« Il est urgent de bombarder Israël » ?

Le titre se veut intentionnellement provocateur afin d’attirer l’attention du lecteur sur la politique de deux poids, deux mesures pratiquée par la „communauté internationale“ à l‘égard, respectivement, d’Israël et de l’Iran.

L’actualité internationale des derniers jours a été dominée par les déclarations martiales des va-t’en-guerre de Paris, le président Sarkozy et son ministre des Affaires étrangères, Bernard Kouchner.


Décidément, Kouchner ne rate pas une occasion pour donner raison à ses nombreux détracteurs. C’est bien la première fois qu’un homme politique européen ose brandir aussi ouvertement et sans vergogne la menace d’une guerre contre l’Iran afin d’empêcher celui-ci d’utiliser son programme nucléaire à des fins militaires.

De l’avis de Kouchner il n’y aurait pas de „plus grande crise, à l’heure actuelle, que celle du programme nucléaire iranien » que d’aucuns suspectent de servir à des fins militaires plutôt que civiles.

Il n’est pas inutile de rappeler, dans ce contexte, que les dispositions du Traité de non-prolifération autorisent tout Etat membre, donc également l’Iran, à utiliser l’énergie nucléaire à des fins civiles, p.ex. la production d’énergie électrique.

Un étrange déjà-vu.

Face aux critiques que ses propos intempestifs ont suscitées un peu partout, Kouchner s’est empressé de rectifier le tir et d’atténuer la portée de ses déclarations. Mais, qui veut encore croire que le ministre n’ait pas livré le fond de sa pensée en s’exprimant devant les caméras de RTL ?

Après tout, l’opinion publique n’a pas oublié la position plus qu’ambiguë que ce fervent défenseur du droit d’intervention „humanitaire » avait adoptée à propos de l’invasion de l’Irak. Et, somme toute, il n’a fait qu’emboîter le pas à son maître, le président Sarkozy, qui, quelques jours plus tôt, avait mis en garde contre „une alternative catastrophique : « la bombe iranienne ou le bombardement de l’Iran » (Le Monde du 16 septembre 2007).

En clair, la France de Sarkozy et Kouchner est prête à entraîner l’Europe et ses alliés dans une nouvelle aventure militaire au Moyen-Orient avec pour but d’empêcher l’Iran de se doter de la bombe atomique.

Il est certes réconfortant de voir que l’un ou l’autre ministre européen a réagi promptement aux déclarations inouïes de Kouchner.

Parmi eux le ministre Asselborn.

Dans son discours devant les membres de l’Agence internationale de l’énergie atomique, à Vienne, le ministre luxembourgeois a trouvé les mots justes pour rétorquer à son collègue français. D’après Asselborn, il serait politiquement inopportun d’évoquer la possibilité d’une guerre contre l’Iran en faisant croire au monde qu’il devait se préparer au pire.

Mais, est-ce suffisant pour calmer les esprits à Paris et à Washington ? Il est temps que l’UE se prononce sans ambiguïté et en toute indépendance sur le sujet, peu importe la position de Washington.

Après la mésaventure vécue par les Etats-Unis en Irak, il est difficile de convaincre l’opinion publique internationale qu’il n’y a pas de plus grande crise, à l’heure actuelle, que celle du programme nucléaire iranien.

Un homme qui connaît mieux que quiconque le programme nucléaire iranien est ElBaradei, directeur général de l’Agence internationale de l’énergie atomique. Il a réagi aux déclarations de Kouchner en appelant au calme et en invitant les Etats à attendre le résultat des vérifications auxquelles ses services procèdent actuellement en Iran.

A son avis – et il est bien placé pour le savoir – il n’existe pas en ce moment de danger clair concernant le programme nucléaire iranien. Il n’a pas manqué d’ajouter que tout le monde devrait retenir la leçon de l’Irak où 70.000 civils ont perdu la vie sur la simple suspicion qu’un pays détenait des armes de destruction massive.

N’est-il pas vrai, également, qu’à ce jour il n’existe aucune preuve concluante permettant d’affirmer avec certitude que l’Iran est en train de développer des armes atomiques ? Il y a des doutes, des suspicions ; il y a aussi le fait que l’Iran s’est lancé dans un programme d’enrichissement d’uranium, ce dernier pouvant le cas échéant, mais pas nécessairement, aboutir à un programme militaire.

Est-ce suffisant pour envisager l’hypothèse d’une intervention militaire contre l’Iran ?

Nous nous retrouvons dans une situation qui rappelle étrangement les événements qui ont amené les Etats-Unis et quelques alliés à envahir l’Irak, en 2003.

L’arsenal nucléaire secret d’Israël

S’il est donc permis d’avoir des doutes sur les véritables ambitions nucléaires iraniennes, aucun doute, par contre, n’est permis sur le statut de puissance nucléaire d’Israël.

Contrairement à l’Iran, Israël a toujours refusé d’adhérer au Traité de non-prolifération qui interdit la construction et la possession de bombes atomiques, une exception étant faite pour les cinq membres permanents du Conseil de sécurité, dont la France.

Echappant ainsi aux inspections de l’AIEA, Israël à pu, sans être inquiété, se doter d’un arsenal militaire nucléaire qui est estimé par les experts à au moins 200 têtes nucléaires. A ce jour , Israël est la seule puissance nucléaire au Moyen-Orient. A noter que, pas plus tard que cette semaine, Israël s’est vu critiquer par l’Agence internationale de l’énergie atomique pour son refus de soumettre son programme nucléaire aux inspections de l’Agence.

A supposer que l’Iran soit effectivement en train de développer „la bombe », faut-il en déduire que la stabilité et la sécurité dans la région soient irrémédiablement menacées ?

La question, en elle-même, est une absurdité : en vérité, il n’existe, à l’heure actuelle, ni stabilité ni sécurité au Moyen-Orient.

Loin de moi l’idée de plaider la cause de l’Iran. J’ai toujours été de l’avis que toute bombe atomique est une bombe de trop, qu’elle soit iranienne, israélienne, française ou américaine. Il n’y a pas de „bonnes » bombes !

Cela étant , et au risque de m’attirer les foudres de toutes les âmes bien-pensantes, j’ose défendre la thèse qu’une éventuelle bombe iranienne ne doit pas nécessairement entraîner une détérioration majeure de la sécurité dans la région.

En premier lieu il convient de rappeler que la bombe atomique a une fonction essentiellement défensive et de dissuasion. Mais, m’objectera-t-on, que faites- vous des déclarations du président Ahmadinejad qui voudrait rayer l’Etat d’Israël de la carte ?

Que je sache, on ne s’est jamais donné la peine en Europe de soumettre les propos d’Ahmadinejad tenus en langue persane, à une analyse approfondie. Puis, il y a ceux qui n’hésitent pas à comparer le président iranien à Hitler ; c’est plutôt enfantin et c’est oublier que l’Iran accueille sur son sol plusieurs dizaines de milliers de Juifs qui y vivent en toute sécurité et qui résistent aux appels d’Israël de se „réfugier » dans la terre promise.

Pendant qu’ils accusent Ahmadinejad de menacer l’existence de leur Etat, les Israéliens ne cessent d’afficher le plus grand mépris pour le droit international et les organisations internationales, en premier lieu l’ONU et la Cour internationale de justice. Territoires palestiniens occupés depuis une quarantaine d’années ; extension permanente des colonies en territoire palestinien ; construction d’un mur de „protection » long de plusieurs centaines de km et qui empiète largement sur les terres palestiniennes ; politique d’apartheid poursuivie à l’égard des Palestiniens vivant sur le territoire de l’Etat israélien ; guerre menée en 2006 contre le Liban : cette énumération de „méfaits » israéliens n’est que partielle. Pour faire bonne mesure, les dirigeants israéliens viennent de déclarer la bande de Gaza „terre ennemie » et menacent de couper l’approvisionnement de Gaza en pétrole et énergie électrique.

C’est une nouvelle confirmation que les punitions collectives imposées au peuple palestinien font partie de la politique quotidienne des gouvernements israéliens successifs.

Quant aux Européens, qui ne cachent pas leur ambition de faire respecter le droit international partout dans le monde, ils se contentent d’observer comme si le conflit israélo-palestinien ne les concernait que marginalement. Encore sous l’emprise d’un sentiment de culpabilité vis-à-vis du peuple juif, ils se sont privés eux-mêmes de toute possibilité de jouer un rôle déterminant et se voient contraints de donner libre champ à Washington.

La conférence internationale qui devrait se tenir cet automne, à l’initiative du président Bush, a suscité de nouveaux espoirs concernant la solution du conflit. Le premier ministre israélien s’est toutefois empressé de tempérer cet optimisme en faisant savoir qu’il n’était pas disposé à voir la conférence adopter un document détaillé sur les trois questions qui sont fondamentales pour la création d’un Etat palestinien : définition des frontières, statut de Jérusalem- Est et retour des réfugiés palestiniens. En somme, la conférence semble d’ores et déjà vouée à l’échec.

La honteuse inertie des Européens

Entre-temps, les Etats-Unis, la France et les autres Etats membres permanents du Conseil de sécurité examinent le contenu d’une nouvelle série de sanctions contre l’Iran.

A défaut d’un accord dans le cadre ONU, les Etats-Unis et l’UE semblent vouloir aller de l’avant en se passant de la légitimité onusienne. On peut faire confiance à Sarkozy et son valet Kouchner qu’ils mettront toute la pression sur leurs partenaires européens et qu’ils leur feront avaler les pires couleuvres.

L’Iran et son programme nucléaire sont aussi un prétexte bienvenu aux gouvernements européens pour écarter l’attention de l’opinion publique du conflit israélo-palestinien.

Face à cette honteuse inertie des Européens dans le conflit qui oppose Israéliens et Palestiniens, on a envie de leur crier, comme l’a fait Sarkozy dans un autre contexte : „Européens, réveillezvous, réveillez-vous enfin ! »

Que l’UE adopte de nouvelles sanctions contre l’Iran, soit ; qu’elle feint d’ignorer ce qui se passe en Palestine et qu’elle laisse Israël agir à sa guise, c’est intolérable !


François Bremer
, ancien ambassadeur du Luxembourg à Tokyo et à Copenhague. Il fut en outre représentant du Luxembourg auprès de l’OTANancien ambassadeur du Luxembourg.



Articles Par : François Bremer

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