Hongrie: Péril en la démocratie

Afin de remporter les élections législatives d’avril dernier, le Premier ministre hongrois Ferenc Gyurcsany, membre du Parti socialiste, a sciemment dissimulé à l’opinion publique les mesures néolibérales et les régressions sociales qu’il s’apprêtait à décider sitôt le scrutin terminé. A la mi-septembre, était rendu public un enregistrement dans lequel il n’hésitait pas à reconnaître en termes crus que sa campagne et son action étaient bâties sur le mensonge : « Nous mentions le matin, nous mentions le soir ». Le spectacle inquiétant auquel nous assistons depuis laisse penser que la démocratie est réellement en péril, en Hongrie et ailleurs.

Après quelques nuits de protestation agitées, Budapest vient de connaître une manifestation d’environ 20 000 personnes. Les médias insistent sur le fait que ces manifestants étaient instrumentalisés par les partis de droite ou d’extrême droite, voire des hooligans violents. Le Premier ministre n’a pas hésité à affirmer qu’il ramènerait l’ordre par tous les moyens. Le parti conservateur Fidesz de l’ancien Premier ministre, Viktor Orban, a officiellement annulé un grand rassemblement d’opposition pour calmer le jeu. Cela a donné du poids aux déclarations de Gyurcsany selon lesquelles il n’avait pas eu le monopole du mensonge et que les gouvernements précédents avaient agi de manière assez proche… Le message qui suinte finalement est le suivant : le choix réside entre une « démocratie » basée sur le mensonge d’une part, la violence et le chaos d’autre part.

Il faut refuser de se laisser enfermer dans un tel compromis qui conduit immanquablement à une voie sans issue. En démocratie, les dirigeants élus ont pour seule mission de mettre en place la politique voulue par le peuple. L’exaspération et la colère du peuple hongrois, qui s’est opposé par son vote aux orientations finalement imposées de manière préméditée par un pouvoir indigne, sont légitimes. Par quel tour de passe-passe la démocratie devrait-elle nécessairement porter le mensonge comme la nuée porte l’orage ? Quels hauts dirigeants de pays dits « démocratiques » ont réagi énergiquement ? Qui a menacé de sanctionner la Hongrie tant que Gyurcsany serait au pouvoir, comme cela a été fait à juste titre en 2000 contre Jörg Haider en Autriche ?

Gyurcsany est-il juste une anomalie regrettable, une sorte de brebis galeuse de la démocratie ? Cela pose la question de ce qui s’est passé ailleurs. Or les mesures économiques en cause sont largement généralisées à l’échelle de la planète, imposées depuis 25 ans par le Fonds monétaire international (FMI), la Banque mondiale, l’Organisation mondiale du commerce (depuis 1995), les Etats-Unis, l’Union européenne et tant d’autres acteurs. Ces mesures de libéralisation à tout va, de privatisations massives, de réduction drastique des budgets sociaux et des subventions aux produits de base, de licenciements dans la fonction publique, de remise en cause des protections sociales, d’instauration d’une fiscalité préservant les revenus du capital et aggravant les inégalités empêchent que les droits humains fondamentaux soient garantis et profitent à un minorité fortunée. D’autres dirigeants ont-ils également menti pour pouvoir les appliquer ? En France, Jacques Chirac a été élu en 1995 sur le thème de la fracture sociale et une fois au pouvoir, il a appliqué une politique radicalement opposée : ne peut-on y voir une troublante ressemblance ? Il y a fort à parier que bien d’autres pays ont subi de tels agissements sans qu’un enregistrement inattendu vienne révéler le cynisme, l’hypocrisie et la malhonnêteté des responsables concernés. Il est clair désormais que les promoteurs de la mondialisation néolibérale ne reculent devant aucun moyen pour parvenir à leurs fins, mettant en péril les bases même d’une démocratie bien peu représentative. Ce qui se passe en Hongrie ne nous concerne-t-il pas tous directement ?

Un élément de réponse se trouve dans le soutien reçu par Gyurcsany de la part d’une entité très puissante : les marchés financiers. Selon l’Agence France-Presse [1], « les incertitudes quant à la capacité du Premier ministre socialiste hongrois à réaliser son plan de redressement économique ont pesé sur les cours de la Bourse de Budapest et affaibli la devise nationale ». Les agences de notation Fitch et Moody’s « citent la crainte que les réformes ne soient arrêtées ou diluées ». En somme, la finance mondialisée vote pour Gyurcsany le menteur et piétine les principes démocratiques pour prospérer, ce qui n’est pas acceptable. L’expression « dictature des marchés financiers » n’a jamais sonné aussi juste.

Réveillons-nous. Quel autre choix que d’exiger la démission du Premier ministre hongrois et celle de tous ceux qui ont usé de tels subterfuges de par le monde pour imposer de telles politiques ? Quel autre choix que d’exiger l’abandon définitif des politiques d’ajustement structurel imposées par le FMI et la Banque mondiale que les populations pauvres subissent de plein fouet ? Quel autre choix que de mettre au pas les tenants d’une logique économique néolibérale qui fait main basse sur la planète au mépris des principes démocratiques ?

Damien Millet est président du Comité pour l’Annulation de la Dette du Tiers Monde (CADTM France), coauteur avec Frédéric Chauvreau de la
bande dessinée Dette odieuse, CADTM/Syllepse, 2006 et auteur du livre L’Afrique sans dette, CADTM/Syllepse, 2005.

Notes:

[1] Dépêche AFP, « Hongrie : les émeutes ont fait chuter les marchés », 23 septembre 2006.



Articles Par : Damien Millet

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