Israël entre hystérie et nouvelle fonction dans la guerre contre la Syrie

Dimanche 7 décembre, les commentateurs des « raids israéliens » autour de Damas se sont distribués en deux grands groupes. D’un côté, ceux qui ont tenté de comprendre ce que cela pouvait bien cacher et s’il s’agissait du début d’une nouvelle étape après une période d’accalmie relative de ce type d’agression. De l’autre, ceux qui se sont préoccupés de savoir si la Syrie allait répliquer et comment.

Deux types de questionnement qui méritent analyse et réflexion, à condition d’éviter les surenchères creuses et les tentatives de diabolisation.

Inutile de nous attarder à discuter de la valeur militaire de ces raids. L’opération est « nulle », puisque le réseau de missiles de la défense aérienne syrienne n’a pas riposté et que les objectifs atteints se résument à de vieilles installations vides, facilement et rapidement remplaçables.

En revanche, les raisons politiques méritent explication, ces raids étant inséparables de quatre observations étroitement liées les unes aux autres :

La première observation concerne ce qui se passe en Israël où la discorde gouvernementale en est arrivée à la dissolution de la Knesset provoquant des élections anticipées [1] dans un contexte où la classe politique reste engagée dans l’impasse, que la décision soit en faveur de la guerre ou de la paix ; ce qui fait que ces élections ne changeront rien à la situation, sinon à conduire à encore plus de divisions politiques.

En effet, les décisions en faveur de la paix ont amené Isaac Rabin au pouvoir avec une grande majorité, mais son assassinat a fait échouer la paix. Les Accords d’Oslo ont amené Ariel Sharon et Benyamin Netanyahou et leur échec dans les guerres contre le Liban a amené Ehud Barak sous le slogan du « retrait sur une année ». Mais le retour de Sharon avec le déclenchement de l’Intifada palestinienne a fait tomber cette option de retrait, laquelle aurait limité les dégâts. Sharon n’a pas réussi à écraser le soulèvement palestinien. Et, depuis le retrait de Gaza en 2005 et l’échec de la guerre de Juillet en 2006 [contre le Liban], Israël est incapable de former une direction politique qui porte un projet clair avec les mécanismes appropriés pour le mettre en œuvre.

C’est là où les incursions perturbantes et les menaces pour la sécurité remplissent plusieurs fonctions à la fois. Dans le cas présent, il s’agit d’une fausse promesse de guerre ; d’une image de héros offerte par Netanyahou, lui-même, en vue des prochaines élections ; de lettres de créances présentées aux USA pour un nouveau rôle fonctionnel à l’ombre de la crise syrienne ; d’un message d’inquiétude face au développement des relations militaires entre la Russie et la Syrie, en lien avec la Résistance au Liban ; et c’est, de l’avis même des opposants à Netanyahu avec à leur tête Avigdor Lieberman, une dérobade devant l’échec électoral par la guerre, un fait accompli imposé à la région et au monde, signifiant : « nous sommes dans le pétrin, nous vous y entrainerons avec nous, sauvez nous ! ».

La deuxième observation concerne les discussions en cours entre les États-Unis et la Turquie à propos des deux versions de la « zone de sécurité » [2], à la frontière syro-turque, devenue la condition sine qua non pour la participation du gouvernement Erdogan à la Coalition engagée dans la guerre contre Daech, à défaut d’avoir réussi à imposer son exigence première consistant à renverser le régime syrien.

Une condition turque [zone tampon de 20 à 40 Kms, en territoire syrien, doublée d’une zone d’exclusion aérienne, NdT] qui, de l’aveu même de l’Administration US, risque de mener à une confrontation avec les réseaux syriens de la défense aérienne, voire avec la Résistance libanaise et, peut-être au-delà, avec les forces régionales et internationales soutenant la Syrie.

D’où, pour éviter la crise avec le gouvernement turc, l’alternative US réduisant la dite zone de sécurité à une mince « bande de sécurité » jouxtant la frontière turque, destinée à accueillir des unités armées de l’opposition syrienne prétendument « modérées », soutenues par Washington et Ankara et imposées à la Syrie censée fermer les yeux par crainte de la confrontation.

Un ballon d’essai US ayant récolté des résultats négatifs ; d’une part, suite aux déclarations conjointes de la Syrie et de la Russie affirmant que les frappes aériennes de la Coalition internationale menée par Washington, en territoire syrien, étaient illégales [3]; d’autre part, suite aux déclarations du Président syrien, Bachar al-Assad, se résumant à dire que ces frappes étaient « inefficaces » [4].

Un message signifiant que la Syrie cessera de tolérer ces frappes au cas où l’idée d’une quelconque « bande de sécurité » à sa frontière nord était maintenue. Ce que l’Administration US a parfaitement saisi au point que, pour éviter la confrontation, elle a transféré son idée du nord vers le sud, en confiant la mission à Israël», d’ores et déjà parrain de Jabhat al-Nosra [5][6], organisation terroriste avec laquelle il dispose de « cellules d’opérations communes ».

Une coordination, entre Israël et Jabhat al-Nosra, qui s’est clairement manifestée par des raids israéliens similaires sur le front de Quneitra en mars dernier [7], et par le soutien des services de renseignement israéliens lors des embuscades tendues à l’Armée libanaise à Baalbek.

Par conséquent, ces raids sur la Syrie annoncent l’élargissement de la mission israélienne sur une zone allant de la frontière sud de la Syrie jusqu’à la périphérie de Damas, afin d’y installer une formation armée protégée par Israël.

Ainsi, les USA pourront se concentrer sur leur guerre contre Daech, pendant qu’Israël se chargera de poursuivre la guerre d’usure décidée contre la Syrie.

La troisième observation concerne la géographie des zones ciblées par les raids israéliens du 7 décembre. « Al-Dimas », près de Damas côté ouest, se situe à l’arrière-plan du Qalamoun et « l’Aéroport de Damas » se situe à l’arrière plan des deux Ghouta est et ouest.

Deux régions où il est notoirement connu que les groupes armés vivent une situation désastreuse face aux avancées « dangereuses » de l’Armée nationale syrienne, selon les canaux de ces groupes eux-mêmes et selon les canaux d’Israël, des USA et de la Turquie. Avancées d’autant plus « dangereuses » que l’Armée nationale syrienne progresse aussi sur les fronts d’Alep et de Deir el-Zor, et ne semble pas loin de remporter les mêmes succès à Daraa, à Cheikh Meskin, à Jobar et à Douma.

Par conséquent, les raids israéliens sont venus insuffler une dose de moral aux groupes armés, leur dire qu’ils ne sont pas seuls, tout en leur suggérant qu’il est toujours possible de les couvrir par les airs, de les aider à repousser les attaques de l’Armée nationale syrienne et même de frapper ses quartiers militaires.

La quatrième observation est en rapport avec la situation au Liban où Israël cherche à entrer sur la ligne, mais avec prudence, étant donné les avertissements de la Résistance libanaise depuis sa dernière opération dans les Fermes de Chebaa au Sud Liban [8].

Par conséquent, ces raids israéliens sur la Syrie cherchent à renforcer la ligne de front des groupes armés à Ersal [Liban] et au Qalamoun, en contournant le partage territorial établi entre la Syrie et le Hezbollah, ce dernier se chargeant de dissuader militairement Israël d’avancer dans ses régions.

Mais le Qalamoun étant une région montagneuse où s’imbriquent étroitement le Liban et la Syrie, une telle pression du côté syrien pourrait soulager les groupes armés menacés d’encerclement par la neige et qui ne peuvent espérer leur salut, ni par la terreur qu’ils ont semé, ni par les décapitations successives de soldats libanais, ni par les opérations d’assistance logistique israéliennes ; ce qui explique le recours à ces raids après les succès de l’Armée nationale syrienne, en coordination avec le Hezbollah, contre des positions de Jabhat al-Nosra dans les massifs du Qalamoun.

Pour conclure, les raids israéliens correspondent au début d’une nouvelle étape, mais ne traduisent pas une modification de l’équilibre des forces. Si changement il y a, il serait plutôt en faveur de la Syrie et de la Résistance. Ceci dit, il s’agit de ne pas tomber dans la surenchère et le piège d’une réponse directe et immédiate. La vraie réponse réside dans la détermination de l’Armée nationale syrienne et de la Résistance à purifier tous les fronts, à commencer par Alep, en continuant vers les deux Ghouta et vers le Qalamoun, avant qu’Israël et Jabhat al-Nosra ne réussissent à ouvrir les fronts de Koussaya puis de Arkoub au Liban.

Nasser Kandil

8/12/2014

Source : Al-Binaa

إسرائيل» بين الهستيريا والدور الوظيفي»

http://www.al-binaa.com/?article=22814

Traduction de l’arabe par Mouna Alno-Nakhal pour Mondialisation.ca

 

Notes :

[1] Israël : les députés votent la dissolution du Parlement

http://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2014/12/08/israel-les-deputes-votent-la-dissolution-du-parlement_4536892_3218.html

[2] SYRIE. 4 questions sur la « zone-tampon » voulue par la Turquie

http://tempsreel.nouvelobs.com/la-revolte-syrienne/20141008.OBS1501/syrie-4-questions-sur-la-zone-tampon-voulue-par-la-turquie.html

[3] Syrie : Fabius, Lavrov, et les mensonges des médias français

http://www.mondialisation.ca/syrie-fabius-lavrov-et-les-mensonges-des-medias-francais/5417125

[4] L’entretien intégral : Le président syrien Bachar el-Assad reçoit Paris Match

http://www.mondialisation.ca/lentretien-integral-le-president-syrien-bachar-el-assad-recoit-paris-match/5418216

[5] Rapport de l’ONU : Report of the Secretary-General on the United Nations Disengagement Observer Force for the period from 4 September to 19 November 2014

https://drive.google.com/file/d/0B4XISuoPj6voZW1mNk1tSGYwV28/view?pli=1

[6] La guerre continue d’Israël contre la Syrie

http://www.mondialisation.ca/la-guerre-continue-disrael-contre-la-syrie/5418733

[7] Netanyahou: la nouvelle menace vient du nord-est

http://www.i24news.tv/app.php/fr/actu/israel/diplomatie-defense/140318-3-soldats-israeliens-blesses-dans-une-attaque

[8] Opération militaire du Hezbollah contre les soldats sionistes au Sud

http://www.almanar.com.lb/french/adetails.php?eid=195777&cid=18&fromval=1

 

Monsieur Nasser Kandil est libanais, ancien député, Directeur de TopNews-nasser-kandil, et Rédacteur en chef du quotidien libanais Al-Binaa

 

 



Articles Par : Nasser Kandil

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