Génocide autochtone au Canada – Honorer ou trahir

« Chaque génération doit, dans une relative opacité, découvrir sa mission, la réaliser ou la trahir. » Frantz Fanon

Que dire sur ce rapport et sur les travaux de la commission des deux dernières années (l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées — ENFFADA) ? La commission a expérimenté plusieurs défis, tels qu’un mandat trop épars, des démissions multiples et des critiques concernant son manque d’indépendance et de transparence. La plus importante critique fut celle liée à sa méthode de travail. Après la remise de son rapport intérimaire le 1er novembre 2017, les familles et les experts réitéraient l’urgence d’adopter une approche basée sur les droits de la personne en enquêtant sur la faillite des institutions canadiennes et de la société à protéger les droits fondamentaux (droit à la vie, à la santé et à la sécurité) des femmes issues des Premiers Peuples.

Cette critique a finalement été entendue par les commissaires. Ces derniers ont mis en oeuvre le pouvoir d’enquêter de la commission afin d’accéder à 174 dossiers de la police, comme l’avait fait la commission Oppal, en Colombie-Britannique, entre 2010-2012. L’ENFFADA a également rencontré des experts, à travers le Canada, sur les questions entourant la violence sexuelle et coloniale, le racisme systémique, et a intensifié l’implication des familles directement touchées. La commission a donc fait un virage significatif au printemps 2018 dans ses travaux et son approche. Sur cette base, elle demandait une extension de son mandat à l’automne 2018, qui fut reconduit pour une période additionnelle de six mois seulement. Une période nettement insuffisante pour assumer un mandat d’une telle ampleur.

En dépit du manque de temps et des différents problèmes rencontrés, cette réinitialisation officieuse des travaux de la commission fut salutaire : elle apporte une crédibilité aux conclusions du rapport final et aux appels à la justice présentés lundi. La mise en oeuvre effective des recommandations visant à s’attaquer au racisme systémique, à la violence sexuelle et coloniale, déterminant majeur du génocide envers les Premiers Peuples au Canada, et qui touche particulièrement les femmes, demeure l’enjeu central soulevé dans l’histoire des commissions au Canada.

Malgré leur résistance continue et leur force, les femmes ne pourront déraciner seules les causes profondes de ce schéma génocidaire. Le niveau de violence sexuelle et coloniale qu’elles endurent au quotidien et depuis les premiers contacts sera compris le jour où le Québec et le Canada, et en particulier les hommes, auront la maturité d’assumer entièrement les formes de racisme et de misogynie qui subsistent au coeur de leur héritage. Au-delà de la culpabilisation, c’est sur la non-réception des vérités que portent les récits des femmes qu’il faut se questionner, pour que du mutisme forcé des femmes à la surdité des hommes soit tissée une passerelle faisant en sorte qu’elles soient enfin entendues et crues.

Génocide colonial

Les représentations, les stéréotypes et la misogynie touchant les femmes autochtones sont ainsi profondément enracinés dans la société et toujours enchâssés dans les politiques, les législations et les bureaucraties. Si ces constats peuvent sembler s’éloigner des définitions connues du terme « génocide », une connaissance minimale de la condition des Premiers Peuples au Canada, et en particulier de celle des femmes, efface le moindre doute quant à l’existence non seulement historique mais actuelle d’un génocide colonial.

Ce rapport impose l’équation de l’héritage colonial, sinon de l’esprit guidant les institutions canadiennes et causant directement la mort de filles et de femmes. Il appelle au démantèlement de mécanismes sophistiqués, conçus sur mesure au cours des siècles et généralement invisibles à la société dominante, enracinés dans les sphères culturelle, juridique, économique et politique au point qu’il apparaît invraisemblable au citoyen qu’il contribue, volontairement ou non, à perpétuer la condition humaine intenable d’une partie de ses semblables. Ce rapport nous montre le long et pénible chemin qu’il reste à parcourir afin de démystifier la faillite du corps policier à enquêter sur la mort de beaucoup de femmes et, dans certains cas, la participation d’agent de la paix dans la perpétration des crimes.

Le temps n’est plus aux débats sémantiques mais à l’impératif de solidarité et de protection des femmes, ainsi que de la terre qui les porte. Soyons clairs : même s’ils n’étaient pas entendus, les Premiers Peuples ont toujours dénoncé et résisté à ce génocide. Les femmes en particulier n’ont jamais cessé de dénoncer la violence sexuelle à des fins génocidaires dont elles sont la cible et leurs voix résonnent toujours.

Si l’époque requiert une métamorphose des relations mortifères que les sociétés coloniales québécoise et canadienne entretiennent avec les Premiers Peuples et la Terre, cette mutation doit aussi s’incarner dans le rapport de chacun à soi-même, lieux d’enracinement des représentations et des préjugés semés et nourris depuis des siècles. Est-il encore possible, à cette étape de notre histoire humaine et commune, de fermer les yeux et de faire la sourde oreille ? Nous sommes dorénavant devant le choix clair d’honorer ou de trahir notre propre humanité.

Nawel Hamidi et Pierrot Ross-Tremblay



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