Intervention policière à l’université du Québec à Montréal: Dérive à l’UQAM

Le danger, ce ne sont pas les étudiants et les étudiantes, mais l’administration. Les responsables du chaos de ces derniers jours, ce ne sont pas les étudiants et les étudiantes, mais le recteur.

L’UQAM, université dite populaire, a été fondée en 1969 avec pour mandat l’accessibilité aux études. Elle est reconnue pour être un établissement universitaire de gauche. Les étudiants choisissent souvent cette université pour cette raison. Ils veulent bien sûr un enseignement de qualité, mais aussi une université qui représente et défend leurs idéaux : accès aux études pour toutes et tous, respects des droits et libertés, justice sociale… Contrairement à d’autres universités, l’UQAM n’est pas un lieu sacré, fermé et replié sur lui-même, un antre de savoir réservé à une élite. Elle a, avait, la tête et le cœur bien ancrés dans la réalité, dans les réalités de toutes et de tous, de la population en général. Elle était pour le dialogue et l’ouverture. Était.

Plus jamais de printemps érable. Plus jamais 2012. Telle est la position de notre gouvernement, malheureusement appuyée par le recteur.

La direction de l’UQAM a frappé fort, et ce, d’emblée, en décidant d’expulser neuf étudiants et étudiantes, le 20 mars dernier. La raison invoquée : « Ils auraient commis du vandalisme et des actes illégaux » lors d’activités de perturbation à l’université, remontant à 2013. En prenant cette décision, la direction voulait créer un climat de peur au sein de la population étudiante. En ciblant des militants et des militantes, elle voulait museler les associations étudiantes et décourager toute activité militante. Elle a sous-estimé l’intelligence et la volonté de ceux et celles sans qui l’UQAM n’existerait pas : les étudiants. La clientèle étudiante, comme on nous appelle.

Ces expulsions politiques ont déclenché une réaction immédiate, professeurs, chargés de cours et étudiants se sont unis pour demander à la direction de revenir sur sa décision. Expulsion d’un an pour six étudiants et expulsion définitive pour trois étudiantes et étudiants, dont Justine Bélanger, déléguée étudiante qui siégeait, à ce moment-là, au conseil d’administration et au comité exécutif. En refusant le dialogue, la direction a jeté de l’huile sur le feu. Position qu’elle maintient aujourd’hui et qui nous a amenés aux tristes événements de mercredi dernier. Après la répression politique, le recteur a opté pour la répression policière. L’administration de l’UQAM avait tout préparé et tout orchestré à l’avance : expulsions, dépôt d’une demande d’injonction pour la poursuite normale des activités dès le deuxième jour de la grève étudiante (de toute évidence, le document de quelque 120 pages était prêt depuis longtemps), messages aux professeurs disant qu’il n’est pas question de rouvrir les ententes d’évaluation et obligation pour ces derniers de donner leur cours, etc.

Traditionnellement, l’UQAM a toujours respecté le droit de grève des étudiants et des étudiantes. Les levées de cours se déroulaient dans le calme. Le droit de parole et d’expression était respecté. Était. Il me semble que le droit de grève des étudiants est légitime. Enfin, dans une démocratie. Car, malgré ce que veulent faire croire les médias, les associations étudiantes sont tout ce qu’il y a de plus démocratiques. Les associations étudiantes ne sont pas des nids de serpents, on ne s’y bat pas et le droit de parole y est respecté très rigoureusement. Bien sûr, ceux et celles qui ont voté contre la grève sont mécontents, mais c’est une décision démocratique adoptée suite aux résultats d’un vote. Je n’ai pas voté pour notre gouvernement actuel, mais je dois me plier à la décision des électeurs qui l’ont mis au pouvoir. Ceci dit, dans une démocratie, j’ai le droit de manifester mon désaccord avec les décisions de mon gouvernement et contre l’austérité qu’il m’impose.

Que s’est-il passé mercredi dernier?

Un groupe d’étudiants décide d’occuper l’UQAM en réaction à l’injonction interdisant, entre autres, les levées de cours. Les services de sécurité de l’UQAM interviennent pour empêcher les étudiants de lever les cours. Le recteur fait appel à la police sous prétexte que les agents de sécurité ne parviennent pas à maîtriser la situation. Il s’ensuit une intervention très musclée de la SPVM, comme en attestent des images tournées sur le campus (pas celles des médias officiels). Vingt-deux arrestations ont lieu et la police lève un cours pour libérer une classe afin d’y regrouper les étudiants et étudiantes qu’elle arrête. Alertée, Madame Michèle Nevert, présidente du SPUQ (Syndicat des professeurs et professeures de l’Université du Québec à Montréal) vient sur les lieux et, devant la violence des policiers, avec d’autres professeurs, fait une chaine humaine entre la police et les étudiants pour protéger ces derniers. Elle déclare ne jamais avoir vu autant de « tabassage » et demande au directeur de la sécurité de l’UQAM de venir pour faire sortir la police et mettre un terme à son intervention « musclée ».  Elle demande ensuite au recteur de venir parler aux étudiants présents. Ce qu’il ne fait pas. Seul le vice-recteur descend, vers seize heures. Il y a environ quatre cents étudiants, tout est calme. Avec une délégation de professeurs, de chargés de cours et d’étudiants, Michèle Nevert se rend au rectorat et demande à rencontrer Robert Proulx. On lui répond qu’il n’est pas là. Elle insiste et s’ensuit une longue discussion avec le vice-recteur à la Vie universitaire et le vice-recteur à la Vie académique. Devant l’insistance de la délégation, et comprenant qu’il ne peut pas continuer à se cacher, le recteur les rejoint. Pendant une heure, la délégation lui demande de faire quelque chose, de dire aux étudiants et aux étudiantes qu’il s’engage à ne plus faire intervenir la police sur le campus, d’annuler les expulsions des étudiants et de ne pas demander la prolongation de l’injonction qui vient à échéance lundi prochain. Robert Proulx refuse catégoriquement et refuse aussi la proposition des enseignants de créer un comité ad hoc de médiation. Suite à cette rencontre, la délégation retourne voir les étudiants, qui sont toujours très calmes. Michèle Nevert les informe qu’elle va aller à la police, avec des professeurs, des chargés de cours et des étudiants, pour voir ce qu’il en est des étudiants et des étudiants arrêtés. Tout est paisible au pavillon J.-A.-DeSève.

Saccage et violence étudiante en soirée?

Une centaine d’étudiants décident d’occuper le pavillon en réaction à ce qui s’est passé et afin de discuter des actions à prendre. À l’extérieur, une manifestation est organisée place Émilie-Gamelin pour protester et demander la libération des vingt-deux étudiantes et étudiants arrêtés. À l’intérieur du pavillon J.-A.-DeSève, l’ambiance est plutôt bon enfant. Des barricades sont érigées avec des meubles, mais la civilité est toujours de mise. Ce n’est qu’avec l’assaut de la SPVM, vers minuit, que la situation dégénère. (voir la vidéo) Intervention demandée, une fois de plus, par la direction. C’est à ce moment-là que tout dérape. C’était évitable. Une fois encore, Robert Proulx est le seul responsable. Il a refusé toute négociation, il a menti à plusieurs reprises, disant qu’il ne ferait jamais intervenir la police, qu’il représente une communauté, qu’il est pour le dialogue. Mais de toute évidence, le recteur n’accorde pas d’importance à une parole donnée. Jusqu’où va-t-il aller ? En bafouant ouvertement les droits de la communauté étudiante et enseignante, en se rangeant du côté du gouvernement et en optant pour la répression, il a perdu la confiance de ceux et celles qu’il dit représenter. C’est à ces personnes qu’il doit son poste. Les étudiants ne lui doivent rien. Ils mettent leur intelligence au service de l’UQAM, car sans étudiants cette institution n’aurait pas lieu d’exister.

Les étudiants ne sont pas des brutes, même si les médias adorent se gargariser d’images-chocs. Chers journalistes, quand vous passez en boucle des images avec pour seule légende « vitrines fracassées à l’UQAM », vous oubliez de préciser « fracassées par la police » comme le montrent clairement des vidéos. Manipulation, mensonge, violence, jusqu’où ira la direction de l’UQAM ?

Jeudi, je suis allée à l’UQAM, j’ai croisé René Delvaux, délégué étudiant au conseil d’administration et étudiant à la maîtrise en science politique. Il a claqué la porte du conseil d’administration en même temps que Justine Bélanger. Il m’a appris que Diane Demers, vice-rectrice aux Études et à la vie étudiante, a refusé de lui accorder une prolongation pour sa maîtrise. Il s’agit encore d’une forme d’intimidation et de répression, plus subtile certes, moins connue, mais violente : empêcher un étudiant de terminer sa maîtrise et d’obtenir son diplôme. Une maîtrise ou un doctorat c’est long. Un très grand nombre d’étudiants demandent une prolongation. Prolongation autorisée et prévue dans les règlements de l’UQAM, habituellement accordée. Jusqu’où la direction de l’UQAM poussera-t-elle l’odieux ? Briser, diviser et réprimer pour régner. Créer des exemples, semer la peur et servir la politique répressive du gouvernement. C’est ce qu’elle fait.

Austérité ? Coupure de 20 millions dans le budget de l’UQAM. Pourtant le recteur n’a pas hésité à investir 500 000 dollars pour augmenter la sécurité à l’UQAM et à choyer 85 cadres en leur accordant 350 000 dollars de bonis illégaux. Par contre, il coupe dans le personnel enseignant.

À suivre.

Diplômée de l’UQAM, ai-je envie de l’être à nouveau ? D’obtenir un doctorat de cette institution que je ne reconnais plus et dont j’ai honte.

Claude Jacqueline Herdhuin

Claude Jacqueline Herdhuin : Auteure, réalisatrice, scénariste Doctorante, Études et pratiques des arts, UQAM



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