ses fonctions.

Mercredi, Luciano Varela, du tribunal suprême, a ordonné la tenue, à une date non encore fixée, du procès du juge, accusé d’avoir outrepassé ses compétences en enquêtant sur des crimes perpétrés durant la guerre civile espagnole et les premières années du franquisme, ceux-ci étant couverts par une loi d’amnistie.

Garzon briseur de tabou

Les membres du conseil général du pouvoir judiciaire ont voté à l’unanimité la suspension de Garzon. Le très médiatique juge, connu pour avoir notamment lancé des poursuites à Londres contre l’ancien dictateur chilien Augusto Pinochet, est inculpé dans plusieurs affaires, dont une pour abus de pouvoir. Des accusations en forme de disgrâce qui pourraient mettre un terme à sa carrière.

Le juge espagnol est accusé depuis le 7 avril de « prévarication », pour avoir décidé d’enquêter à partir de l’été 2008 sur les crimes franquistes : près de 150 000 personnes éliminées, disparues. Il a été ainsi le premier à briser le tabou d’une mémoire espagnole occultée et d’une justice enfouie. Les crimes étaient couverts par la loi d’amnistie adoptée en 1977 au sortir de la dictature au motif de la « réconciliation ».

Garzon avait ouvert son instruction à la demande des familles de victimes, il a été attaqué par plusieurs groupes d’extrême droite. L’un d’eux, la Phalange, formation officielle du franquisme, a été écarté à cause de « valeurs idéologiques », mais pas les deux autres groupuscules, Mains propres et Liberté et Identité. Garzon a tenté en vain de contre-attaquer en demandant la récusation du juge du tribunal suprême, Luciano Varela, qui entend le juger.

Symbole du combat contre l’impunité, l’affaire a pris une ampleur considérable en Espagne mais aussi dans le monde. Elle a choqué profondément nombre d’universitaires, intellectuels, artistes, syndicalistes et associations de victimes du franquisme. Le magistrat a aussi reçu le soutien de nombreux juristes internationaux : tous ont interpellé Madrid, rappelant que les crimes contre l’humanité sont imprescriptibles et que la loi d’amnistie espagnole n’est pas conforme au droit international.

Si le juge Garzon est victime d’un traquenard judiciaire, l’idée même d’impunité pour les crimes passés ne passe plus chez les Espagnols : un sondage publié le 10 mai dernier par le Publico indiquait que plus de 59 % d’entre eux étaient d’accord avec les investigations sur les crimes franquistes, et presque autant (58,1 %) appuyaient le magistrat. En un mot, ils réclament justice.



Articles Par : Bernard Duraud

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