La campagne de diabolisation du Hezbollah ne fait que commencer

Comment préparer le monde occidental à un nouveau round israélo-américain contre le Hezbollah et le Liban ? En intoxicant l’opinion publique, bien sûr.

Depuis qu’en 2003 le Sous-secrétaire d’Etat américain Richard Armitage – spécialiste des opérations secrètes durant la guerre du Vietnam 1 – a soupçonné le Hezbollah d’être « l’équipe-A du terrorisme » tandis qu’Al-Qaïda serait « l’équipe-B » 2, puis que Colin Powell s’est déclaré préoccupé « au sujet de la poursuite des activités terroristes du Hezbollah dans la région et dans le reste du monde 3, et fait expulser une équipe de la chaîne de télévision Al Manar par des agents de sécurité américains de sa conférence presse à Damas, le Hezbollah et Hassan Nasrallah sont devenus les ennemis prioritaires des Etats-Unis.

Ils sont diabolisés, comme l’ont été avant eux Mohamed Mossadegh, Gamal Abdel Nasser, Mouamar Khadafi, l’Ayatollah Khomeiny, Yasser Arafat et Saddam Hussein, en fait comme tous ceux qui contrarient les projets occidentaux au Proche-Orient. La répétition de leurs noms dans les médias – et maintenant sur Internet -associée à des actes qui suscitent une réaction de rejet, provoque une connotation négative dont il est difficile de se débarrasser. Le procédé est vieux comme le monde.

DC 10 d’UTA, attentats anti-juifs et « Narco Djihad »

Par exemple, un site monarchiste iranien relance la thèse du journaliste d’investigation Pierre Péan, qui affirmait dans un livre 4 que la Libye n’est pas responsable de l’attentat contre le DC10 d’UTA le 19 septembre 1989 au-dessus du désert du Ténéré. Selon lui, le juge français Jean-Louis Bruguière, spécialisé dans l’antiterrorisme, aurait reçu l’ordre des autorités françaises d’accuser la Libye, alors que le coupable était l’Iran, via le Front Populaire de Libération de la Palestine – Commandement général dirigé par Ahmed Djebril, et… le Hezbollah.

Le Hezbollah est également accusé– sans preuve – d’être l’auteur des attentats contre l’ambassade d’Israël à Buenos Aires en 1992 – 29 morts et 200 blessés – et contre l’Association mutualiste israélo-argentine en 1994 qui a fait 85 morts et 300 blessés. Le 2 septembre 2005, faute de preuves et après un procès digne d’un roman d’espionnage, la justice argentine avait conclu au non-lieu. Elle a remis les accusés en liberté, puis la Cour suprême a blanchi le Hezbollah des accusations portées contre lui. Depuis, on parle de la piste du Mossad. L’opération aurait eu pour but de pousser la communauté juive du pays à émigrer en Israël. Le procédé a fait ses preuves avec succès en Irak dans les années 50, comme l’a révélé dans ses mémoires Moshe Sharett, ancien Premier ministre israélien 5.

Malgré la décision de la justice argentine, les Etats-Unis et Israël ont relancé dernièrement les accusations portées contre le Hezbollah. Ils s’appuient notamment sur le témoignage d’un certain Abolghasem Mesbahi, agent secret iranien retourné par la CIA, qui affirmait en 2004 que l’ancien président péroniste argentin Carlos Menen – d’origine syrienne, cela tombe bien – a contraint les magistrats argentins à écarter la piste libanaise. En échange, le « fils de Khomeiny » lui aurait remis dix millions de dollars.

L’American Jewish Comittee s’apprête à lancer une campagne publicitaire sur CNN et Fox News pour convaincre l’opinion publique américaine que l’organisation libanaise – soutenue évidement par l’Iran – pratique le terrorisme international, qu’elle menace les Etats-Unis et que les attentats commis en Argentine le prouvent 6.

Pour diaboliser un peu plus le Hezbollah en Amérique latine, où vivent beaucoup d’émigrés libanais, on rappelle opportunément – et là aussi sans preuve – que la police équatorienne a démantelé en juin 2006, un réseau de trafiquants de cocaïne opérant en Equateur, en Colombie, au Brésil et aux Etats-Unis qui versait 70% de ses recettes… au Hezbollah. L’accusation de « Narco Djihad » remonte à Haïm Messing – directeur de l’Autorité israélienne contre la drogue – qui a déclaré en 2003 devant une commission de l’ONU, que le Hezbollah occupe « une place de premier plan dans la culture et le trafic de drogues » 7.

Complots terroristes à Londres, Coblence, Dortmund…

Avec l’agression israélienne contre le Liban, la campagne d’intoxication contre le Hezbollah s’est intensifiée : le nom de l’organisation islamique apparaît, sans raison, dans le compte rendu des enquêtes sur le « complot terroriste » découvert en août en Grande-Bretagne et les attentats ferroviaires ratés en Allemagne .

Dans la nuit du 9 au 10 août 2006, pendant que Tony Blair passait ses vacances aux Iles Bermudes dans la propriété de l’ancien chanteur de rock Cliff Richard, Scotland Yard et le MI 5 (Contre espionnage) auraient déjoué un « complot terroriste d’ampleur inconcevable, les attentats les plus meurtriers de l’histoire planétaire » : rien moins que l’explosion en vol de trois avions britanniques à destination des Etats-Unis toutes les heures. Réaction de Graig Murray, ancien ambassadeur du Royaume uni : «Il s’agit davantage de propagande que d’un complot terroriste » 8.

L’opinion publique britannique était pour le moins septique, et l’est encore. Tout le monde avait encore en mémoire l’opération antiterroriste du 2 juin 2006 à Forest Gate, au domicile d’une famille bangladaise. Les médias avaient été informés qu’on allait découvrir une fabrique de gilets explosifs chimiques, au gaz sarin. Les suspects n’avaient rien à voir avec ce genre d’accusation délirante. Après cet échec piteux, et une nouvelle bavure policière, la « guerre contre le terrorisme » tournait au ridicule et le ministre de l’Intérieur John Reid avait besoin de se refaire une santé…

Sur la foi de renseignements fournis par l’ISI (Service secret pakistanais), une vingtaine de personnes d’origine pakistanaises a été arrêtée. Puis, la presse du groupe Springer révèle que c’est en fait Israël qui est à l’origine de l’information. Lors d’une opération contre… le Hezbollah, le 2 août à Baalbek, le Mossad aurait trouvé sur le disque dur d’un ordinateur de l’hôpital Dar el Hekmat l’organigramme de plus de 20 cellules terroristes implantées en Grande-Bretagne. La nouvelle, peu crédible, avait indirectement pour but de faire oublier que les Israéliens avaient tué 17 civils, dont 8 enfants et s’étaient ridiculisé en kidnappant un certain Hassan Nasrallah, homonyme du chef du Hezbollah, mais n’ayant rien à voir avec cette organisation !

Le 6 août, après avoir pris connaissance d’une dépêche urgente en provenance d’Islamabad annonçant qu’Al Qaïda avait donné l’ordre à ses cellules de se préparer à l’action, le Mossad aurait prévenu le MI6 britannique (Intelligence Service) de sa découverte. Le groupe Springer – décidément bien renseigné – croit savoir que la date fixée pour les attentats était le 22 août. Pourquoi ? Parce que c’est le jour où les musulmans fêtent l’ascension au Paradis du Prophète Mohammad sur le dos de sa jument ailée Bourak. Interrogé par Der Spiegel, l’orientaliste pro israélien Bernard Lewis trouve que c’est « plausible », Il s’agirait alors, dit-il, d’une « attaque apocalyptique dont le but serait la destruction d’Israël voire, s’il le faut, du monde entier » 9.

Autres tentatives déjouées d’attentats : ceux à la valise piégée avec des bonbonnes de gaz trouvées le 31 août 2006 dans deux trains régionaux à Coblence et Dortmund. Deux, puis trois Libanais soupçonnés d’ « appartenance à une organisation terroriste » ont été arrêtés. Le site Internet Spiegel Online – encore le groupe Springer -annonce que les renseignements intérieurs ont découvert à Kiel, dans la chambre d’un foyer d’étudiants où résidait un des suspects, un poster de la mosquée Imam Ali de Hambourg, lieu de rencontre – comme par hasard – de sympathisants… du Hezbollah.

Assassinat de Rafic Hariri : Georges Malbrunot et la « piste chiite »

La dernière trouvaille pour diaboliser le Hezbollah a été la « révélation » d’un « proche de Raad Hariri » au Figaro 10. Georges Malbrunot, auteur de l’article, nous apprend que le juge Serge Brammertz aurait découvert une « piste chiite » dans l’assassinat de l’ancien Premier ministre libanais. Le Juge Brugnière – déjà cité à propos de l’attentat contre l’avion d’UTA – qui enquête à Beyrouth sur un meurtre lié peut être à cette affaire, aurait été informé qu’un des portables utilisés par les tueurs ou leurs complices était celui « d’un Libanais, évoluant dans la mouvance du Hezbollah et de ses services de renseignement ». Ni le FSI (Forces de sécurité intérieure libanaise), ni le juge Brammertz n’ont l’ombre d’une preuve, mais le mystérieux informateur, ou le journaliste, font comme si c’était le cas. Le Hezbollah, lit-on, « avait la capacité de faire entrer au Liban l’équivalent de 1200 kilos de TNT ». Rafic Hariri « gênait les visées du Hezbollah au Liban et plus largement de l’Iran qui cherche à renforcer l’influence de ses alliés chiites dans le monde arabe… ». Et le journaliste de s’interroger : « Quels sont les liens entre l’individu recherché et les pasdarans, les gardiens de la révolution à Téhéran ? ». Ce sont plutôt les liens entre les inspirateurs de cet article et les services secrets occidentaux qu’il faudrait rechercher. La « piste chiite » révélée à Malbrunot sent la manipulation médiatique à plein nez.

Rafic Hariri avait des ennemis dans toutes les communautés religieuses et classes sociales, à commencer parmi ceux – très nombreux – qu’il avait expropriés et ruinés dans l’illégalité la plus totale. Il avait quitté le pouvoir en octobre 2004 en laissant une dette publique colossale : plus de 30 milliards de dollars, le double du PIB du pays. Hassan Nasrallah et lui n’avaient évidement rien de commun dans les domaines économiques et sociaux, mais on n’assassine pas pour des différents politiques de cette nature.

En revanche, Rafic Hariri s’était opposé à l’agression contre l’Irak et on sait qu’il était contre l’inscription du nom du Hezbollah sur la liste des organisations terroristes de l’Union européenne. Il avait d’ailleurs eu des entretiens à ce sujet avec Hassan Nasrallah juste avant son assassinat. Au grand dam des Américains et des Israéliens, Hariri ne voulait entendre parler ni de la construction d’une base US dans le nord du Liban, ni de partition du pays 11.

Les enquêtes des juges Detlev Mehlis et Serge Brammertz se sont bien gardées de répondre à ces questions : Rafic Hariri a-t-il participé à la tentative de déstabilisation de Bachar Al Assad fomentée par l’ancien Vice-premier ministre Abdulhalim Khaddam ? Quel a été le rôle joué par Rifaat Al-Assad dans son assassinat? La Syrie et le Liban rêvés par Jacques Chirac et Rafic Hariri compromettaient-ils les projets de partition et de remodelage de la région voulus par les Etats-Unis et Israël ?

Les attentats ratés du mois d’août 2006 en Grande-Bretagne et en Allemagne ont fait la Une des médias. C’est normal. Ce qui l’est moins, c’est que personne – à quelques exceptions près – n’a mis en doute les versions fabriquées par l’ISI, le MI5, le MI6, ou le BKA allemand. Personne ne s’est demandé pourquoi le nom du Hezbollah apparaît maintenant systématiquement dès qu’il est question de terrorisme. Après l’invasion du Liban et le massacre de Qana, aucun donneur de leçons de démocratie n’a traité Israël d’Etat voyou et le Mossad d’organisation malfaisante et criminelle.

Notes :

1 Il a notamment participé au Vietnam au Programme Phoenix qui fit entre 20 000 et 40 000 victimes.
2 Hezbollah: « A-Team of Terrorists », CBS News – 18/4/03
http://www.cbsnews.com/stories/2003/04/18/60minutes/main550000.shtml
3 Lettre au Premier ministre libanais – Beyrouth, le 3 mai 2003
4 Manipulations africaines, par Pierre Péan, Plon, 2001
5 Journal, par Moshé Sharett, Ed. Maariv, Tel-Aviv 1978. Cet ouvrage, considéré comme trop sulfureux, n’a jamais été traduit en français.
6 « Washington veut réécrire les attentats de Buenos-Aires » par Thierry Meyssan
http://www.voltairenet.org/article141896.html et http://www.voltairenet.org/article143004.html
7 Nations unies – Communiqué de presse AG/SHC/626 du 13/10/03
8 Complot terroriste au Royaume-Uni : que se passe-t-il vraiment ? par Craig Murray
http://www.voltairenet.org/article143102.html
9 Londres 2006 : « Massacre dans des proportions gigantesques »… ou « écran de fumée » ?
http://fr.news.yahoo.com/18082006/326/londres-2006-massacre-dans-des-proportions-gigantesques-ou-ecran-de.html
10 L’ombre du Hezbollah sur l’assassinat de Hariri, par Georges Malbrunot – Le Figaro, 19 /8/06
11 Qui a assassiné Rafic Hariri ? par Gilles Munier (AFI-Flash du 21/2/05)
http://www.oulala.net/Portail/article.php3?id_article=1701&var_recherche=munier



Articles Par : Gilles Munier

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