L’odyssée de la vie : Miracle ou hasard ?

Les deux premières parties de cette discussion :
1. A quoi servent les religions : Peut-on vivre sans Dieu ?
2. La création de l’univers : Ce que disent les religions, ce que propose la science

 

«L’Homme sait enfin qu’il est seul dans l’immensité indifférente de l’Univers d’où il a émergé par hasard. Non plus que son destin, son devoir n’est écrit nulle part. À lui de choisir entre le Royaume et les ténèbres.» Jacques Monod (Le hasard et la nécessité).

« Le Hasard c’est quand Dieu se fait discret »

Dans cette troisième partie de notre discussion, nous allons nous intéresser à l’avènement de l’homme sur Terre. Serait il comme l’affirme Darwin [ qui mit à mal le dogme de l’Eglise] le fruit du hasard dans une évolution chaotique sélectionnant au fil du temps, les variétés robustes et laissant dépérir les faibles et les ratés, ou y-a-il comme le préconisent les religions derrière tout cela un chef d’orchestre qui donne le «la». Nous allons d’abord dérouler le récit scientifique de l’efflorescence de la vie sur terre, jusqu’à l’avènement de l’homme.

Rappelons que le big bang a eu lieu il y a de 13 à 15 milliards d’années [à comparer avec les civilisations humaines depuis 10.000 ans !!!]… Entre 5,5 et 10,5 milliards d’années, notre soleil est formé, ainsi que les planètes du système solaire dont la Terre. De 6,2 à 11,2 milliards d’années, Il y a émergence de la vie. Pourquoi? Les premières cellules commencent à peupler la terre. Les premiers vertébrés apparaissent pendant l’Ordovicien. Suivent les dinosaures, les reptiles, les mammifères et les plantes. Il y a environ 7.000.000 d’années, des hominidés commencent à peupler l’Afrique. Homo sapiens se manifeste il y a plus de 100.000 ans. Le langage, la culture et les sociétés humaines sont créés. Dans les Ecritures, en reprenant ces textes, l’archevêque James Ussher parvint à établir en une vie de labeur, en 1654, que la terre avait été créée le 26 octobre 4004 avant Jésus-Christ à 9 heures du matin… Rappelons que le cosmos tout entier repose sur un petit nombre de constantes, inférieures à 15. S’il y avait eu la modification d’une seule de ses constantes et le monde tel que nous le connaissons n’aurait pas pu se constituer. Dès lors, sans hydrogène, plus de combinaison possible avec l’oxygène pour produire l’eau indispensable à la naissance de la vie.

Théories et fois

Nous sommes donc des poussières d’étoiles, environnées de centaines de milliards de milliards de galaxies… certainement que la vie est aussi ailleurs…Comment tout cela s’est déclenché. Bien avant Darwin, le savant Ibn Khaldoun (1332-1446) parle de l’évolution dans le cadre voulue par Dieu, contrairement à Darwin qui invoque le hasard et le temps. Sommes-nous là au sein de cet Univers, qu’il convient d’accepter sans plus? Ou bien qu’il existe un principe qui a permis que l’Homme puisse apparaître et être en harmonie totale avec le cosmos tout entier? Cette constatation et cette conclusion ont donné naissance à ce fameux «principe anthropique» qui indique que : soit un Créateur habile [un Bricoleur de génie pour reprendre la métaphore de François Jacob, Prix Nobel de biologie] a bien planifié notre émergence, soit que nous sommes dans l’univers parmi des milliards de milliards d’univers tous différents, tous stériles sauf le nôtre. Pourquoi? Le fait qu’il existe un «ticket gagnant» parmi les milliards de tickets non gagnants doit nous faire réfléchir Pourquoi?

On parle de principe anthropique nom donné à l’ensemble des considérations qui visent à évaluer les conséquences de l’existence de l’humanité sur la nature des lois de la physique qui permettent à la vie d’apparaître. Ce principe énonce que le nombre de coïncidences entre les différentes constantes fondamentales nécessaires à l’apparition de la vie est tel qu’il ne saurait être le seul fruit du hasard, et donc que celle-ci pourrait constituer une finalité de l’évolution cosmique. La nature de cette dernière formulation est davantage métaphysique que scientifique. Le Dessein Intelligent (Intelligent Design) proposé aux Etats-Unis est la croyance selon laquelle certaines observations de l’univers du vivant sont mieux expliquées par une cause intelligente que par des processus aléatoires tels que la sélection naturelle proposée par Darwin.

Il est vrai que la vie jaillit partout dès que les conditions le permettent…Elle essaie, transforme, mute, s’adapte, ou disparaît au profit d’autres formes de vies. S’attaquer à un problème comme l’origine de la Vie, c’est trop souvent tenter de concilier science, religion, mythes et croyances de toutes sortes, un exercice pour le moins périlleux. Pour l’histoire, pendant des siècles, la seule théorie qui soit restée généralement admise, est la théorie de la génération spontanée. Un savant italien, l’abbé Spallanzani, fait des expériences qui semblent montrer que lorsqu’on stérilise bien le système, il n’y a pas de génération spontanée. Après les travaux de Pasteur et de Darwin, il devenait inévitable que la pensée rationaliste tente d’étendre à la matière inerte les concepts de l’évolution. Il était de plus en plus difficile de concevoir la genèse des êtres vivants en dehors du développement évolutif de la matière. Alexandre Oparine (1894-1980), a développé ses idées sur l’évolution de la matière inanimée vers la matière vivante. Pour lui, il faut sortir du cercle vicieux qui dit que seule la vie peut produire la vie. Et il faut aller chercher l’origine de la vie à partir de la formation de la Terre et des éléments chimiques C, H, O, N dans un environnement donné. Il a fallu attendre le milieu des années 1950 pour que Stanley Miller, à l’université de Chicago, reconstitue en laboratoire les conditions postulées par Oparine et Haldane pour l’apparition de la vie, tout au moins de la fabrication des molécules de la vie. En soumettant ces éléments (atmosphère primitive) et en les bombardant de décharges électriques, il trouve des molécules organiques : les premières briques de la vie.

On constate de plus que les molécules organiques de départ (ARN et ADN) ne peuvent avoir lieu sans support. L’assemblage de petites molécules (comme les acides aminés) en macromolécules (comme les protéines) nécessite l’élimination de molécules d’eau. Il est possible de faire appel à des surfaces minérales, comme les micas, les argiles qui se trouvent très abondamment sur Terre et sont constituées d’un empilement de couches fines. Entre les différentes couches de l’argile peuvent se glisser certaines petites molécules organiques, ce qui permet une adsorption importante. L’argile est aussi un catalyseur très efficace et aurait donc pu permettre la polymérisation des acides aminés et/ou des acides nucléiques. C’est l’avis de Cairns-Smith.(1)

En 2007, Helen Hansma, de l’université de Santa Barbara, proposait que l’apparition des premières cellules vivantes avait eu lieu entre des feuilles de mica. Elle vient de publier un article de fond sur le sujet dans le numéro de septembre 2010 du Journal of Theoretical Biology. Elle observe un détail intrigant dans plusieurs échantillons qu’elle avait collectés dans une mine du Connecticut. La surface de certains des feuillets de mica était couverte de molécules organiques. Elle s’est alors souvenue que l’ARN et le mica, tout comme beaucoup de protéines et de lipides, possèdent des charges négatives. Or, les groupes phosphates de l’ARN sont espacés d’un demi-nanomètre, exactement la distance séparant les charges négatives sur le mica. Mieux, les feuillets de mica sont riches en potassium avec une concentration très similaire à celle de nos cellules.(2) Dans le Coran, et sans y voir du « concordisme », il est fait mention de l’argile. C’est la rencontre d’une réalité pré-humaine (la glaise) et d’une insufflation divine « C’est Lui le Connaisseur [des mondes] inconnus et visibles, le Puissant, le Miséricordieux, qui a bien fait tout ce qu’Il a créé. Et Il a commencé la création de l’homme à partir de l’argile ».(Sourate 32 La prosternation versets 6, 7)

Cependant, les formes de vie sont complexes. Pendant longtemps on ne pensait pas que la vie ne peut émerger que de molécules organiques, or dans les sources hydrothermales découvertes en 1977 à 2600 mètres de profondeur, on y a trouvé la vie où on la croyait impossible. A des pH très acides, sans oxygène, voire dans des fumerolles de soufre ! Voilà pour l’état de l’apparition de la vie. Il faut aussi mentionner les tentatives récentes de créer réellement la vie en laboratoire ; c’est ce que prétend un biologiste américain Craig Venter connu pour avoir travaillé sur le séquençage du génome humain.

Comme l’écrit Dorothée Benoit Browaeys : «Un demi-siècle après la découverte de l’ADN, des chercheurs en biologie s’estiment mûrs pour franchir le cap de la création d’organismes vivants artificiels. Ils ont décidé d’appliquer à la génétique les méthodes des ingénieurs en informatique de la Silicon Valley. L’annonce, faite en mai dernier par le chercheur américain Craig Venter, de la fabrication d’une bactérie au génome artificiel peut laisser penser que l’on s’en approche.» Déjà, la biologie de synthèse est un grand marché, où l’on trouve de nombreuses «pièces» permettant de construire des virus, des bactéries ou des levures. Voici désormais la vague des organismes génétiquement fabriqués. La loi de bioéthique votée en 1994 interdisait toute exploitation d’un embryon humain à des fins de recherche ; plus de 6 ans plus tard, l’évolution technique est telle que le clonage, la congélation des embryons, la maîtrise du «destin» des tissus…sont des outils prisés pour de nouvelles thérapeutiques : injection des cellules de foetus dans des cerveaux de malades parkinsoniens, conception de clones-réservoirs de tissus….Aussi, les perspectives de la médecine régénératrice posent de multiples questions. Va-t-on créer des embryons humains comme objets thérapeutiques? Est-ce légitime? Comment obtenir assez d’ovules et empêcher leur exploitation commerciale? Comment cadrer ces usages? Le génie génétique transforme les biologistes en «ingénieurs du vivant» capables de revendiquer une paternité sur leurs créatures.(3)

Introduire un génome artificiel dans une bactérie pour en prendre les commandes, en réorienter le destin, en modifier à jamais la descendance. C’est l’exploit réalisé par le généticien américain Craig Venter et son équipe. Dans la version électronique de la revue Science, du 21 mai, Venter et son équipe présentent la dernière étape en date de cette quête d’une cellule «synthétique».

« Nous parlons de cellule synthétique parce qu’elle est totalement dérivée d’un chromosome synthétique. En fait, seul le génome est synthétique, copie quasi servile de celui de la bactérie M.mycoides. Et il a fallu, pour qu’il s’exprime, l’insérer dans une bactérie « naturelle » dont le propre ADN avait été extirpé. C’est un peu comme le jour où Gutenberg a imprimé sa première Bible. Certes, il avait emprunté la presse aux Romains et les caractères en relief aux Chinois, mais l’assemblage de ces techniques a changé l’histoire.» (4)

En clair, les scientifiques du Craig Venter Institute viennent de mettre au point une bactérie dont le patrimoine héréditaire a été construit par synthèse informatique et chimique, et qui est aujourd’hui capable de se diviser pour se reproduire. Certains scientifiques ont déjà fait remarquer que Venter n’avait pas proprement « inventé » une nouvelle espèce bactérienne mais avait, plus exactement, « copié » le génome d’une bactérie existante. Il est vrai que le génome mis au point par le biologiste américain est la copie d’un génome existant, celui de la bactérie mycoplasme mycoïde, mais avec des séquences d’ADN supplémentaires pour l’en distinguer. Les chercheurs ont transplanté ce génome synthétique dans une autre bactérie, la microplasme capricolum, réussissant à activer ses cellules. On peut créer par synthèse la molécule ADN et cette création synthétique peut, dans un environnement adéquat, entrer dans le cycle de la vie. Cela pose, on l’aura compris, des problèmes éthiques. On se souvient que la bactérie brevetée par Chakrabarty au début des années 80, a donné lieu à une polémique sur l’éthique concernant le marchandage du vivant. Coup de théâtre, la Cour suprême des Etats-Unis donnait raison à Chakrabarty. Pour elle, la bactérie n’était pas un produit de la nature, elle était un produit du chercheur. La boîte de Pandore est ouverte. Dans le cas des travaux de Craig Venter, Pat Mooney, directeur de l’ETC Group, organisme international privé de surveillance des technologies basé au Canada, qualifie de «boîte de Pandore» ses travaux, estimant que « la biologie synthétique est un champ d’activité à haut risque mal compris motivé par la quête du profit ».

La science et la religion

Dans tout cela est-ce que nous avons créé la vie? Craig Venter s’est servi d’une bactérie vivante pour la modifier. Peut-on partir de l’inanimé pour créer la vie? Les religions donnent l’impression de perdre des batailles maintenant que les «miracles», il n’y a pas encore si longtemps, sortent des laboratoires [Une clinique californienne pour 18.000 dollars promet le choix d’un garçon ou d’une fille avec les yeux assortis pour le nouveau-né.]. Ce sont des conquêtes pour lesquelles les religions n’ont pas de réponse probante sauf celle de dire que le clonage part du vivant pour créer un vivant. La biologie a puissamment contribué à ce que Max Weber appelait le « désenchantement du monde ».

Notre orgueil nous fait oublier notre fragilité : un virus ou une bactérie peut exterminer l’espèce humaine ! Un séisme, une petite secousse de l’écorce terrestre un tsunami, des inondations, et voilà que des milliers de personnes meurent ! Où donc est la place de Dieu dans l’évolution? Peut-on exclure en toute objectivité l’hypothèse d’une étincelle initiale qui aurait permis l’apparition de molécules primitives capables de se répliquer, d’interagir et peu à peu de s’organiser pour former les premiers êtres vivants. La notion de creatio continuae (création continue) formulée par les religions retrouve une forme de jeunesse. Vu de haut, le film de la vie [le ruisseau initial de la vie qui se change en torrent] ressemble à une symphonie fantastique. Le fantasme d’uniformisation de la race par la génétique ; c’est le refus de la diversité dans l’espèce : au lieu d’en laisser la maîtrise à un Créateur plein de fantaisie, des fous s’efforcent de fabriquer en série des produits vivants – y compris humains – plus performants.

On peine à imaginer les conséquences ultimes d’un tel phénomène. «A vouloir supprimer la différence qui existe entre Dieu et l’homme, écrit l’abbé Pierre. […] Le véritable péché n’est pas le fruit de la concupiscence charnelle comme on l’a stupidement répété, c’est le péché d’orgueil.» (5)

Il serait vain d’opposer la Science à la religion. Pour Stephane Jay Could, l’une s’occupe de jugements de faits, l’autre de jugements de valeur. Etre scientifique ne m’empêche pas la croyance en un Être suprême. Kerkegaard disait à juste titre : « La foi, n’a pas besoin de preuve, elle doit même la regarder comme son ennemi. »(6)

Notes/Références

1.Cairns- Smith Seven clues to the origin of life en 1985 L’énigme de la vie, 1990.

2.Laurent Sacco. La vie a-t-elle commencé dans le mica? Futura-Science Le 22 août 2010

3.Dorothée Benoit Browaeys : Et maintenant, fabriquer de la matière vivante Le Monde diplomatique Août 2010

4.Création d’une cellule «synthétique» Le Monde 21.05.10

5.Abbé Pierre : Mémoire d’un croyant. Editions Fayard. 1997.

6.Chems Eddine Chitour : Science, foi et désenchantement du monde Rééd.OPU Alger 2008.

Pr Chems Eddine Chitour : Ecole Polytechnique Alger enp-edu.dz



Articles Par : Chems Eddine Chitour

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