La Banque centrale russe décrète le flottement du rouble

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Lundi 10 novembre, Moscou a annoncé qu’elle faisait flotter le taux de change du rouble. La présidente de la Banque Centrale Russe, Elvira Nabiullina a déclaré que la banque répondra à la situation financière chaque fois qu’il sera nécessaire « dans une mesure suffisante », en intervenant sur les marchés de change.

Ses propos ont été repris par le président russe Vladimir Poutine, qui a déclaré à l’ouverture du sommet de la Coopération économique Asie-Pacifique (APEC) à Beijing que la Banque centrale réagirait vigoureusement aux fluctuations des taux de change. Comme mesure supplémentaire pour soutenir la devise russe, la Banque centrale a temporairement limité la capacité des banques commerciales de s’approvisionner en roubles nouvellement émis.

À la suite de ces actions, la monnaie russe a augmenté lundi de 3,7 %. Par rapport à vendredi dernier, seulement 45 roubles, au lieu de 48,5, étaient nécessaires pour acheter un dollar américain. La valeur du rouble a augmenté face à l’euro d’environ 3,0 %. Dans le moyen terme, cependant, la décision de laisser flotter le rouble menace de plonger la monnaie russe et l’ensemble de l’économie russe encore plus dans la crise.

Les conséquences du conflit en Ukraine ont conduit la Banque centrale de Russie d’envisager une fuite plus importante de capitaux que prévue précédemment. La Banque a corrigé sa prévision de fuite des capitaux pour 2014 vers le haut, de 90 milliards à 128 milliards de dollars (100 milliards d’€). Elle attend une sortie de capitaux allant jusqu’à 99 milliards l’an prochain et 60 milliards de dollars en 2016.

Les perspectives économiques sont également sombres parce que l’économie stagnerait en 2015. Dans le même temps, les économistes estiment que l’objectif du gouvernement de 4% d’inflation ne sera pas atteint avant 2017. Le taux d’inflation actuel est de 6,5 pour cent.

Au cours des dernières semaines, le rouble est entré dans une spirale sans précédent, plongeant jour après jour à de nouveaux bas historiques face au dollar américain et face à l’euro. Le vendredi 7 novembre, il était à 60 roubles pour un euro et 48 pour un dollar américain.

Au fur et à mesure que la crise en Ukraine a progressé, la monnaie russe a continué de baisser et a perdu plus d’un tiers de sa valeur par rapport au dollar. Au début de l’année, le taux de change était resté à 32 roubles pour un dollar américain. En Octobre, le rouble s’est déprécié particulièrement vite, passant de 39,4 à 43,4 roubles pour un dollar américain. Après les élections en Ukraine orientale au début de Novembre, il a encore chuté de 11%.

Il y a plusieurs facteurs à l’origine de l’énorme dévaluation du rouble. Les principales causes sont les sanctions imposées par l’Occident en liaison avec les événements en Ukraine, la baisse du prix du pétrole et des attaques spéculatives contre le rouble, qui se sont multipliées depuis les élections ukrainiennes. Les attaques contre le rouble font partie d’une guerre économique menée par les Etats-Unis et l’Union européenne (UE) contre la Russie en vue de forcer le régime de Poutine à se mettre à genoux et effectuer un changement de gouvernement.

Les preuves suggèrent que la dévaluation de la monnaie russe est en bonne partie le résultat d’attaques délibérées sur l’économie russe, visant à pousser le pays dans la récession.

En raison des sanctions des États-Unis et de l’UE, de nombreuses grandes sociétés russes ne peuvent plus avoir accès aux capitaux étrangers et ont dû renoncer à des projets lucratifs. Des licenciements massifs ont déjà commencé dans le secteur industriel, et le revenu réel a diminué officiellement en Octobre pour la première fois depuis 2008. En raison de la dévaluation de la monnaie, l’inflation devrait atteindre au moins 8 pour cent cette année. Des articles de presse suggèrent que, compte tenu de l’impact économique des sanctions occidentales, le Kremlin craint un épuisement rapide des réserves de change, autour de quelque 450 milliards de dollars.

Un autre facteur important est le prix du pétrole qui fournit des revenus pour une grande partie du budget de l’Etat russe. Depuis l’été, les prix du pétrole ont chuté de 100 à 80 dollars le baril. Le budget pour 2014 et 2015 se fonde sur un prix du pétrole de 97 $ ou 96 $ le baril. Les raisons de la chute des prix du pétrole ne sont pas tout à fait claires. Poutine fait porter la responsabilité tant de la baisse des prix du pétrole que de la baisse de la monnaie russe à la spéculation financière persistante et à la manipulation politique.

Le magazine Forbes a récemment publié un commentaire belliqueux interprétant la dévaluation du rouble comme partie d’une guerre entre spéculateurs sur les marchés financiers et Banque centrale russe, et conclut en ces mots : « D’ailleurs, la BCR (Banque centrale de Russie) pourrait encore être battue par une combinaison de chute des prix du pétrole et de hausse de l’inflation. La possibilité d’un effondrement économique du pays est réelle et la BCR ne peut pas y faire grand chose : si elle augmente les taux pour étouffer l’inflation, elle affaiblit davantage l’économie ; mais si elle réduit les taux pour stimuler la croissance elle risque une spirale inflationniste ».

Un rapport du magazine allemand Zeit Online sur la guerre financière de Washington contre la Russie, suggère que l’effondrement du rouble et le déclin sur les marchés d’actions russes sont au moins en partie attribuables à des attaques ciblées du gouvernement américain. L’article se concentre sur Daniel L. Glaser, un représentant du département des « opérations anti-terroristes » du Trésor américain. Depuis 2001, Glaser a joué un rôle de premier plan dans l’élaboration de mesures de guerre économique contre l’Iran et plusieurs autres pays. Commentant la dévaluation du rouble et le déclin du prix des actions en Russie, il a dit à Zeit : « Jusqu’à présent, on n’a jamais rien fait à cette échelle. Mais nous apprenons à le faire à chaque mesure que nous prenons ».

Zeit Online poursuit ainsi sa description des méthodes utilisées par le Trésor américain: « Glaser avait soigneusement examiné comment utiliser son arme contre la Russie. L’économie russe doit être affaiblie mais pas ruinée. Les puissants oligarques en particulier devaient être ciblés dans l’espoir qu’ils se distancient de Poutine. Les comptes ont été gelés et l’accès des entreprises russes au marché international des capitaux a été obstrué, mais les banques russes continuent de fonctionner dans le système bancaire international SWIFT. Glaser n’a pas encore pris la dernière étape incendiaire, peut-être parce qu’il y a des signes que les sanctions seraient en train de forcer la Russie à capituler. »

SWIFT (Society for Worldwide Interbank Financial Telecommunication) est un système international qui facilite les transactions financières des banques. Il est contrôlé par le Trésor américain et relie environ 10.500 banques dans plus de 200 pays. Privés d’accès à SWIFT, les marchés financiers de pays entiers peuvent être ruinés.

De nombreux commentateurs occidentaux comparent la situation actuelle à la crise de 1998, au cours de laquelle l’économie russe s’est presque complètement effondrée. Le mois dernier, le Moscow Times a écrit: « Jamais, depuis la crise financière d’août 1998 la Russie n’a fait face à la possibilité très réelle d’une crise monétaire qui pourrait sérieusement menacer la stabilité fondamentale du système économique et politique du pays. »

Mais à la différence d’il y a seize ans, la Russie d’aujourd’hui est également confronté à une menace militaire directe. Dans le sillage du coup d’Etat en Ukraine orchestré par l’Allemagne et les Etats-Unis, l’OTAN a systématiquement renforcé ses forces en Europe de l’Est et encerclé la Russie.

Le régime de Poutine est incapable de s’opposer à l’agression de l’Occident de quelque manière progressive que se soit. Émergeant de la dissolution de la bureaucratie de l’Union soviétique et de la restauration du capitalisme, il réagit à l’aggravation de la crise en augmentant de plus en plus les attaques contre la classe ouvrière. Le prochain budget a prévu d’inclure des coupes sociales beaucoup plus profondes que prévues précédemment. Les dernières mesures de la Banque centrale russe sont conformes aux intérêts du capital financier international.

Focus, magazine d’information et voix de l’impérialisme allemand, a salué lundi la perspective que « Si la banque centrale parvenait à faire baisser le rouble jusqu’à un certain niveau et à le garder stable à ce niveau, le pays deviendrait à nouveau attractif pour les investisseurs étrangers. Il pourrait alors être intéressant de construire des usines en Russie et profiter de l’empire tsariste, qui serait effectivement un pays à bas salaires. Si tel était le cas, le flottement du rouble s’avérerait être une initiative intelligente. »

Clara Weiss

Article original, WSWS, paru le 13 novembre 2014



Articles Par : Clara Weiss

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