Haïti : Ce que le candidat à la présidence Moise Jean Charles nous inspire

Analyses:

Nous sommes maintenant en Février 2016 et le processus électoral devrait bientôt toucher à sa fin. Durant le dernier trimestre de 2015, une marée de candidats briguant la présidence, chacun ayant en main son plan pour sortir Haïti de l’abysse, ont défilé devant le peuple. Parmi ces 54 candidats, un a particulièrement retenu notre attention. Il s’agit de l’ex-sénateur du Nord, Moise Jean Charles. Pour certains, Moise n’avait aucune chance de devenir président, pour d’autres il était le seul candidat ayant un message de justice sociale attirant.

Malgré sa popularité, la candidature de Moise, n’a pas pour autant reçu un accueil chaleureux partout. Les messages de redistribution des richesses, de protection des ressources minières, et de coopération sud-sud prônés pas sa « plateforme » ont mis l’élite économique de notre pays mal à l’aise. Une bonne partie de l’élite intellectuelle en Haïti comme dans la diaspora a tout fait pour le faire passer pour un type mal éduqué qui selon eux conduirait le pays d’avantage dans l’abysse. En effet, pour plus d’un, être à la fois éduqué et un supporteur de Moise paraissait contradictoire. Sur les réseaux sociaux, Moise était la cible de plusieurs parodies dérisoires. Des photos le représentant comme un campagnard démodé étaient souvent partagées dans le but de le faire passer pour moins présidentiel. D’autres images photoshopées qui circulaient sur le web le dépeignaient comme un apprenti dictateur violent et intolérant. Et, qui peut oublier cette fameuse interview accordée à une chaine Brésilienne qui a été éditée, reproduite et partagée en masse comme outil de moquerie à son égard. Après tout, il semble que la plupart de ces soit-disant intellectuels s’inquiétaient plus de l’opinion des citoyens étrangers sur la capacité d’un président haïtien à maitriser une langue qui n’est pas tout à fait la sienne, plutôt que de sa vision et son plan pour combattre la pauvreté.

Fils de paysans, d’origine très modeste, ce n’est peut-être pas la première fois que Moise a dû confronter des formes de discrimination dans cette société Haïtienne rongée par le classisme. J’imagine que pendant toute sa vie, il y avait des gens qui se tenaient sur place pour lui rappeler ce qu’il pouvait et ne pouvait pas accomplir, les rêves qu’il pouvait et ne pouvait pas concrétiser et les endroits qu’il pouvait et ne pouvait pas fréquenter. Lorsqu’il voulait être maire de Milot, j’imagine que des gens ont essayé de l’en empêcher en lui disant qu’il n’était pas qualifié pour la politique. Quand il voulait être sénateur, j’imagine que d’autres lui on fait comprendre que le sénat n’était pas fait pour lui. Et, quand il a voulu accéder à la magistrature suprême, toute une «machine» lui était opposée soit disant qu’il n’avait pas le profil pour nous représenter. Je ne sais pas dans quelles circonstances le candidat a fait face à ces critiques dévalorisantes mais une chose est sûre, c’est que Moise les a ignoré et continue de les ignorer.

Dans un monde dominé par le racisme, le sexisme, et le classisme, voilà donc une leçon à apprendre de ce fils de Dessalines. Peu importe qui nous sommes et d’où nous venons, ne nous laissons pas affecter par l’opinion d’autrui. Il n’y a pas de rêve trop fou pour être réalisé et aucun obstacle trop grand pour être conquis. Le racisme, le sexisme et le classisme  ne sont pas toujours à ciel ouvert, ces idéologies d’oppressions existent aussi de façon indirecte et systémique. N’existe-t-il pas des jeunes filles en Haïti qui continuent de choisir des métiers moins bien rémunérés, non pas parce que les professions plus rentables leur sont interdits, mais en raison des stéréotypes sexistes cultivés par notre société qui limitent leur ambition? Dans ces cas-là, comme dit le proverbe créole, «elles accrochent leurs sacs à une hauteur qu’elles jugent être raisonnable.» N’existe-t-il pas plusieurs jeune noirs et immigrants dans le pays le plus riche du monde qui n’osent même pas rêver grand? Bien que certains systèmes injustes tentent souvent de dicter nos actions et posent une menace sociale en créant en nous des complexes d’infériorité générant une conduite timide et limitant notre potentiel divin, nous possédons tous la capacité de concrétiser nos rêves les plus chers, et ce cadeau qui vient d’en haut, nul homme ne peut l’ôter.  A la manière de nos aïeux, Moise a défié les systèmes d’oppressions en les ignorant. Qui sait si un jour il prêtera serment comme le premier citoyen de la première république nègre du monde? En attendant, en refusant le « non » comme une réponse valide pendant toute sa vie, son nom est a jamais écrit dans l’histoire.

Boaz Anglade, PhD

University of Florida, USA



Articles Par : Boaz Anglade

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