La CIA, le Sénat et l’effondrement de la démocratie américaine

La critique extraordinaire de la Central Intelligence Agency faite en public mardi par une personne qui pendant longtemps a trouvé des excuses à tout ce que faisait cette agence – Diane Feinstein, présidente de la Commission du Sénat sur les services de renseignements – est une expression de la crise terminale de la démocratie américaine.

Seules les circonstances les plus difficiles ont pu pousser cette démocrate de Californie à faire une déclaration publique sur la CIA qui « pourrait bien avoir violé le principe de séparation des pouvoirs inclus dans la Constitution américaine, » et sur « le Quatrième amendement, la Loi sur les infractions informatiques, ainsi que l’ordonnance 12333, qui interdisent à la CIA de mener des perquisitions ou des surveillances à l’intérieur du pays. »

Feinstein a de toute évidence été poussée à exprimer ses remontrances au sujet de l’espionnage du Sénat par la CIA parce que la CIA a déposé une plainte au ministère de la Justice contre des membres de sa commission, et peut-être des membres du Sénat, au motif qu’ils auraient utilisé sans autorisation des documents classés. Ce fut la culmination de mois d’hésitations sur un imposant rapport sur les tortures de la CIA préparé par le Comité.

Il y avait un fort contraste entre le comportement de Feinstein, visiblement tendue et apparemment effrayée pendant qu’elle parlait durant près d’une heure au Sénat, et le directeur de la CIA, John Brennan, qui a écarté avec arrogance ses affirmations sur l’inconduite de la CIA lors d’un discours tenu devant un think tank consacré à la politique étrangère quelques heures plus tard et a ensuite gardé un sourire narquois tout au long d’une conférence de presse.

Feinstein fut une partisane sans états d’âmes des opérations illégales et inconstitutionnelles de l’appareil des services de renseignements américains, depuis les assassinats par drones de la CIA jusqu’aux abus commis par le FBI dans le cadre du Patriot Act en passant par l’espionnage systématique par la NSA des communications par téléphone et internet dans le monde entier.

Comme l’a noté le lanceur d’alerte de la NSA, Edward Snowden, Il y a une forte dose d’hypocrisie, « quand un responsable élu ne se soucie pas du tout du fait que les droits de millions de citoyens ordinaires sont violés par nos espions, mais tout à coup c’est un scandale quand un politicien se rends compte que la même chose lui arrive. »

Mais il y a une question plus fondamentale en jeu : la montée des menaces contre les droits démocratiques et les processus constitutionnels qui émane de l’appareil militaro-industriel du gouvernement américain.

Malgré toute la couverture médiatique consacrée aux luttes intestines entre la Maison blanche et le Congrès, ou aux décisions de la Cour suprême, le véritable pouvoir aux États-Unis est entre les mains d’un appareil meurtrier qui ne rend de comptes à personne pour ses violences, ses provocations et son espionnage et qui comprend le Pentagone, la CIA, la NSA, le FBI est une dizaine d’autres agences du même type.

Les diverses commissions du Sénat et de la Chambre des députés qui exercent une « supervision » ne sont que des chambres d’enregistrement pour les opérations de ce vaste appareil secret. Pourtant, le moindre semblant de supervision démocratique est traité comme un affront par les responsables qui contrôlent des armées d’espions et d’assassins. Ils sont prêts à utiliser les mêmes méthodes contre leurs critiques domestiques que celles qu’ils emploient contre les cibles de l’impérialisme américain à l’étranger.

Le président Obama est à la tête de cet appareil, en tant que « commandant en chef » et un porte-parole de la Maison blanche s’est rangé sans équivoque du côté de la CIA contre le Sénat, déclarant que Brennan avait toute la confiance du président.

La carrière de Brennan lui-même est révélatrice – il est passé de la supervision des opérations de torture dans les prisons secrètes de la CIA sous le président George W. Bush, au poste de chef du programme d’assassinats par drones à la Maison blanche sous Obama. Il incarne la continuité des opérations de l’appareil militaro-industriel d’un président à l’autre, d’un parti du grand patronat à l’autre.

Au cours de la décennie passée, les opérations de ce réseau – toujours violentes et anti-démocratiques – sont devenues de plus en plus criminelles. La confrontation actuelle vient de l’un des pires de ces crimes, la création de prisons secrètes de la CIA dans une demi-douzaine de pays, où les gens étaient enlevés de force au cours de la « guerre contre le terrorisme » pour être torturés et interrogés sans limites.

Ces prisons ont été créées à la suite des attentats du 11 septembre 2001, autorisées par le gouvernement Bush-Cheney, justifiées juridiquement par les fameux « torture memos » rédigés par les juristes de l’ère Bush au ministère de la Justice, et gérées par des milliers d’officiers de la CIA, de personnels militaires et autres agents fédéraux. L’une des premières actions d’Obama en entrant en fonction fut de bloquer les poursuites contre toute personne responsable de ces violations systématiques du droit américain ou international, y compris la Convention de Genève.

Comme l’a rappelé Feinstein dans son discours au Sénat, le crime de torture a été suivi du crime d’obstruction à la justice, y compris la destruction délibérée d’enregistrements vidéos au mépris des décisions du Congrès, puis d’années de mutisme pendant que la CIA tentait d’empêcher la rédaction du rapport de la Commission du Sénat sur les services de renseignements puis de bloquer sa publication. Cela a culminé avec l’espionnage sans précédent par la CIA de l’équipe de la Commission qui était censée surveiller ses opérations.

La trajectoire suivie par ce conflit est une mise en garde inquiétante : la criminalité de l’appareil militaire et des services de renseignements se métastase en un assaut ouvert contre les principes constitutionnels, y compris contre des principes aussi fondamentaux que la séparation des pouvoirs.

Ni Feinstein, ni aucun politicien capitaliste à Washington, qu’il soit démocrate ou républicain, n’est capable d’une résistance sérieuse contre l’émergence d’un état policier aux États-Unis. Ce n’est pas simplement dû à leur lâcheté politique et leur vénalité, biens qu’ils en soient pleins.

Ils ne peuvent défendre les droits démocratiques parce que ces droits sont de plus en plus incompatibles avec un système d’exploitation capitaliste caractérisé par une inégalité sociale déchaînée et une crise économique qui s’approfondit. Il est impossible de maintenir même un semblant de démocratie dans une société si profondément polarisée suivant les lignes de classe, où une poignée de milliardaires et de multimillionnaires se gorgent de richesses pendant que la grande majorité de la population est confrontée aux licenciements, aux réductions de salaires et à la destruction des retraites, de la santé et des services publics.

Patrick Martin 

Article original , WSWS, paru le 13 mars 2014



Articles Par : Patrick Martin

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