L’Iran, la France et l’alignement sur l’OTAN

Dimanche 16 septembre, Bernard Kouchner était invité à exprimer la position de la diplomatie française sur la situation iranienne. Autopromu chef d’état major sur le champ des opérations médiatiques, le ministre indiquait au micro de RTL : « la France doit se préparer au pire ». Silence étonné du journaliste qui après un bref instant se risque : « Le pire… ». Réponse du tac au tac : « la guerre monsieur ! ». Le mot est lâché. Dés lors, une double dynamique qu’il faut analyser semble bel et bien engagée. D’une part un alignement de la France sur une politique atlantiste derrière l’OTAN, d’autre part des menaces de guerre sérieuses dont les effets seraient à n’en pas douter dévastateurs.

Le lendemain de sa déclaration guerrière, le ministre des affaires étrangères a tenté de Moscou où il était en déplacement de recadrer ses propos. Il n’était plus question que de « négociation sans relâche » ou encore de « travailler à des sanctions crédibles ». Ainsi donc, la veille en parlant de « guerre », Bernard Kouchner se serait laissé emporter, aurait commis un écart de langage, n’aurait pas été compris.

La voix de son maître

En réalité, les propos de Bernard Kouchner s’inscrivent dans une série de déclarations en cascade qui ne laissent aucun doute sur le caractère réfléchi des termes employés. Le mot « guerre » dans la bouche du chef de la diplomatie française n’est ni innocent, ni gratuit :

 >• Le premier à être monté en ligne sur la question iranienne est en effet le chef de l’état. Alors qu’il s’exprimait le 27 août devant un parterre d’ambassadeurs, Nicolas Sarkozy indiquait que si les iraniens ne se conformaient pas aux obligations du conseil de sécurité, rien ne permettrait d’échapper à « une alternative catastrophique, la bombe iranienne ou le bombardement de l’Iran ».

 >• Après Nicolas Sarkozy relayé par Bernard Kouchner, c’est François Fillon qui s’y colle. Le lendemain même de l’utilisation du terme de « guerre » par son ministre des affaires étrangères, alors qu’une interrogation monte dans la presse et qu’une inquiétude se fait jour, il indique que « la tension est à son extrême avec l’Iran ».

L’administration Bush se félicite de la fermeté française. Le régime des Mollahs dénonce un manque de crédibilité de la France dans son alignement sur les Etats-Unis. Et les autorités françaises persistent et signent. Les similitudes avec la situation qui a précédé les bombardements et l’invasion de l’Irak n’ont rien d’imaginaire. Le chef de l’état et ses ministres voudraient se conduire tels des poissons pilotes de l’aile la plus radicale qui existe au sein de l’administration américaine qu’ils ne feraient pas mieux.

Sarkozy – Kouchner – Fillon : dans le camp des ultras !

Depuis 2003, depuis le déclenchement de la guerre en Irak, la situation a évolué. La volonté guerrière ne fait plus l’unanimité au sein de l’opinion publique et de l’administration américaine comme c’était le cas au lendemain des attentats contre les « twin towers ». En 2003 en effet le parti de la guerre embrassait la position officielle de Washington. Aujourd’hui, ce sont les extrémistes de l’administration Bush qui s’affirment comme des va-t-en guerres jusqu’auboutistes. La situation catastrophique créée par l’invasion de l’Irak, les milliers de GI’s qui y ont perdu la vie, l’échec de la guerre « du bien contre le mal » conjugués à la crise économique que les subprimes remet à l’ordre du jour a entraîné un revirement de l’opinion américaine. La grève qui aujourd’hui -première depuis les années 70- s’est déclanchée dans le secteur de l’automobile contre les délocalisations, indique le niveau de combativité et de conscience qui existe au sein de la classe ouvrière américaine. C’est à cela que l’administration Bush doit faire face, et c’est contre cela que la question de la guerre iranienne est dressée par une partie de l’entourage du président américain.

Dans ce contexte, la prise de position de Nicolas Sarkozy et de ses ministres, plus qu’un soutien à l’administration et à son ami Bush, doit être compris comme un appui direct à ce qu’il y a de plus extrême outre atlantique.

Curieusement la situation est symétriquement identique à Téhéran. Au sein du régime des divisions existent sur le bras de fer engagé par le président Ahmadinejad avec les inspecteurs de l’ONU ou la diplomatie internationale. C’est pourtant lui, un illuminé et antisémite avoué, membre d’un mouvement apocalyptique de fous messianiques, nullement représentatif de la société iranienne, que les déclarations de nos gouvernants renforcent. Le président iranien ne manque pas en effet d’en appeler dans ses propres frontières à resserrer les rangs contre l’agression qui vient de l’occident…

Néocons à la française

Dans le dispositif qui se met en place au sein de l’hexagone, toutes déclarations, notamment celles des va-t-en guerres, soutiens du président et de ses ministres, prennent une importance particulière. Outre qu’elles rappellent aussi assez fidèlement la période où le champ des opérations militaires devait être l’Irak, elles donnent une indication de l’état d’avancement du processus qui mène à une agression annoncée.

 >• Frederic Encel, géopolitologue, met en garde ceux qui auraient la naïveté de penser que « un Iran nucléarisé ne concernerait au fond que les adversaires désignés du régime des Mollahs » avant d’insister « la perspective d’une nucléarisation de l’Iran doit impérativement être rejetée par la communauté des nations, qui, en l’occurrence, joue dans ce dossier son avenir ».

 >• Guy Sorman salue le geste de Kouchner qui « a redonné la priorité à l’éradication du mal ».

 >• André Glusksmann félicite le ministre en titrant un long papier sans ambiguïté, « vous avez dit ‘guerre’ monsieur Kouchner, vous n’avez pas tort… ».

 >• Enfin, sans vouloir être exhaustif, il faut signaler sur le site Web de la revue « le Meilleur des mondes », lieu d’expression de néoconservateurs à la française qui redoublent de bellicisme, le philosophe André Sénik qui s’étonne : « mais qu’a donc fait Bernard Kouchner ? Rien d’autre que de prendre au sérieux les déclarations du président iranien, proclamant qu’il voulait l’arme atomique, et qu’il souhaitait rayer Israël de la carte. Sur cette question le monde libre ne peut pas dépendre entièrement du bon ou du mauvais vouloir des russes ou des chinois, ni présumer que l’adversaire n’est qu’une grande gueule ».

De toutes ces déclarations de soutien, cette dernière a le mérite de dégager assez précisément le cours nouveau pris par la politique française en soulignant la nécessité de ne « pas dépendre entièrement du bon ou du mauvais vouloir des russes ou des chinois ».

Alignement, atlantisme, et Otan

Bernard Kouchner, pour tenter d’atténuer ses propos, avait indiqué l’intention de la diplomatie française de travailler à la mise en place de « sanctions réalistes avec ses alliés européens », si au sein du conseil de sécurité la Chine ou la Russie bloquaient. Concrètement cela ne signifie pas moins qu’une mise au pied du mur du conseil de sécurité de l’ONU. En d’autres mots, soit la position française qui va dans le droit fil de la volonté exprimée par une partie de l’administration américaine est adoptée par le conseil de sécurité, et tout peut continuer dans le cadre existant, soit les russes ou les chinois posent leur veto, et la France fera sans eux, avec quelques alliés européens qui se rangeront sous la bannière internationale de Nicolas Sarkozy portée par Bernard Kouchner.

L’intention affichée est donc le réalignement de la France comme pivot européen autour des intérêts de l’empire, au détriment des règles actuelles de fonctionnement des relations internationales. Nous retrouvons là assez précisément les tentatives qui ont présidées au déclanchement de la guerre contre l’Irak. Mais à l’époque l’administration américaine était directement à la manœuvre, menaçant de passer outre les instances de l’ONU. La différence aujourd’hui : c’est la France qui fait peser la menace en lieu et place de l’empire dominant.

Cet alignement de la France sur une politique atlantiste à l’occasion de la question iranienne est d’ailleurs explicite. Dans une interview au New York Times, Nicolas Sarkozy aborde directement le sujet. Pour la première fois depuis 1966 -date qui a vu la France se retirer du commandement militaire intégré de l’OTAN- jamais un président de la république française n’avait évoqué aussi clairement les conditions d’un retour. Il fixe deux préalables :

 >• « Une avancée sur l’Europe de la défense.

 >• Qu’une place soit faite dans les instances de direction, au plus haut niveau, pour des représentants de la France ».

Deux préalables qui appellent au moins deux remarques :

 >• Une avancée sur l’Europe de la défense n’a d’autre signification qu’un peu plus d’intégration européenne au détriment de la souveraineté nationale et populaire qui s’est exprimée notamment le 29 mai 2005 dans le vote NON au projet constitutionnel censé mettre en place une Europe fédérale basée sur le marché libre et non faussé. « L’Europe de la défense » devrait en réalité, au détriment du vote populaire, parachever le processus en cours. En attendant, l’alignement de la France sur l’OTAN n’a d’autre objet que de remettre la défense européenne dans les mains de l’alliance et de faire de l’Europe un des instruments politiques de l’empire pour la gestion des crises…

 >• La place revendiquée au sein de l’Otan pour la France n’a que peu de valeur sur le plan militaire. N’est- ce pas par exemple un français qui commande actuellement la Kfor au Kosovo ? L’importance est d’abord et avant tout politique en enchaînant les pays membres aux visées, aux intérêts et à la politique de l’empire.

La volonté atlantiste du gouvernement français et du président s’exprime ainsi sans détour à l’occasion de l’affaire iranienne. Mais de façon plus générale aussi. A un journaliste sur le sol américain, Nicolas Sarkozy demande « qu’on arrête de présenter l’Otan comme un épouvantail » pendant que son ministre de la défense indique qu’il serait bon de « cesser de chipoter et de barguigner » avec l’alliance atlantique…

Les raisons d’un alignement…

De « candidat américain » comme il se baptisait lui-même, Nicolas Sarkozy est devenu sans aucun doute le président le plus américain que la France ait connu. Pour chercher à comprendre les raisons d’un tel alignement, quelques hypothèses méritent d’être posées :

 >• Après le départ de Tony Blair en Grande Bretagne et la défaite de Berlusconi en Italie, l’administration américaine avait perdu deux amis proches du président Bush. La position d’allié privilégié de l’empire, porte-parole direct de ses intérêts au cœur de l’Europe, était vacante. La position de Nicolas Sarkozy ressemble à s’y méprendre à celle que Tony Blair avait occupée lors du déclanchement de la guerre du Golfe. Le coup joué se veut gagnant sur tous les tableaux. Il s’agit à cette occasion d’occuper une position clé en Europe, incontournable puisque tête de pont des intérêts de l’empire sur la scène internationale.

 >• Aux intérêts géopolitiques se mêlent les intérêts économiques. Un des enjeux réside à nouveau dans la question énergétique et pétrolière. Et dans les marchés de reconstruction une fois la destruction assurée par les bombardements ou autres frappes qui n’ont en général de chirurgical que le nom. Pour être à la table où se discuteront les contrats, il faut au préalable occuper une place de choix dans le dispositif chargé de détruire ce qui devra être reconstruit.

 >• Enfin, sur le plan national, les va-t-en guerres auraient tout à gagner. A l’heure d’une remise en cause des régimes spéciaux qui annoncent une attaque en règle contre toutes les retraites, alors que se dessine une remise en cause sans précédent du droit du travail dans son ensemble, une mise à bas des services publics, une remise en question de la sécurité sociale et de l’enseignement, une nouvelle accentuation des privatisations, alors que se profile un plan de rigueur d’une extrême dureté, l’aventure iranienne pourrait présenter l’avantage de serrer les rangs derrière une menace qui ne se cantonnerait pas à un simple conflit régional, mais dont les conséquences n’épargneraient sans doute personne…

A bas la guerre !

Comme cela s’est révélé lors de la guerre du golfe, les préoccupations humanitaires qui mettent en avant la paix et la sécurité de la région, voire de la planète, ont leur limite. Ce sont les « choses sérieuses » qui dominent, basées sur quelques arguments sonnants et trébuchants, et non de telles considérations idéologiques. Les comptes en banques de marchands d’armes dont les lobbies sont représentés au plus haut niveau par des personnalités de premier plan, au sein de la maison blanche notamment ou dans l’entourage de notre propre « administration », comme les impératifs du système, poussent aux gigantesques dépenses d’armement qu’une guerre permettrait d’assurer. La fabrication de moyens de destruction ultra sophistiqués censés assurés une victoire à tout prix n’a de valeur que si le terrain permet à certains moments d’écouler les stocks et de faire ses preuves. La guerre ainsi s’impose comme une nécessité économique, industrielle et politique.

Sur le plan politique, l’ampleur de la catastrophe aurait des retombées qui déborderaient le seul cadre géographique de cette partie de monde. L’Iran en effet n’est pas l’Irak. Dans les milieux militaires et diplomatiques, on évalue actuellement les pertes qu’un tel conflit provoquerait à plusieurs millions de morts. Une guerre avec l’Iran serait un avertissement direct adressé à la Chine et la Russie. Les promoteurs du conflit verraient aussi l’occasion, quelques années seulement après les bombardements et la destruction de l’Irak, de provoquer une démoralisation et un recul de la classe ouvrière au niveau international pour de longues années au profit de l’impérialisme et du capital…

La guerre en Irak avait montré les talents de l’administration américaine pour truquer, inventer, passer outre les contrôles, recommandations, et conclusions de l’Agence Internationale de l’Energie Atomique. L’histoire serait appelée en Iran à se répéter. Le président de l’agence ElBaradei demande aux Etats-Unis de lui fournir les documents qu’ils affirment détenir et qui prouveraient que l’Iran est bien en passe de se doter d’un armement nucléaire. Pour le moment sans succès. Qu’importe d’ailleurs aux yeux des faucons américains ou israéliens qui considèrent qu’il « vaut mieux frapper avant la fabrication d’une seule bombe »…

Dans ce contexte, tout laisse penser que l’option de la guerre annoncée au détour d’une phrase par le ministre Kouchner comme s’il s’agissait de mieux la banaliser est aujourd’hui très sérieusement envisagée. D’ailleurs, comme pour refermer l’étau, Nicolas Sarkozy à la tribune de l’ONU vient de terminer le troisième temps de sa valse. Après avoir menacé, après avoir fait monter son ministre Kouchner au créneau, le voila qui tend la main aux iraniens pour le nucléaire civile tout en se disant intransigeant sur le militaire…Une « main tendue » qui dans le contexte, en terme de diplomatie, pourrait annoncer le coup fatal. D’autant que d’autres signaux viennent de toute part :

 >• La Russie a d’ores et déjà averti les autorités iraniennes d’un déclanchement imminent des hostilités. Les premiers raids aériens devraient être assurés par l’aviation israélienne aidée par des avions radars américains. Cela ferait d’ailleurs de l’opération menée le 6 septembre par les avions de Tsahal contre la Syrie une simple répétition générale. La suite prévue serait l’œuvre de l’aviation américaine qui bombarderait massivement les sites choisis au préalable, et désignés par des commandos envoyés au sol…

 >• Côté français, on souligne la fourniture d’armes à Téhéran de la part de Moscou, batteries de missiles anti-navires, missiles à longue portée, hélicoptères, missiles antiaériens…

 >• Côté américain enfin, on parle de 8 satellites qui survolent l’Iran de long en large pour déterminer les positions à bombarder…

 >• Enfin, les sites qu’il s’agirait de détruire étant profondément enterrés, des bombes « à pénétration profonde » déjà expérimentées en Irak seraient d’ores et déjà livrées aux israéliens qui seraient donc partie prenante des futurs bombardements…

Ainsi, le constat ne souffre pas de doute. Sarkozy, Kouchner en parlant de « guerre », et Fillon, ont exprimé une volonté concertée au compte d’un calcul guerrier effectué au cœur de la maison blanche, que le président de la république s’est peut-être fait confié lors de sa récente escapade américaine par le président Bush qui le recevait.

Jean Jaurès disait : « Le capitalisme porte la guerre, comme la nuée porte l’orage ». La situation qui se profile trouve-t-elle un autre sens et une autre explication ? Et n’impose-t-elle pas comme première responsabilité à tout démocrate attaché aux valeurs de dignité et d’humanité que l’affirmation dés maintenant, sans attendre, d’une opposition résolue à la guerre que l’impérialisme et ses alliés pourraient déclancher.

La sociale, 29 septembre 2007.


Jacques Cotta
est journaliste et producteur à la télévision française. Il a produit et réalisé la série « Dans le secret de … » qui lui a valu plusieurs récompenses (un Sept d’or pour « Dans le secret du Front National »). Il est également l’auteur de plusieurs ouvrages.



Articles Par : Jacques Cotta

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