Guerre en Syrie : Turquie, Monarchies wahhabites et Israël, main dans la main

Un cessez le feu pour des négociations sans lendemain 

Au lendemain de l’intervention russe en Syrie, le Ministre des Affaires étrangères qatari, Khaled Ben Mohamed al- Atiyyah déclara à CNN qu’«aucun effort avec les Saoudiens et les Turcs ne sera épargné, au cas où l‘intervention militaire protégera le peuple syrien.» (1) Des propos concrétisés par la création d’une coalition militaire terrestre arabe sous responsabilité saoudienne dont la vocation est d’intervenir en Syrie. Cependant, engluée dans la guerre au Yémen, les doutes sont permis quant aux capacités militaires des  monarchies wahhabites d’ouvrir un nouveau front en Syrie. Aussi l’intérêt d’une telle initiative  ne réside pas tant dans la capacité militaire des monarchies wahhabites à intervenir en Syrie mais dans la caution politique arabe apportées aux puissances occidentales et à la Turquie pour justifier une intervention militaire terrestre en Syrie. A cette fin, le chef du Pentagone Ashton Carter a multiplié les appels aux pays du Golfe, pour qu’ils augmentent leurs contributions contre Daech (OIE). Des appels appuyés également par le Premier ministre français Manuel Valls  affirmant qu’une offensive au sol de « troupes basées localement et venant éventuellement d’autres pays arabes serait « décisive » pour venir à bout de l’organisation  Daesh »(2). Il n’en faut pas plus pour que Turquie et Arabie saoudite s’attellent aux préparatifs militaires à partir de la base militaire turque d’Incirlik. Pour l’Otan, peu importe que les frontières idéologiques et militaires entre ‘’modérées’’, Front El Nosra et OIE  soient poreuses,peu importe aussi que l’Union démocratique kurde(PYD), qui joue un rôle essentiel contre l’OIE, soit la cible préférée de la Turquie. Le but de ces préparatifs, affiché par l’Otan, étant l’aide aux organisations dites modérées.

C’est dans ce contexte militaire que l’armée syrienne, soutenue par les forces de résistance arabes dont le Hezbollah et l’aviation russe, ont entrepris une offensive autour d’Alep et de Rakka. Une intervention couplée à l’offensive menée, dans la région frontalière turque, par le Conseil Démocratique syrien (CDS), une alliance kurde et arabe dont le PYD. Sur ce point, la réaction turque ne s’est pas fait attendre pour empêcher toute progression des forces kurdes au-delà de l’Euphrate.

Contre toute évidence, le Secrétaire général de l’Otan, Jens Stoltenberg a déclaré, dès les premiers jours de cette offensive, que

 « l’opération des forces aérospatiales russes entravait le règlement pacifique du conflit et conduisait à un regain de tension dans la région.» (3) Une déclaration en complète contradiction avec les soutiens des dirigeants occidentaux apportés à la Turquie et l’Arabie  saoudite pour une intervention terrestre en Syrie. Une prise de position à laquelle le Ministre des Affaires étrangères russe a répondu par un cinglant : « je tiens à rappeler à Monsieur Stoltenberg que l’origine de la crise en Syrie n’est pas l’opération des forces aérospatiales russes mais l’activité insensée des pays de l’Otan qui ont plongé dans le chaos la région du Proche-Orient. »  Et pour clarifier le fond de sa pensée, Serguë Lavrov ajouta qu’« à l’instar de la Libye où les pays de l’Otan ont instauré le modèle occidental de la ‘’démocratie ‘’, le seul souci de l’Otan  consistait à préciser les délais de la destruction définitive de la Syrie. »(3)

Gageons donc que le cessez le feu du 27 février ne traduit nullement la volonté de l’Otan et de ses alliés arabes de mettre fin à la « destruction de la Syrie ». En effet, sous couvert de lutte contre l’Organisation de l’Etat islamique(OIE) et de protection de la population syrienne, l’Otan, avec l’aide des Monarchies wahhabite, de la Turquie et plus discrètement de l’Etat d’Israël, est en train de préparer une nouvelle phase dans la confrontation régionale. Une initiative à laquelle dirigeants syriens et iraniens ont répondu en des termes peu diplomatiques. Pour les premiers : « les agresseurs qu’ils soient turcs ou saoudiens seront renvoyés dans des cercueils en bois dans leurs pays. » (4)

Pour les Iraniens, « les Saoudiens se tireraient une balle dans la tête s’ils interviennent en Syrie. »(5)

Les prises de position iranienne et syrienne n’ont pas dissuadé, pour autant, l’Arabie saoudite d’envoyer  des avions F-15 en Turquie, et d’organiser, le lendemain du cessez le feu, d’importantes manœuvres militaires, baptisées « Tonnerre du nord », avec la participation de 20 pays dont le Pakistan, la Malaisie, la Turquie, l’Egypte, le Maroc, le Soudan, le Sénégal.

Parallèlement à ces préparatifs militaires, l’Arabie saoudite a officialisé la suspension de l’aide de 3 milliards de dollars pour la modernisation de l’armement de l’armée et de l’appareil sécuritaire libanais et multiplie les interventions et pressions politiques sur la scène libanaise. Des pressions qui ont pour but, entre autres, la prolongation du vide institutionnel, causé par la vacance présidentielle. Sur ce point, le Président F. Hollande a cru bien faire en sollicitant son homologue iranien Rohani, lors de sa visite en France, d’intervenir sur le dossier présidentiel libanais. Un piège politique dans lequel le Président iranien n’est pas tombé en rappelant que son pays « n’intervient pas dans les affaires intérieures du Liban ». Ses manœuvres politiques et ‘’punitions’’ financières ont pour but d’aiguiser les tensions au Liban, notamment entre sunnites et chiites en présentant le Hezbollah comme étant la cause de cet état de fait. En somme, un facteur déstabilisateur du Liban. Une campagne qui complète celle menée par les Etats-Unis et Israël, notamment en tentant d’organiser un ‘’étouffement financier’’ du Hezbollah. Dans un tel contexte politique et militaire régional, on  ne peut que  prédire, suite au cessez le feu, déjà fragile, des négociations de paix sans lendemain. Comme le souligne l’ancien agent britannique  Alistair Crook « le but du cessez-le-feu est de  » marquer’’ une pause, un temps de repos afin que les groupes servant d’intermédiaires aux Etats-Unis, à la Turquie et à l’Arabie saoudite puissent se redéployer, se réarmer et se préparer.» (6)

Est-ce à dire se préparer pour un élargissement de la confrontation ?

Ce à quoi, le Vice-ministre des Affaires étrangères russe, Serguei Riabkov répond en avertissant que «toute intervention turque en Syrie provoquera une explosion de la situation d’une façon irréparable.» (7)

Mais avertissement ou pas, l’Arabie saoudite, elle, est au manœuvre pour aiguiser les tensions inter communautaires dans le pays du cèdre.

Liban : nouveau foyer de la confrontation régionale ?

Dans un entretien à la chaîne CNN, le général Michael Hayden, ancien chef de la CIA et de la NSA, affirme que  « le Liban est en train de vaciller, et la Syrie, l’Irak et la Libye n’existent plus. » Et pour mieux préciser sa pensée, il décrit  la situation géopolitique moyen-orientale comme étant  «  l’effritement de l’ordre international post-Seconde Guerre mondiale (…), et  l’effritement des frontières dessinées lors du traité de Versailles ( 1919) et des accords de Sykes-Picot. » (8)

Des propos qui soulèvent deux remarques.

1°) On ne peut pas dissocier ces propos de l’objectif stratégique décrit  en 1982  par Oded Yinon, Haut fonctionnaire des Affaires étrangères israéliennes.(9)

2°) Dans la situation régionale décrite, le général Michael Hayden ne mentionne pas les forces idéologiques, politiques et militaires ‘’d’effritement’’.

Sans remonter trop loin  dans le passé, la première guerre du Golfe peut- être considérée comme étant la première pièce du puzzle de l’effritement des frontières. En effet, la question de l’intégrité territoriale du Koweït aurait pu être résolue diplomatiquement mais l’objectif stratégique étant de détruire l’Irak, considéré dans « Stratégie pour Israël  dans les années 80 » (9) comme le plus difficile à « effriter ». La deuxième guerre du Golfe, programmée dès 1998 mais déclenchée en 2003 a permis de terminer le ’’travail’’ en ramenant l’Irak à l’âge pré-industriel et en créant les conditions politiques que vit le peuple irakien  aujourd’hui.(10) Il est superflu de rappeler que les Etats-Unis, l’Angleterre, les Monarchies wahhabites et l’Egypte ont été les principaux acteurs de cette destruction.

Le deuxième puzzle de  l’effritement des frontières fut le Soudan, lui aussi faisant partie du scénario d’ Oded Yinon. Puis vint le tour de la Libye avec une participation active de la France sous commandement américain. Le scénario écrit en 1982 en Israël se déroule à merveille avec la participation enthousiaste des Monarchies wahhabites avec, en grand plan, ‘’les Printemps arabes’’, des soulèvements populaires légitimes, vite récupérés par des mouvements islamistes, agents politiques et militaires volontaires ou non de l’impérialisme néo-libéral. Le puzzle égyptien  faisant partie du scénario israélien, n’est pas non plus à l’abri de la déconstruction.

Reste la Syrie et le Liban  comme foyer de résistance à cet effritement du Moyen-Orient tant souhaité par l’impérialisme et le sionisme. Cible déclarée des Monarchies wahhabites et de l’Etat d’Israël, l’Iran joue un rôle essentiel avec les forces populaires irakiennes au sein de ce foyer de résistance. Il faut bien admettre que l’implication  russe et, plus discrètement, de la Chine, a bouleversé les calculs géostratégiques des puissances occidentales, de l’Etat d’Israël et de leurs vassaux wahhabites. Sans oublier le rôle dans cet effritement d’une  Turquie sous l’emprise de ‘’frères musulmans ‘’dont l’ambition ottomane risque de faire vivre au peuple turc le sort de la grenouille de la fable de la Fontaine.

Dans cette énumération succincte des tentatives, réussies ou en cours, de dislocations des Etats arabes, il ne faut pas oublier ni l’occupation israélienne du Liban (1982-2000) ni la guerre israélienne de juillet 2006 qui avait pour but de guerre, avec le consentement des monarchies wahhabites et de l’Egypte, l’affaiblissement, voire la liquidation de la résistance libanaise. Le Hezbollah en est sorti grandi mais pour Israël ce n’est que partie remise. Le témoignage de Seymour Hersh, datant de juillet 2007, est, à ce titre, éloquent :

«  Les responsables américains, européens et arabes auxquels j’ai parlé m’ont raconté que le gouvernement Siniora et ses alliés avaient permis qu’une partie de l’aide atterrisse entre les mains de groupes sunnites radicaux émergents dans le nord du Liban, dans la vallée de la Bekaa et autour des camps de réfugiés palestiniens dans le sud. Ces groupes, bien que de tailles réduites, sont perçus comme une protection contre le Hezbollah. Mais, en même temps, leurs liens idéologiques sont avec al-Qaïda. »(10)

En résumé, force est de constater que, depuis les années 1990, les interventions des puissances occidentales dans un pays arabe  n’ont jamais été suivi d’une quelconque solution politique durable mais plutôt du déclenchement d’un autre conflit ayant les mêmes caractéristiques d’ « effritements». C’est ce que les néo-conservateurs américains appellent le chaos créateur.  Aussi, il est permis de douter que le cessez le feu  en Syrie sera suivi de négociations en vue d’une solution respectant l’intégrité territoriale et la souveraineté de la Syrie. En revanche, il est plus raisonnable de prédire l’extension de ce conflit dans son environnement immédiat, à savoir, le Liban!

C’est pour cela que la révélation de la « bombe atomique libanaise » (11) faite par le Secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, n’a pas d’autre objectif que celui d’exprimer la détermination de la résistance libanaise de faire face à toute agression interne ou externe. Au vu des commentaires publiés dans la presse israélienne, la classe dirigeante israélienne ne doute  nullement du sérieux et du degré de cette détermination. En revanche, dans leur fuite en avant et encouragés par Israël et l’Otan, il est possible que les dirigeants saoudiens n’aient pas la même sagesse que leur allié israélien, un allié enfin sorti de l’ombre. (12)

Pendant ce temps, l’Etat d’Israël…

                                                                                                                            Mohamed El Bachir

28 février 2016

 

(1) http://www.almanar.com.lb/french/adetails.php?fromval=2&cid=37&frid=18&seccatid=37&eid=264845

(2) http://www.presstv.ir/DetailFr/2016/02/12/449896/France-Syrie-Guerre-Arabie-Saoudite

(3) http://fr.sputniknews.com/international/20160207/1021539648/origines-crise-syrienne.html

(4) http://www.lorientlejour.com/article/968958/que-personne-ne-pense-a-agresser-la-syrie-car-nous-enverrons-les-agresseurs-dans-des-cercueils-en-bois-dans-leur-pays.html

(5) http://fr.timesofisrael.com/jafari-larabie-saoudite-nosera-pas-envoyer-des-troupes-en-syrie/

(6) http://www.mirastnews.com/2016/02/syrie-les-groupes-soutenus-par-les-usa-utilisent-la-treve-pour-se-rearmer.html

(7) http://www.almanar.com.lb/french/adetails.php?eid=289309&cid=18&fromval=1

(8) http://www.lorientlejour.com/article/972773/pour-lex-chef-de-la-cia-le-liban-vacille-la-syrie-lirak-et-la-libye-nexistent-plus.html

(9) http://www.renenaba.com/revue-detude-palestiniennes-n-14-fevrier-1982/

(10 http://www.legrandsoir.info/moyen-orient-la-reorientation-de-la-politique-des-etats-unis-new-yorker.html

(11) http://www.almanar.com.lb/french/adetails.php?eid=286516&cid=18&fromval=1

(12) http://www.legrandsoir.info/wahhabisme-et-sionisme-une-sainte-alliance-contre-l-iran.html

 

 



Articles Par : Mohamed El Bachir

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