Fissures dans l’unité du G7 sur de nouvelles sanctions contre la Russie

Lors d’une réunion qui se tint pour la première fois depuis deux décennies sans la Russie, les membres du Groupe des huit, le G8 – à présent le G7– se sont mis d’accord sur une déclaration commune de soutien au régime droitier de Kiev et qui dénonce Moscou pour son annexion de la Crimée et de supposés « actes de déstabilisation » dans l’est de l’Ukraine.

Si le sommet a suivi la routine de produire des déclarations sans réelle signification sur des questions telles que l’économie mondialisée, le changement climatique et l’énergie, l’Ukraine était bien la seule question d’importance discutée par les chefs d’Etats des Etats-Unis, de l’Allemagne, de la Grande-Bretagne, de la France, du Japon, de l’Italie et du Canada.

Ce sommet à participation réduite – qui ne comprenait aucun des invités ou observateurs d’habitude présents à ce genre d’événement – n’a cependant adopté aucun plan concret en vue d’imposer une nouvelle suite de sanctions, comme insistait pour le faire l’administration Obama. Des fissures dans l’unité apparente de ce sommet apparurent quant à l’impact de ces mesures, relativement anodin pour les Etats-Unis, mais potentiellement sévère pour les économies de l’Europe de l’Ouest.

Le gouvernement de Washington a cherché a faire monter les tensions avec la Russie autant que possible depuis qu’il a orchestré et soutenu, en étroite collaboration avec l’Allemagne et d’autres pouvoirs européens, le coup d’Etat violent du mois de février à la tête duquel se trouvaient des fascistes et qui conduit au départ du président élu de l’Ukraine, Viktor Ianoukovitch. Il n’a pas seulement imposé des sanctions économiques mais a aussi déployé des avions militaires en Pologne et dans les trois ex-républiques baltes soviétiques, et il a envoyé des navires de guerre dans la Mer Noire, plaçant des forces militaires aux frontières mêmes de la Russie.

Il devient de plus en plus clair que la stratégie de l’impérialisme américain est d’encercler militairement la Russie et d’établir les bases de son élimination en tant qu’obstacle à l’hégémonie américaine en Eurasie et au Moyen-Orient.

Le communiqué sur la politique étrangère rédigée par le G7 est remarquable pour son cynisme et son hypocrisie. Il loue l’« organisation réussie » des élections ukrainiennes du 25 mai – remportées par le « roi du chocolat », le milliardaire Petro Poroshenko – ignorant le fait que des millions d’Ukrainiens n’ont pas voté dans l’Est du pays et qui se trouvaient et se trouvent encore militairement assiégés. Immédiatement après la section sur l’Ukraine, le communiqué dénonce les élections tenues en Syrie une semaine plus tard et dans de pareilles conditions, comme une « mascarade ».

Le communiqué « encourage » encore le régime de Kiev à « garder une attitude mesurée dans les opérations qu'[il] mène pour rétablir l’ordre public » à l’Est et « salue » sa volonté… de poursuivre le dialogue national sans exclusive. »

Au moment où les chefs d’Etat du G7 parlent d’« attitude mesurée » et de « dialogue national sans exclusive », dans l’est de l’Ukraine les preuves sont de plus en plus nombreuses qu’on mène contre la population civile une attaque féroce caractérisée par de nombreux crimes de guerre.

Le gouvernement russe a averti de ce qu’un désastre humanitaire était en train de prendre forme dans la région. Moscou a rapporté jeudi 5 juin que pendant les 24 heures précédentes plus de 8300 réfugiés, la plupart des femmes et des enfants, étaient passés en Russie pour échapper aux bombardements continuels de l’artillerie et de l’aviation du régime.

Le régime fait un vaste usage d’armes interdites par les conventions internationales, telles que les bombes à fragmentation lancées sur le bâtiment de l’administration régionale de Luhansk au début de la semaine qui tuèrent huit civils.

Il a aussi été rapporté qu’après le lourd bombardement de la ville de Krasnyi Lyman, au sud-est de Slavyansk, dans la région de Donetsk, des membres de la Garde civile, une force recrutée largement parmi les éléments néo-fascistes liés au Secteur droit et au parti Svoboda, avaient envahi l’hôpital local et exécuté 25 blessés qui s’y trouvaient.

Les Etats-Unis et leurs alliés d’Europe occidentale on nié qu’il y avait une crise humanitaire quelconque dans la région, donnant ainsi le feu vert au régime pour commettre toutes les atrocités requises pour opprimer la population locale.

Le régime de Kiev a dans l’intervalle annoncé son intention de déclarer la Loi martiale dans les régions rebelles de Donetsk et Luhansk afin d’organiser une répression plus violente encore.

Tout en ne disant rien sur la répression violente dans l’est de l’Ukraine ou sur le fait que le régime de Kiev s’appuie sur des milices fascistes pour faire son sale travail, le communiqué donne à Moscou la responsabilité d’obliger les forces d’autodéfense de la région de déposer les armes.

Alors que le communiqué du G7 « salue » les accords déjà passés avec le Fonds monétaire international et d’autres agences et gouvernements, il n’a pas proposé de nouveaux fonds pour l’économie ukrainienne qui est en chute libre. Au lieu de cela, il exige que le régime de Kiev « honore son engagement de mener les réformes difficiles qui se révèleront cruciales pour maintenir la stabilité économique et libérer la croissance tirée par le secteur privé. » Ces « réformes » signifient une austérité drastique et l’augmentation du chômage pour une population déjà appauvrie.

Sur la question des sanctions cependant, le communiqué confirme la décision d’imposer des sanctions relativement limitées à des individus et à un nombre réduit de sociétés russes, tout en affirmant seulement que les sept chefs d’Etat étaient prêts « à intensifier les sanctions ciblées et à mettre en œuvre d’importantes nouvelles mesures restrictives pour faire payer un coût supplémentaire à la Russie si les événements le requéraient. » Il ne spécifie pas quels « événements » déclencheraient de telles mesures.

On ne fit pas mention des sanctions sectorielles visant l’industrie pétrolière et gazière de la Russie, sur lesquelles avait par exemple insisté l’administration Obama.

Les divisions entre Washington et ses alliés européens sont apparues très nettement dans le conflit entre Obama et le président français Hollande sur la décision du gouvernement français de poursuivre la vente à Moscou (à hauteur de 1,2 milliards d’euros – 1,6 milliards de dollars) de deux navires militaires Mistral à technologie avancée et destinés aux opérations amphibies. La France doit commencer l’entraînement de 400 marins russes dans le maniement de ces navires au cours du mois de juin.

Après le sommet, Obama a dit lors d’une conférence de presse à Bruxelles, « Je pense qu’il aurait mieux valu suspendre » la vente des Mistral. Il ajouta « Le président Hollande a pour l’heure pris une autre décision. »

Hollande a nié toute suggestion que la vente pourrait être annulée. Si le contrat était interrompu, a-t-il dit, il y aurait un remboursement. Il a ajouté qu’il n’y avait aucune raison pour que le gouvernement rentre dans ce processus. La chancelière allemande Merkel a soutenu la position de Hollande, disant que comme l’Union européenne n‘avait pas approuvé de sanctions plus étendues, il n’y avait aucune raison pour que la France annule le contrat.

Les relations franco-américaines se sont dégradées également dû a une rebuffade publique d’un appel fait par Hollande pour arriver au règlement « raisonnable » d’une investigation criminelle du ministère américain de la Justice contre le géant bancaire français BNP Paribas. Il est allégué que BNP Paribas a enfreint un régime de sanctions américaines visant le Soudan, l’Iran et Cuba. Certaines informations font état d’une amende possible de 10 milliards de dollars pour la banque. Hollande a dit qu’elle était disproportionnée et pourrait avoir un impact sévère sur l’économie française.

Obama a dit qu’il ne ferait rien pour faire la promotion d’un règlement plus clément. « La tradition aux Etats-Unis est que le président ne se mêle pas des actions en justice, » a-t-il dit à des journalistes à Bruxelles.

Alors qu’Obama n’a pas cherché à rencontrer Vladimir Poutine, la plupart des autres membres du G7 ont organisé des discussions bilatérales avec le président russe qui avait été invité par Hollande à commémorer le 70eanniversaire du débarquement de Normandie durant le 2e Guerre mondiale.

Hollande a défendu l’invitation disant que les Français savaient ce qu’ils devaient au peuple russe, le peuple soviétique de l’époque et que celui-ci fut héroïque dans sa défense face aux divisions nazies et face aux souffrances. Le président français organisa deux repas séparés jeudi soir : un dîner dans un restaurant parisien avec Obama et un souper avec Poutine à l’Elysée.

La chancelière allemande Merkel, qui a dit lors d’une conférence de presse « il ne s’agit pas de menaces… nous voulons le dialogue » et le premier ministre britannique Cameron ont également organisé des rencontres séparées avec Poutine. Le premier ministre japonais Shizo Abe a dit lors d’une conférence de presse à Bruxelles « j’espère continuer le dialogue avec le président Poutine. » semblant regretter que Poutine n’était pas présent au sommet.

Ben Rhodes, le vice conseiller à la Sécurité nationale de la Maison Blanche a exprimé l’hostilité de Washington à ces réunions bilatérales. « Nous avons toujours dit que nous ne voulions pas que divers pays aient des conversations par-dessus la tête du gouvernement de Kiev sur l’avenir de l’Ukraine. » a-t-il dit à des journalistes.

Pour sa part, Poutine, qui représente les intérêts d’une couche dirigeante d’oligarques milliardaires ayant une richesse substantielle investie à l’Ouest, a signalé qu’il était prêt à un compromis sur l’Ukraine. Il a ordonné aux forces russes de se retirer des frontières de l’Ukraine et a reconnu les élections du 25 mai. On a annoncé le 5 juin que l’ambassadeur russe serait présent à l’investiture de Poroshenko samedi 7 juin.

Dans une interview diffusée à la télévision française mercredi 4 juin, il a clairement cherché à exploiter les divisions entre Washington et l’Europe de l’Ouest, déclarant qu’« il était prêt au dialogue » tout en ajoutant « ce n’est pas un secret que la politique la plus sévère et la plus agressive est celle des Etats-Unis. »

Bill Van Auken

Article original en anglais, WSWS



Articles Par : Bill Van Auken

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