Honduras : Les Etats-Unis cherchent une entente entre les dirigeants du coup d’Etat et le président renversé

L’impasse qui sévit entre le président hondurien renversé Manuel Zelaya et le « gouvernement provisoire » mis en place par l’armée dans la foulée du coup d’Etat de dimanche s’est intensifiée mercredi. Des résolutions avaient en effet été votées à l’unanimité par l’Assemblée générale des Nations unies et l’Organisation des Etats américains (OEA) condamnant le coup d’Etat et exigeant la réinstallation de Zelaya.

L’OEA, qui s’est réunie mercredi à Washington, a donné trois jours au nouveau régime à Tegucigalpa pour renoncer au pouvoir et permettre à Zelaya de reprendre la présidence sous peine d’être suspendu de l’organisation. Mardi, Zelaya s’est adressé à l’Assemblée générale des Nations unies et a obtenu son soutien officiel.

Il a annoncé qu’il reporterait son retour au Honduras, originellement prévu pour jeudi, à samedi, après l’échéance de trois jours de l’OEA. Il a dit qu’il serait accompagné du secrétaire général de l’OEA José Miguel Insulza, la présidente de l’Argentine Cristina Kirchner, le président de l’Equateur Rafael Correa ainsi que de Miguel D’Escoto Brockmann, le président nicaraguayen de l’Assemblée générale de l’ONU.

La démonstration d’appui de l’OEA et de l’ONU fut accompagnée d’une série de gestes de gouvernements d’Amérique latine et d’Europe, ainsi que d’organismes internationaux, visant à isoler le nouveau régime du Honduras et intensifier les pressions contre lui. Dix pays d’Amérique latine ont rappelé leurs ambassadeurs, tout comme l’Espagne, la France et l’Italie. La Banque mondiale a annoncé qu’elle suspendait tous les prêts destinés au Honduras 

Les pays voisins d’Amérique centrale (le Nicaragua, le Guatemala, et El Salvador) ont annoncé qu’ils cessaient tout commerce terrestre.

Mais le régime issu du coup d’Etat, dirigé par l’ancien président parlementaire Roberto Micheletti, a maintenu publiquement une attitude de défi. Micheletti et d’autres officiels ont affirmé qu’ils arrêteraient Zelaya aussitôt traversé la frontière et qu’ils le traîneraient en justice pour 18 crimes, dont abus d’autorité et trahison. Des officiels ont aussi soutenu qu’ils empêcheraient l’escorte de Zelaya d’entrer au pays.

Micheletti a déclaré qu’une invasion étrangère serait nécessaire pour réinstaller Zelaya au pouvoir, faisant ainsi référence au président vénézuélien Hugo Chavez qui a menacé de recourir à la force pour défaire le coup d’Etat. Mardi, Chavez a réitéré ces menaces, affirmant que si l’armée hondurienne ou les dirigeants du coup d’Etat réagissaient avec agressivité au retour de Zelaya, « nous n’allons pas rester les bras croisés ». « Si la délégation de Zelaya était attaquée, cela ouvrirait la porte à certaines choses dont je ne veux pas parler », a-t-il ajouté.

L’administration Obama s’est officiellement jointe aux critiques en condamnant le coup d’Etat et en appelant à la réinstallation de Zelaya (des représentants américains ont participé aux votes à l’OEA et à l’ONU) mais elle a exprimé son hostilité envers Zelaya. A 56 ans, propriétaire terrien et magnat de l’industrie forestière qui fut élu en 2005 sur la base d’un programme de droite en tant que candidat du Parti libéral, un parti de l’establishment bourgeois, Zelaya s’est attiré au cours des dernières années l’hostilité de Washington en adoptant une position populiste et en s’alliant à Chavez. 

Les Etats-Unis se sont abstenus de qualifier officiellement l’expulsion de Zelaya un « coup d’Etat », une dénomination qui, selon le droit américain, forcerait Washington à cesser tout envoi d’aide militaire au pays et imposer des sanctions. De plus, ils n’ont pas rappelé leur ambassadeur.

Le Honduras est le seul endroit en Amérique centrale où les Etats-Unis maintiennent une base militaire permanente. Huit cents  militaires sont en poste à une base aérienne située à une centaine de kilomètres de la capitale. Washington a durant des décennies appuyé les forces les plus à droite du pays afin de s’en servir comme d’une base pour ses opérations contre-révolutionnaires à travers la région. Les deux officiers qui ont dirigé le coup d’Etat de dimanche, le général de l’armée Roméo Vásquez Velásquez et le général de l’Air Force Luis Javier Prince Suazo, furent formés à l’Ecole militaire des Amériques à Fort Benning en Géorgie.

En 1954, la CIA a utilisé le Honduras comme une base pour orchestrer le coup qui a renversé le président élu du Guatemala, Jacobo Arbenz Guzmán et, en 1980, le pays a servi de base pour les opérations d’une guerre en sous-main menée par les Etats-Unis contre le régime sandiniste au Nicaragua. Ces crimes ainsi que d’autres de l’impérialisme américain ont coûté la vie à des centaines de milliers de personnes au Honduras et dans les régions avoisinantes.

Il y a amplement de preuves qui démontrent que l’administration Obama était fortement impliquée dans des plans des opposants de Zelaya de l’élite dirigeante du Honduras (des sections de la grande entreprise, de l’armée, de l’establishment politique et de l’Eglise) pour déstabiliser ou renverser son gouvernement. Le New York Times de mardi a cité des responsables américains anonymes qui disaient que le secrétaire d’Etat américain adjoint aux Affaires de l’hémisphère occidental, Thomas Shannon, ainsi que l’ambassadeur américain au Honduras, Hugo Llorens, ont parlé à des « responsables militaires et à des leaders de l’opposition » dans les jours qui ont précédé le coup. Il a dit : « Il y avait des pourparlers sur comment chasser le président du pouvoir, comment il pourrait être arrêté et sous l’autorité de qui cela pourrait-il se faire. »

Autant Shannon que Llorens ont œuvré sous l’administration Bush en tant que conseillers de hauts rangs aux affaires andines, couvrant le Venezuela, la Colombie, la Bolivie, le Pérou et l’Équateur. Leur temps passé au Conseil sur la sécurité national et au département d’Etat coïncide avec le coup d’Etat soutenu par les Etats-Unis qui a brièvement chassé Hugo Chavez du pouvoir au Venezuela en 2002.

Il semble que l’administration Obama cherchait à orchestrer un coup d’Etat de facto, mais sans l’utilisation directe de l’armée et sous le couvert de la légalité constitutionnelle. Cela, espérait-elle, renverserait le déclin de l’influence de Washington en Amérique latine et paverait la voie à une offensive contre Chavez et d’autres alliés nationalistes de gauche au Nicaragua, en Bolivie, en Équateur et d’autres pays alignés sur le Venezuela dans l’Alliance bolivarienne pour les Amériques.

Depuis le coup d’Etat de dimanche, Washington a travaillé pour un accord négocié entre Zelaya et le nouveau gouvernement, impliquant possiblement le retour de Zelaya au pouvoir, mais dans des termes plus favorables aux Etats-Unis et dans des conditions où le gouvernement de Zelaya serait politiquement handicapé.

Comme l’a déclaré au Los Angeles Times Kevin Casas-Zamora, membre en vue de la Brookings Institution et ancien vice-président du Costa Rica, « Nous parlons de quelqu’un qui est en désaccord avec pratiquement toutes les institutions et acteurs politiques du pays. Il ne sera pas en mesure de gouverner. »

Mardi, à la suite de son discours devant l’ONU, Zelaya a fait une concession à Washington, disant aux journalistes que s’il retournait au pouvoir il abandonnerait ses plans pour une assemblée constitutionnelle et il ne tenterait pas de briguer un second mandat en janvier prochain. Il a aussi remercié l’administration Obama pour son « soutien ».

Les conspirateurs du coup d’Etat ont exploité la tentative de Zelaya de tenir dimanche un référendum consultatif sur la question même de l’assemblée constitutionnelle comme prétexte pour le chasser du pouvoir. Ils ont soutenu qu’il essayait de modifier la constitution afin de pouvoir demeurer en place pour un second mandat, ce que nie Zelaya.

L’opposition du Congrès hondurien, de la Cour suprême et de l’armée semble s’être intensifiée considérablement après que Zelaya ait haussé le salaire minimum de 50 pour cent, un geste qui a révolté les plus puissants intérêts d’affaires du pays.

Bien qu’appelant officiellement au retour au pouvoir de Zelaya, l’administration Obama n’a rien fait de significatif pour forcer un tel développement. Elle n’a pas mis un terme aux échanges commerciaux avec le Honduras, dont l’économie est totalement dépendante des Etats-Unis et dont 70 pour cent des exportations (surtout des bananes et du sucre) sont dirigés vers les Etats-Unis. Emilio Alvarez, l’ancien ministre nicaraguayen aux Relations internationales, a déclaré au Christian Science Monitor, « Les Etats-Unis ne vont imposer aucun blocus économique au Honduras. »

Mercredi, le Pentagone a annoncé qu’il suspendait ses opérations interarmes avec l’armée hondurienne mais n’a pas indiqué qu’il retirerait les forces américaines du pays. Le Commandement Sud, qui supervise les opérations militaires américaines au Honduras, a rendu publique une déclaration mentionnant qu’il allait agir de manière encore plus limitée, stipulant qu’il « minimiserait les contacts » avec l’armée hondurienne.

Aucun haut responsable de l’administration Obama n’a officiellement rencontré Zelaya lors de son passage à Washington. Il y a plutôt eu une rencontre entre le président déchu, Thomas Shannon et Daniel Restrepo, un des principaux conseillers du Conseil sur la sécurité nationale sur les questions de l’Amérique latine.

Le Wall Street Journal a rapporté mercredi que dans une tentative de négocier une entente entre Zelaya et le régime du coup, le dirigeant de l’OEA cherchait à rencontrer un troisième pays avec une délégation des dirigeants du coup au Honduras.

L’administration Obama tente de présenter une image de soutien à la démocratie au Honduras en partie à cause des difficultés politiques qu’elle devrait affronter si elle soutenait ouvertement un coup d’Etat militaire tout en menant une guerre de propagande contre le président iranien Mahmoud Ahmadinejad basée sur les allégations — non prouvées — qu’il a volé les élections du 12 juin en Iran. De plus, il veut éviter que les Etats-Unis connaissent une débâcle comparable à celle qu’avait connue l’administration Bush après avoir soutenu le coup militaire de 2002 au Venezuela et qui avait avorté.

La véritable attitude de l’impérialisme américain envers la démocratie au Honduras et le reste de l’Amérique latine est révélée par le silence presque total des médias américains sur les événements se déroulant dans ce pays pauvre. Il n’y pratiquement aucune mention de la répression par le régime mis en place par le coup ou sur la résistance des travailleurs et des autres opposants au coup d’Etat.

Le « gouvernement provisoire » a inondé Tegucigalpa et les autres villes de troupes et de police et a imposé un couvre-feu de 21 H à 5 H. Des articles rapportent qu’au moins deux manifestants contre le coup d’Etat ont été tués et des centaines d’autres ont été soit blessés, soit arrêtés. Des responsables du gouvernement Zelaya ont été arrêtés ou déportés, des stations de télévision et de radio ont été fermées et des journalistes du Honduras et internationaux ont été arrêtés. La chaîne espagnole de CNN a été fermée par le régime, sans même une protestation publique de la part du réseau américain.

La tête de la Fédération des ouvriers unis a rapporté que des soldats ont fait feu sur des foules de protestataires. Malgré la répression, des articles rapportent des grèves d’enseignants et de travailleurs de la santé et des manifestations dans la capitale et ailleurs impliquant des milliers de personnes.

Rien de tout cela n’est considéré comme sujet à nouvelle dans les médias américains. Ces derniers ont toutefois entrepris une campagne massive contre le régime iranien parce qu’il aurait prétendument fait un « coup d’Etat » électoral.

Article original en anglais, WSWS, paru le 2 juillet 2009.



Articles Par : Barry Grey

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