Justice de classe en Allemagne : le banquier gagne son procès pour le versement de 1,5 million d’euros d’indemnité

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Un banquier allemand qui portait une importante responsabilité dans les pertes record de la Dresdner Bank en 2008 a gagné son procès en appel pour le paiement d’une indemnité de licenciement de 1,5 million d’euros. Jeudi, le tribunal de Francfort/Main, a approuvé le recours de l’ancien banquier d’investissement de la Dresdner Bank, Jens Peter Neumann, pour le versement de la somme de 1,5 million d’euros. Neumann avait déjà reçu un bonus de 3 millions d’euros de ses anciens employeurs malgré les résultats désastreux affichés par la banque sous sa gestion.

En tant que directeur des opérations sur les marchés des capitaux de la Dresdner Bank, Neumann avait joué un rôle clé dans le recours aux formes d’exploitation propres à favoriser l’investissement spéculatif qui avait conduit la banque à annoncer des pertes opérationnelles d’un montant colossal de 6,3 milliards d’euros pour l’année 2008. Une grande part de ces pertes avait été faites par la filiale de la Dresdner Bank, Dresden Kleinwort, qui avait essuyé des pertes énormes du fait de son implication sur le marché américain des subprimes.

En août 2008, la Dresdner Bank déjà fortement éprouvée fut rachetée par la Commerzbank. Tirant les ficelles en coulisse, le gouvernement allemand avait encouragé le rachat plutôt que voir de la banque aux mains d’un fonds d’investissement chinois.

Lorsqu’il fut connu que la Commerzbank connaissait aussi de gros ennuis en raison de pratiques spéculatives identiques à celles opérées par la Dresdner Bank, le gouvernement allemand intervint pour couvrir 25 pour cent du capital de la Commerzbank s’élevant à un coût total de 18 milliards d’euros payés avec l’argent du contribuable. Selon une source industrielle, la fusion entre la Dresdner Bank et la Commerzbank devrait se solder par la suppression de rien moins que 9.000 emplois.

Après avoir joué un rôle crucial dans la destruction de valeurs représentant des milliards d’euros et des milliers d’emplois suite à la faillite de la Dresdner Bank, le banquier d’investissement, Jens Peter Neumann, fut récompensé en 2008 par un bonus de 3 millions d’euros pour services rendus. Les bonus provenaient d’un pactole de 400 millions d’euros mis de côté par la maison mère de la Dresdner Bank, le groupe d’assurances allemand Allianz, pour récompenser ses employés les plus performants chez Kleinwort.

Non content du versement de ses 3 millions de bonus, Neumann est allé porter plainte pour le non-paiement d’une indemnité de départ. En janvier, suite à la fusion entre la Dresdner et la Commerzbank dernier, il avait été mis un terme aux versements d’indemnités et de bonus.

Cela avait entraîné au moins douze actions en justice engagées par des banquiers à Francfort et à Londres, dont Neumann. Ces plaintes furent en grande partie couronnées de succès. A la mi-juillet, un tribunal de Londres a condamné la Commerzbank à verser un total de 10 millions d’euros à quatre banquiers d’investissement. Dans d’autres affaires, la banque a conclu des règlements amiables en versant des millions aux banquiers.

A présent, suite à la dernière décision du tribunal de Francfort, Neumann a également été en mesure d’empocher son indemnité de licenciement. Neumann ne s’était pas présenté personnellement à l’audience. Il vit actuellement sur l’île de Chypre, un paradis fiscal et était représenté devant le tribunal par son avocat.

L’on s’attend à ce que sa victoire à Francfort déclenche une série de nouvelles plaintes de la part de quelque 70 autres banquiers de la Commerzbank/Kleinwort décidés à réclamer leur dû.

La décision en faveur de Neumann est un exemple flagrant de justice de classes. Le tribunal a déclaré avoir pris sa décision parce que le contrat de Neumann prévoyait le paiement du bonus et de la prime de départ et que toute violation d’un tel contrat représenterait un « abus de confiance. »

Un ensemble de règles tout à fait différent s’applique toutefois dès qu’il s’agit de travailleurs ordinaires. Alors que les lignes en petits caractères au bas des contrats des banquiers et des directeurs sont appliquées à la lettre par les tribunaux, ces mêmes tribunaux traitent les contrats de travail des salariés avec indifférence et mépris. Il y a eu une série de cas en Allemagne où des travailleurs ont été licenciés sur-le-champ pour les raisons les plus triviales.

En août 2008, la caissière d’un supermarché, Barbara E., souvent appelée « Emmely », fut licenciée sans préavis parce qu’elle aurait empoché des bons d’un montant de 1,30 euro pour des bouteilles consignées qu’un client avait oubliées. Le tribunal de Berlin a estimé légitime son licenciement qui fut confirmé en appel.

En septembre 2008, deux employés de la chaîne de boulangerie Westermann de Bergkamen en Rhénanie-du-Nord-Westphalie, furent licenciés sans préavis. Ils étaient accusés par leur employeur d’avoir tartiné leurs petits pains (qu’ils avaient achetés) avec de la pâte à tartiner de la boulangerie. La valeur de la pâte à tartiner fut évaluée à 10 centimes.

En juin dernier, un travailleur à Oberhausen (Rhénanie-du-Nord-Westphalie) fut renvoyé sur le champ pour avoir rechargé son téléphone portable sur son lieu de travail. Le coût de l’électricité fut estimé à 0,014 cents. Le salarié, Mohammed Sheikh, avait travaillé 14 ans pour la firme Jawa à Oberhausen.

Et cette semaine même, coïncidant avec le jugement rendu par le tribunal de Francfort, un tribunal du travail de Radolfzell (au pied du Lac de Constance) a confirmé le licenciement avec effet immédiat d’une aide soignante en gériatrie accusée d’avoir pris six grands raviolis farcis de viande (« Maultaschen ») dans l’établissement pour personnes âgées où elle travaillait. L’aide soignante de 58 ans avait travaillé 17 ans pour cet employeur.

Après des décennies de travail, ces travailleurs sont condamnés à la pauvreté suite à leur licenciement, en touchant des prestations dérisoires et en n’ayant que peu de chance de retrouver un emploi.

Ce serait une erreur que de croire que ces décisions de justice rendues l’année passée par un certain nombre de tribunaux allemands ne sont que des cas isolés. Elles font en fait partie d’une offensive déterminée, de la part des milieux juridiques et politiques, visant à démonter tous les droits des travailleurs acquis au prix de siècles de luttes.

Les activités spéculatives socialement destructrices de banquiers tels Neumann ont bénéficié d’un important soutien de la part des principales autorités juridiques. Le magazine juridique en vue Neue Juristische Wochenschrift (magazine du droit, La Semaine juridique) a publié un article de cinq pages par Volker Rieble, professeur de droit du travail et droit civil à l’université Ludwig Maximilian de Munich, justifiant la décision de justice prononcée contre l’employée de magasin Emmely.

Ce même professeur a aussi défendu les banquiers cupides qui réclamaient des bonus excessifs. Selon des commentaires faits récemment par Rieble, dans le courant de la crise financière les banquiers ont évolué pour devenir « une profession socialement hautement valorisée », et toute tentative d’interférer avec le système de paiement de bonus équivaut à « priver de droit tout un groupe professionnel. »

De même, le gouvernement allemand en tant que principal actionnaire de la Commerzbank, porte une part de responsabilité pour les paiements exorbitants qui sont présentement octroyés à des banquiers en faillite et qui se sont adonnés à des activités spéculatives criminelles. Le silence assourdissant de la part des membres des partis gouvernementaux après le jugement prononcé par le tribunal de Francfort montre clairement qu’ils approuvent entièrement la décision du juge.

Il y a un autre aspect important au jugement rendu jeudi par le tribunal de Francfort. Les juges envoient un signal clair au monde de la finance : « Vous n’avez rien à craindre de nous. Nous ferons tout notre possible pour soutenir vos activités. Le casino financier a rouvert ses portes ! »

Article original, WSWS, paru le 17 octobre 2009.



Articles Par : Stefan Steinberg

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