La Chine fait monter les enchères en mer de Chine du sud

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Les exercices Joint Sea-2016 ont commencé ce lundi. Il s’agit du cinquième exercice naval annuel sino-russe, mettant en vedette les piliers des deux marines en action dans les eaux à l’est de Zhanjiang, dans la province de Guangdong, le QG de la Flotte Nanhai de l’Armée de libération du peuple (PLA).

Considérant que c’est la première fois que l’exercice conjoint se passe en mer de Chine du Sud, les alarmes apocalyptiques des suspects habituels ne pouvaient être plus prévisibles – et complètement rejetées par les dirigeants de Pékin.

L’exercice Joint Sea-2016 intervient juste après une poignée de main tout à fait significative qui a eu lieu la semaine dernière au Laos. Les mains en question ne sont rien moins que celles du premier ministre chinois, Li Keqiang, et du président philippin Rodrigo Duterte, alias The Punisher, vêtu pour l’occasion en complet-costume et cravate tie regalia.

Il y avait de bonnes raisons pour une telle camaraderie. Après tout la Chine et l’ASEAN ont convenu que le cadre d’un code de conduite juridiquement contraignant en mer de Chine du Sud sera en vigueur avant la fin de l’année. Singapour a fait pression vigoureusement pour ce développement majeur. Pékin considère Singapour comme «un partenaire clé pour la coopération dans la région», selon les termes employés par Lia à Xinhua. Le propre secrétaire de presse de The Punisher, Martin Andanar, a résolu la quadrature du cercle : «Notre président [philippin] a également exprimé son approbation de disposer d’un cadre pour un code de conduite.» Le lieu – au Laos – ne pouvait pas être plus stratégiquement approprié pour la Chine. Depuis trois ans maintenant, la Chine est le plus grand investisseur au Laos – principalement dans l’énergie et l’exploitation minière, y compris la construction du Nam Ngiep 1, un projet hydroélectrique de $868 millions. Les autres principaux projets prévus comprennent la zone économique spéciale (ZES) Luang Zone Marsh près de Vientiane pour $1.6 milliards, et – quoi d’autre – un chemin de fer de 472 km entre Kunming dans la province du Yunnan et Vientiane, avec une extension vers la Thaïlande, qui sera achevée en 2021. Ce sera la branche sud-est asiatique des Nouvelles routes de la soie.

Bombarder le Laos avec la rhétorique

Le Laos a été le cadre de la première rencontre face à face entre un haut dirigeant chinois, le Premier ministre Li Keqiang et les dix chefs d’État de l’ASEAN, juste avant le sommet de l’Asie de l’Est − la réunion annuelle de l’ASEAN plus la Chine, la Corée du Sud , le Japon, l’Inde, l’Australie, la Nouvelle-Zélande, les États-Unis et la Russie.

Lors du sommet de l’Asie de l’Est, le président américain Barack Obama, pour sa dernière visite – tout à fait mélancolique – en Asie, à l’endroit où son administration était supposée pivoter, a déclaré que la décision de La Haye au sujet des revendications territoriales de la Chine en mer de Chine méridionale était exécutoire. C’était non seulement faux – mais énoncé par un prix Nobel de la Paix, avec sa liste [hebdomadaire le mardi matin, NdT] de permis de tuer, en visite au Laos des décennies après que la nation a été réduite en cendres par les bombardements de la «nation indispensable», qui dit maintenant avec un visage impassible que tout va bien se passer. Les Asiatiques, pour le moins, n’étaient pas impressionnés.

La raison de la visite d’Obama était effectivement, une fois de plus, de vendre le pivot vers l’Asie, en tandem avec son bras commercial de l’OTAN, le Traité de partenariat trans-pacifique (TPP).

Obama a insisté : «Le TPP est un pilier central du rééquilibrage de l’Amérique et de l’Asie-Pacifique. Le commerce et la croissance qu’il soutient, renforceront les alliances de sécurité entre l’Amérique et ses partenaires régionaux, ajoutant, ne pas aller de l’avant avec le TPP n’aura pas seulement des conséquences économiques, mais remettra en question le leadership de l’Amérique dans cette région vitale.»

Pékin pour sa part privilégie la diplomatie à la rhétorique vide lorsqu’il traite avec une ASEAN en mutation, traversée par une diversité absolue de ses dix pays membres. L’Indonésie et la Thaïlande, par exemple, s’employaient à construire des ponts diplomatiques, mais maintenant Jakarta s’est concentré sur ses affaires intérieures et les politiques de Bangkok sont en transition.

La Maison Blanche comptait sur Manille pour appuyer sa stratégie de confrontation [avec la Chine] car Manille est censé être un rouage essentiel dans la machinerie du pivot vers l’Asie. Pourtant, même quand il en parle au Premier ministre japonais Shinzo Abe, Duterte – le président philippin – souligne que les problèmes de la mer de Chine du Sud doivent être résolus par des moyens pacifiques, et Manille maintiendra le dialogue avec Pékin.

Et puis, pour «célébrer» cette rencontre pan-Asiatique – et en même temps le 68eanniversaire de la fondation de la République populaire démocratique de Corée (RPDC) – Pyongyang a infligé une dose de réalisme à tout le monde en procédant à son cinquième essai nucléaire.

Quittez le TPP, prenez le TGV

La Chine, quant à elle, continue d’accumuler des «faits sur la mer» – avec beaucoup d’actions, sous la forme de patrouilles en mer, en provenance de Sansha, une ville-préfecture mise en place en 2012 pour administrer les îles Spratleys, Paracel Islands et Macclesfield Bank – que les Chinois appellent îles Zongsha.

Ces «faits sur la mer» sont irréversibles, la préfecture de Sansha a fait en sorte que les îles, atolls, récifs, rochers, bancs – quelle que soit la terminologie – tout ce qui se trouve en mer de Chine du Sud soit considéré comme une question de sécurité nationale, politique et stratégique, pour Pékin.

Dans la mesure où la dynamique de l’ASEAN est concernée, la Thaïlande peut conserver le statut de pivot stratégique pour les intérêts américains. Mais maintenant, Washington doit tenir compte de l’équation politique délicate – et extrêmement complexe – qui se profile au sujet de la succession royale, avec la puissance d’une armée thaïlandaise renforcée par une nouvelle dynamique d’élargissement de son commerce et de ses relations politiques avec la Russie et la Chine.

Pourtant, le seul discours émanant de Washington se résume à l’obsession du Pentagone pour une confrontation en mer de Chine méridionale et l’obsession de la Maison Blanche avec son TPP, le bras commercial du pivot.

Kishore Mahbubani, doyen de Lee Kuan Yew, l’École de politique publique à l’Université nationale de Singapour, a été assez intelligent pour proposer un moyen de s’en sortir : et si Washington acceptait une contribution chinoise en termes de technologie ferroviaire à grande vitesse – comme un moyen de relancer l’économie américaine du Pacifique à l’Atlantique ? Ce partenariat sino-américain dans les infrastructures serait, selon Mahbubani, un «accord au paradis». L’American Society of Civil Engineers a estimé un besoin de financement de l’investissement à hauteur de $1.440 milliards aux États-Unis entre 2016 et 2025 – provoquant une énorme traînée sur les entreprises, les exportations et les revenus. La Chine aurait la capacité financière et institutionnelle pour construire cette infrastructure indispensable. Le TPP est une impasse. Peut-être Mahbubani devrait-il envoyer sa proposition à Donald Trump ?

Pepe Escobar

Article original en anglais : China Ups the Game in the South China Sea, Sputnik News, le 12 septembre 2016

Traduit et édité par jj, relu par Cat pour le Saker Francophone

Pepe Escobar est l’auteur de Globalistan : How the Globalized World is Dissolving into Liquid War (Nimble Books, 2007), Red Zone Blues : a snapshot of Baghdad during the surge (Nimble Books, 2007), Obama does Globalistan (Nimble Books, 2009), Empire of Chaos (Nimble Books) et le petit dernier, 2030, traduit en français.



Articles Par : Pepe Escobar

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