L’élite dirigeante veut faire taire toute opposition à la guerre

A la veille de l’envoi de 2000 soldats de Valcartier, Québec en Afghanistan

Alors que 2000 soldats du Royal 22e Régiment de la base de Valcartier au Québec se préparent à quitter pour l’Afghanistan pour une mission d’une durée de six mois dans la région de Kandahar, l’élite dirigeante, les médias et l’armée ont lancé une campagne idéologique visant à contrer le puissant sentiment anti-guerre de la population.

Les leaders politiques du Québec, qui ont jusqu’ici évité de soutenir énergiquement l’intervention militaire canadienne en Afghanistan, ont démontré à cette occasion leur plein appui à la politique va-t-en-guerre du Canada et, du même coup, leur mépris pour l’opinion des masses.

L’opposition à la « mission » menée en Afghanistan sous l’égide de l’OTAN est considérable à travers le Canada, et tout particulièrement dans la province de Québec. Selon un sondage mené le 18 juin, 70 pour cent de la population québécoise est contre l’intervention canadienne en Afghanistan et 41 pour cent veut le retrait immédiat des troupes canadiennes.    

La montée de l’opposition populaire, ravivée par le déploiement des soldats de Valcartier, coïncide avec l’intensification des combats entre les forces de l’OTAN et les insurgés afghans, combats qui ont été particulièrement sanglants durant la récente période et qui ont causé de nombreuses pertes civiles.

Le mois dernier, sept enfants ont été tués lors du bombardement d’une mosquée et d’une école par les forces de l’OTAN et au moins 25 civils innocents ont péri au cours d’une autre attaque, victimes d’une frappe aérienne américaine. Le 18 juin, la station de télévision arabe Al-Jazeera rapportait que plus de 120 civils avaient été tués au cours des récents mois.

Les affrontements continuent de faire également des victimes au sein des Forces armées canadiennes (FAC). Le 20 juin, trois soldats canadiens furent tués lorsque leur véhicule blindé heurta un engin explosif à l’ouest de Kandahar, portant à 60 le nombre de victimes parmi les FAC depuis 2002.

Cette même journée, un incident survenu lors d’une séance parlementaire à Québec a souligné le consensus pro-guerre qui règne parmi les trois principaux partis politiques de la province.

Sept militaires du Royal 22e Régiment présentés devant la Chambre y furent accueillis par une ovation debout de la grande majorité des députés. Une poignée de députés du Parti québécois, menés par Louise Harel, réputée être à « gauche » au sein de la direction du parti, sont toutefois demeurés assis. Cet exercice de duplicité, visant à exploiter les sentiments anti-guerre de la population qui ne peuvent être exprimés et encore moins défendus dans les milieux officiels, a soulevé l’ire du ministre libéral de la Santé, Philippe Couillard, qui a qualifié le geste de « regrettable » et « pathétique ». 

Sous le feu des nombreuses critiques, la leader en chambre du PQ, Diane Lemieux, s’est empressée de rappeler à l’ordre les quelques « dissidents » de son parti. Elle a soutenu que l’on ne pouvait tirer quelque conclusion que ce soit de leur geste, signifiant ainsi que cette « opposition » du bout des lèvres de la part de quelques députés n’allait pas entacher le plein soutien du Parti québécois pour l’intervention afghane. (C’est d’ailleurs le parti frère du PQ sur la scène fédérale, le Bloc québécois, qui votait la semaine précédente en faveur du budget conservateur, assurant ainsi la survie du gouvernement Harper et la poursuite de sa politique guerrière.)

Au bout du compte, les représentants des trois partis officiels – les libéraux, le PQ et l’Action démocratique du Québec – votèrent à l’unanimité une motion qui soulignait « le courage, l’abnégation et le sens du devoir » des 2000 soldats de la Force terrestre de la région de Québec qui allaient être déployés en Afghanistan.

Dans une tentative de « vendre » ce déploiement à une population québécoise qui y est profondément opposée, le gouvernement conservateur de Stephen Harper a entrepris de faire participer des militaires à une série d’activités publiques à haute visibilité. 

Ainsi, en plus de l’apparition des soldats à l’Assemblée nationale, environ 1200 militaires étaient présents lors d’un match présaison de la Ligue canadienne de football. Lors de la cérémonie d’avant-match, quelques membres de l’armée furent honorés. Cela n’est pas sans rappeler la présence des Forces canadiennes aux activités de la coupe Grey en novembre dernier à Winnipeg.

De plus, durant les prochaines semaines, plusieurs cérémonies locales sont prévues lors desquelles les drapeaux de diverses municipalités seront échangés avec celui de la mission des Forces canadiennes à Kandahar.

Le fait marquant de cette campagne de relations publiques fut la parade qui vit 2000 soldats défiler à la fin juin dans les rues de la ville de Québec. Plusieurs leaders politiques participèrent à ce défilé, signifiant ainsi leur appui à la mission en Afghanistan. Étaient aussi présents sur place deux collectifs d’opposition à la guerre, Guerre à la Guerre et Québec pour la paix, qui avaient organisé une contre-manifestation.

S’adressant aux soldats, le premier ministre libéral du Québec, Jean Charest, a lancé ces paroles : « Vous êtes le bras agissant du pacifisme québécois, vous êtes des libérateurs. » La réalité, toutefois, est que la population afghane perçoit de plus en plus l’intervention des forces étrangères comme une calamité plutôt que comme une libération.

Selon des interviews menés à la fin de 2006 avec plus de 1000 Afghans à travers le pays par ABC News et BBC World Service, 58 pour cent seulement de la population croit que la situation est meilleure aujourd’hui que sous les talibans, comparativement à 75 pour cent cinq ans plus tôt. 78 pour cent de la population afghane est d’avis que la corruption au sein du gouvernement d’Hamid Karzaï, installé par Washington et soutenu militairement par Ottawa, est un grave problème.

Le véritable caractère de la mission des forces de l’OTAN en Afghanistan est illustré par leur indifférence aux pertes de vies humaines dans la population. Selon Human Rights Watch, 4400 Afghans auraient été tués en 2006 et parmi ceux-ci on croit que plus du quart seraient des civils. En tout, depuis octobre 2001, entre 15 000 et 18 000 Afghans auraient été tués.

Incapable de rallier l’opinion publique à sa politique militariste au moyen d’arguments rationnels, l’élite dirigeante se tourne vers les méthodes de la démagogie en cherchant à faire passer toute opposition à l’intervention militaire du Canada en Afghanistan comme une attaque sur les soldats canadiens.

Tous les partis politiques à Ottawa, y compris ceux dits de l’« opposition », encouragent pleinement ce climat d’intimidation que cherche à instaurer l’élite dirigeante. Le chef du Parti libéral, Stéphane Dion, s’est rendu au défilé de Québec au nom de la formule trompeuse du « soutien aux troupes », une façon détournée de signifier son soutien aux objectifs géopolitiques que poursuit le Canada dans la région d’Asie centrale, riche en gaz naturel.

Si les chefs du NPD et du Bloc Québécois n’étaient pas présents au défilé de Québec jugé trop ouvertement pro-guerre, ils avaient pu exprimer précédemment leur appui à l’intervention afghane lors d’une session à la Chambre des communes où les chefs des quatre partis avaient témoigné leur respect « aux soldats » qui se préparaient à quitter pour l’Afghanistan. Le chef du NPD Jack Layton a déclaré que l’on « doit tout le temps saluer nos troupes. On doit respecter tous ceux et celles qui portent les couleurs du Canada dans les situations de combat. »

Sur la question du retrait des troupes, le chef du Bloc québécois Gilles Duceppe a déclaré que « Demander un retrait immédiat est irresponsable ». Défendant les opérations de contre-insurrection que mènent les troupes canadiennes en Afghanistan, Duceppe a dit : « quand on nous dit qu’il ne faut jamais utiliser les moyens offensifs de la guerre, je pense que c’est une erreur […] Ça prend des actions musclées à un certain moment. »

Ce que la classe dirigeante tente de faire par le biais de sa campagne de « soutien aux troupes » est de rendre illégitime toute forme d’opposition à son intervention néocoloniale en Afghanistan, en présentant cyniquement les opposants à la guerre comme des gens qui s’en prennent aux jeunes soldats. Le plus important quotidien montréalais des affaires, La Presse, est allé jusqu’à qualifier d’« assaut de pacifistes guerriers » la manifestation anti-guerre qui avait été organisée en même temps que le défilé militaire de juin dernier à Québec.

Sous le prétexte hypocrite de « soutenir nos troupes », les élites dirigeantes du Canada et du Québec n’ont aucun scrupule à envoyer des jeunes en Afghanistan tuer et se faire tuer pour défendre les intérêts prédateurs de l’impérialisme canadien et en faire « un chef de file sur la scène internationale », selon l’expression utilisée par le premier ministre Harper dans son message du 1er juillet à l’occasion de la fête nationale du Canada. 

WSWS, 3juillet 2007.



Articles Par : Eric Marquis

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