Gaza sert de laboratoire à la destruction des tunnels de la frontière américano-mexicaine

Photo : Compagnie israélienne opérant un forage à la limite du ghetto de Gaza, pour installer un système de détection anti-tunnel – Photo : EPA/Jim Hollander

Israël, non content d’étouffer Gaza par le ciel, la mer et la terre, étend son blocus sous terre avec un nouveau système anti- tunnels.

Le gouvernement étasunien finance le projet à hauteur de 120 millions de dollars, avec l’espoir d’installer la même technologie à la frontière américaine avec le Mexique.

Le système anti-tunnel fait partie des efforts du Premier ministre Benjamin Netanyahou pour transformer Israël en une gigantesque forteresse.

La semaine dernière, lors d’une tournée d’inspection du mur qu’Israël est en train de construire à sa frontière avec la Jordanie, Netanyahou a annoncé son projet de murer complètement Israël pour que les Palestiniens et les Arabes des pays voisins, qu’il a comparé à des animaux, ne puissent plus entrer.

« Étant donné notre environnement, nous sommes obligés de nous protéger contre les bêtes sauvages » en entourant « tout l’État d’Israël d’une clôture, d’une barrière, » a-t-il dit.

Et pour les États-Unis c’est l’occasion d’externaliser leur propre projet de militariser leur frontière.

L’hystérie des tunnels terroristes

On peut penser que les Israéliens sont à l’origine de la série d’effondrements meurtriers de tunnels qui ont eu lieu dans la bande de Gaza au cours des dernières semaines et qui ont été assortis d’une déclaration du chef d’Etat-major israélien Gadi Eizenkot laissant entendre que la technologie de détection de tunnel était déjà testée à Gaza.

Les Israéliens appellent cette nouvelle technologie le Dôme de fer souterrain, en référence au nom du système de défense antimissile subventionné par les Étasuniens et conçu pour intercepter des roquettes tirées depuis Gaza avant qu’elles ne touchent le sol.

Malgré de sérieux doutes quant à l’efficacité du Dôme de fer, les Israéliens croient qu’il fonctionne. En effet, il les protège, au moins psychologiquement, des conséquences de la ghettoïsation et de l’emprisonnement de 1,8 million de Palestiniens à Gaza.

Le système anti-tunnel a un objectif similaire.

Cela fait des années que les responsables israéliens attisent les peurs en brandissant la menace de prédateurs palestiniens jaillissant de soi-disant « tunnels terroristes » creusés sous les chambres les jardins et les écoles des Israéliens, pour assassiner des familles innocentes.

Aucun fondement réel.

Bien qu’elle n’ait aucun fondement réel, cette narrative a été utilisée pour légitimer la guerre d’Israël de 2014 contre Gaza, qui a tué plus de 2200 Palestiniens dont 551 enfants.

L’enquête indépendante du Conseil des droits humains de l’ONU sur la guerre a confirmé que « au cours de la période considérée, les tunnels ont été seulement utilisés pour mener des attaques contre des positions de l’IDF [armée israélienne], en Israël, près de la Ligne Verte, qui sont des cibles militaires légitimes ».

Une de ces opérations a ciblé un poste fortifié de l’armée israélienne à Nahal Oz, à l’intérieur de l’Israël d’aujourd’hui.

Des commandos palestiniens des Brigades Qassam, la branche militaire du Hamas, ont tué cinq soldats israéliens avant de retourner à Gaza par un tunnel. C’est sans doute l’opération menée au moyen d’un tunnel qui a eu le plus d’impact psychologique sur les Israéliens.

Coupés du monde en 2007 par un siège imposé par Israël et l’Égypte, les Palestiniens ont creusé des tunnels pour survivre, donnant naissance à un réseau sophistiqué de passages souterrains qui ont fourni à une population isolée des produits de première nécessité que le blocus l’empêchait de se procurer.

Le blocus israélien a transformé Gaza en un ghetto géant entouré de clôtures électrifiées, de drones de surveillance, de mitrailleuses télécommandées et de canonnières de la marine.

Une partie des tunnels est utilisé par l’armée de la résistance qui en a un besoin crucial car elle se bat contre un ennemi impitoyable qui possède l’équipement de surveillance le plus sophistiqué du monde.

Qualifier ces tunnels de « terroristes » permet à Israël d’éliminer l’un des seuls moyens d’auto-défense et de survie des Palestiniens tout en préparant le public israélien à la prochaine guerre.

Des frontières version Trump

Todd Miller, auteur de Border Patrol Nation a dit à The Electronic Intifada, qu’il n’était pas du tout surpris que le gouvernement étasunien ait l’intention d’utiliser le système de détection de tunnel d’Israël à la frontière étasuno-mexicaine. Pour les États-Unis, les tunnels transfrontaliers sont « une tentative évidente de se soustraire à l’appareil militaire massif de contrôle de la frontière ».

« Si on bloque un chemin d’accès, les gens vont essayer de trouver un autre moyen de passer, que ce soient des sans-papiers ou des réseaux de passeurs criminels, » at-il dit, ajoutant que la même logique prévaut à Gaza. « C’est, en fait, la preuve de la résilience et de la créativité des gens qui essaient de trouver une façon de contourner cet énorme dispositif. »

« On voit la « relation spéciale » entre les États-Unis et Israël se manifester de plus en plus dans le contexte de la frontière américano-mexicaine », a ajouté Miller.

L’exemple le plus flagrant est Elbit Systems, la plus grande entreprise de technologie militaire d’Israël.

« Elbit Systems utilise la technologie qu’ils ont développée en Palestine en l’utilisant sur les Palestiniens, et cela leur sert de vitrine publicitaire pour la frontière américano-mexicaine », a déclaré Miller. « Donc, en fin de compte, la Palestine leur sert de laboratoire pour développer ces technologies. »

Le développement du système de détection de tunnel a été confié à des dizaines d’entreprises militaires israéliennes. Elbit est un des principaux bénéficiaires et ses produits ont déjà été utilisés le long de la frontière américano-mexicaine.

En 2014, Elbit a signé un contrat de 145 millions de dollars avec le ministère américain de la Sécurité Intérieure pour construire un mur virtuel de tours de surveillance et de détecteurs de mouvement, appelé Tours fixes intégrées, à la frontière entre l’Arizona et le Mexique.

Les tours sont équipées d’une technologie Elbit similaire à celle utilisée dans la construction et la maintenance des murs et des clôtures élevés en Cisjordanie occupée par Israël et à la frontière entre Gaza et l’Egypte. La société met en avant son expérience de soutien technique aux politiques répressives pour faire son marketing.

Une vidéo d’Elbit souligne que l’efficacité de ses tours a « fait ses preuves sur le terrain » pour avoir « sécurisé pendant 10 ans les frontières les plus difficiles à sécuriser du monde. »

L’an dernier, Miller a fait un reportage sur Global Advantage, une plateforme d’accompagnement d’entreprises, créée par une université d’Arizona, qui a identifié Israël comme ayant la plus forte concentration d’entreprises de sécurité intérieure dans le monde.

Global Advantage recherche activement des entreprises israéliennes pour s’installer à la frontière américano-mexicaine, qui est, selon Miller, le centre commercial le plus avancé de technologie de sécurité intérieure.

« Ce qui est encore plus remarquable c’est que la frontière américano-mexicaine est aussi un laboratoire, où ils présentent la même technologie pour la vendre à d’autres pays », a déclaré Miller.

Mais Gaza, a-t-il ajouté, est « le laboratoire principal », car « il est presque complètement fermé et sous contrôle, tandis que la frontière américano-mexicaine fait plus de 3000 km de long » et est encore poreuse.

Le minuscule territoire palestinien qui abrite 1,8 millions de personnes dont la plupart sont des réfugiés, représente ce que Miller appelle « la version Donald Trump de la militarisation d’une frontière. »

Trump, le candidat populiste républicain à la présidentielle, a déjà dit tout le bien qu’il pensait du mur d’apartheid d’Israël en Cisjordanie qu’il considère comme un modèle à suivre pour les États-Unis.

Rania Khalek

Article original : Gaza is laboratory for US-Mexico border tunnel warfare, The Electronic Intifada, 17 février 2016

Traduction :  Dominique Muselet Info-Palestine.eu

Rania Khalek est journaliste indépendante et reporter.

 

 



Articles Par : Rania Khalek

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