L’arrestation de Karadzic : l’étrange façon de Belgrade d’entrer dans l’Union Européenne

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Le TPIY de La Haye a finalement eu son autre prisonnier de première catégorie : sous garantie de La Haye, l’ex-chef des Serbes de Bosnie Radovan Karadzic a été arrêté en Serbie.

Les descriptions des circonstances de son arrestation sont contradictoires : certains disent qu’il a été arrêté à Belgrade le soir du 18 juillet, d’autres qu’il a été capturé le soir du 21. Son avocat soutient qu’il a été arrêté le 18, tenu au secret sans aucun avis d’accusation, empêché  de pouvoir rencontrer son défenseur, en violation des règles de procédure, et que son arrestation est par conséquence illégale ; et que Karadzic doit être relâché. Mais ceci n’est pas le problème. Quand l’arrestation d’un personnage de telle envergure arrive, ceci équivaudrait à couper les cheveux en quatre.

Et les conjectures sur la possibilité que Karadzic soit jugé  en Serbie et non pas à La Haye sont vaines. Pour le nouveau gouvernement  pro-occidental du Président Tadic et du Premier ministre Tsetkovic, garder Karadzic en Serbie n’a pas de sens et peut même être dangereux.

Comme tous les plus grands protagonistes dans le drame décennal sanglant de la désintégration de la Yougoslavie, l’ex-psychiatre sexagénaire, poète et chef des Serbes de Bosnie est une figure hautement polarisante. Pour la majorité des Serbes de Bosnie et de nombreux Serbes en Serbie, il est un héros, un combattant consciencieux pour la terre et les droits des Serbes. Pour les musulmans de Bosnie et les Croates c’est le diable en personne, dont les mains sont pleines de sang. Richard Holbrooke, le diplomate étasunien qui élabora les accords mettant fin à la guerre de Bosnie, l’a décrit en apprenant son arrestation comme « l’Ossama Ben Laden européen ».

L’on pourrait se demander si les autorités serbes sont en train de faire quelque chose de juste, si elles sont pro-occidentales, pro-slaves, vraiment serbes ou traîtres, mais, laissant de côté leur émotivité, les actuels président et gouvernement de Serbie n’ont pas d’autre choix que de remettre Karadzic au TPIY. Tous les deux se sont déclarés pro-européens pendant leurs campagnes électorales, et ne peuvent conquérir un accès à l’Europe sans coopérer avec le TPIY pour la capture des « crapules ».  Si l’on considère la situation de l’économie serbe (de  laquelle les incursions de l’Otan sont en partie responsables), l’avenir serait ardu sans l’assistance  de l’Union Européenne : un rejet politique  entre ex-frères et sœurs yougoslaves qui ont déjà adhéré ou sont en train de le faire à l’Europe et à l’Otan. La Serbie n’a eu personne sur qui s’appuyer.

Il est très clair dans ce qu’on voit se développer en Serbie et au Kosovo que personne n’est en train d’amener la Russie dans les Balkans. Et, reconnaissons-le, la Russie elle-même a abandonné la Yougoslavie et la Serbie si durement (d’abord sous Gorbatchev et ensuite Eltsine) que peu de Serbes peuvent sérieusement croire dans son aide. Qu’est-il arrivé au fameux dit-on serbe « Dieu est au ciel, la Russie sur la terre » ? Dans tous les cas, les temps changent, et nous devons être plus circonspects pour soutenir nos frères slaves serbes.

Nombre de lances ont été rompues et nerfs mis à vif aux Nations Unies sur le soutien au Kosovo, mais maintenant Belgrade souhaite à nouveau la bienvenue aux ambassadeurs de tous les pays occidentaux qui ont reconnu l’indépendance du Kosovo. On n’affiche plus de rancoeur  à leur égard. Belgrade est sur le seuil de l’Union Européenne. Elle frappera aussi à la porte de l’Otan, ce n’est qu’une question de temps. La Russie se retrouvera encore seule  avec sa position de principe pour soutenir des intérêts qui ne sont  pas nos intérêts. Les principes sont tous très bons pourvu qu’ils naissent naturellement, qu’ils produisent des fruits et rendent notre position attrayante…

L’arrestation de Karadzic est arrivée au même moment que la rencontre des ministres des Affaires étrangères de l’Ue à Bruxelles où se discutait  la question  de l’admission de la Serbie ; l’Ue a posé comme condition  pour cette admission  la capture de Karadzic et de son chef militaire le général Mladic. Manuel Barroso a dit que c’était très important  pour les ambitions européennes de la Serbie. Le représentant  de la politique étrangère et de la sécurité européenes, Javier Solana, a, lui, exprimé le souhait qu’après l’arrestation le TPIY apprécie la « pleine collaboration » de Belgrade et donne son feu vert  à l’accord clé entre l’Union et la Serbie.  « Je dois encore  parler avec le procureur du TPIY mais je suis certain qu’il confirmera cette pleine coopération ». Voilà un bien étrange échange : un billet d’entrée en Europe contre une arrestation.

D’aucuns se demanderont, cependant, pourquoi les présumés crimes commis par Karadzic ont été établis a priori, avant le procès. Karadzic a été accusé de génocide, crimes de guerre et crimes contre l’humanité en 1995 (la guerre en Bosnie a duré de 1992 à 1995), et le mandat d’arrêt contre lui a été lancé le 24 juillet 1996. Ni Karadzic, ni Milosevic, qui est mort  sous la garde du TPIY en 2006,  n’étaient des anges. Les guerres civiles ne produisent pas des anges. Au contraire, les conflits  ethniques artificiellement fomentés, dans lesquels les balles sont le dernier argument, ont toujours été particulièrement brutaux. Quand une partie seulement  est constamment accusée d’atrocités, se pose la question : la Justice est-elle vraiment impartiale ?  Les Serbes de Bosnie-Herzégovine furent accusés de « séparatisme » et d’avoir déclenché une guerre, mais à la fin  la Bosnie a du  être divisée en deux parties, musulmane-croate et serbe.

Karadzic est accusé d’avoir organisé et encouragé le massacre des musulmans à Srebrenica. Mais personne ne connaît exactement le nombre de personnes qui sont mortes et si c’est là qu’elles ont été tuées. Les journaux occidentaux citent différents chiffres : 6.000, 7.000, 8.000. Le cimetière mémorial de Srebrenica a 2907 tombes. C’est épouvantable. Le nombre de réfugiés est atroce, il oscille entre 1 et 2 millions. Le problème et le malheur du TPIY sont qu’il a beaucoup de mal à trouver des témoins. Il ne possède rien de semblable aux institutions juridiques nationales, alors il utilise les canaux d’information publique, et en particulier les organes de presse. A propos, l’acte d’accusation de Karadzic ne mentionne jamais le nombre des victimes.

Voilà bien un très étrange procès que celui où quelqu’un est déclaré coupable dès le début. Nombre de ceux qui sont accusés ou poursuivis sont des Serbes. Les criminels des autres nationalités sont peu nombreux et sont loin, les Serbes plus de 90%. 

Version italienne de Federico Roberti publiée vendredi 25 juillet 2008 par Eurasia

http://www.eurasia-rivista.org/cogit_content/articoli/EkEyAlFpFFUvLhHuSf.shtml

Source Ria-Novosti, 24 juillet 2008

http://en.rian.ru/analysis/20080724/114822310.html

Traduit de l’italien par Marie-Ange Patrizio



Articles Par : Andrei Fedyashin

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