La fragile hégémonie du dollar : La bourse du pétrole de l’Iran pourrait renverser le dollar

Il y a deux semaines, George Bush était envoyé en mission au Moyen-Orient pour remettre une « tête de cheval ». Nous avons tous en mémoire la scène troublante du film « Le Parrain » de Francis Ford Coppola, où Brassi Lucca va à Hollywood pour convaincre un producteur de film récalcitrant de prendre son neveu Don Corleone dans son prochain film. Le gros producteur est finalement persuadé d’embaucher le jeune acteur lorsqu’il se réveille dans son lit à côté de la tête coupée de son pur-sang tant estimé. Je pense que Bush a fait une « offre que l’on ne peut refuser » du même genre aux dirigeants des pays du Golfe lorsqu’il s’est entretenu avec eux au début du mois.

Les médias ont tenté de décrire le voyage de Bush au Moyen-Orient comme une « mission de paix, » mais il ne s’agissait que d’un écran de fumée. En fait, trois jours après que Bush a quitté Jérusalem, Israël intensifiait ses opérations militaires dans les territoires occupés et reprenait son impitoyable blocus de la nourriture, de l’eau, des médicaments et de l’énergie, contre les 1,5 millions d’habitants de Gaza. En termes clairs, soit Bush a donné le feu vert aux opérations, soit les agressions israéliennes sont un camouflet au Président des États-Unis.

Alors quel était le but réel du voyage de Bush ? Après tout, il n’a aucun intérêt dans la paix ou dans le respect de son engagement à résoudre la crise israélo-palestinienne. Pourquoi aurait-il choisi de visiter le Moyen-Orient alors que son second mandat présidentiel touche à sa fin et qu’il n’a aucune chance de réussir ?

Parfois, les visites personnelles sont importantes, tout particulièrement quand la nature de l’information est si sensible que le message doit être transmis face à face. Dans ce cas-ci, Bush s’est donné la peine de traverser la moitié du monde, pour dire aux Saoudiens et à leurs amis des états du Golfe qu’ils devaient continuer à lier leur pétrole au dollar, sinon ils iraient « dormir avec les poissons. » Ces deux derniers mois, plusieurs cheikhs et ministres des finances se sont lamentés sur la chute du dollar et ont menacé de rompre avec la fameuse « indexation au dollar » et d’opter pour un panier de devises. Le voyage de Bush semble avoir ravivé l’esprit de coopération fraternelle. La grogne a cessé et tout le monde est remonté « à bord. » Les dirigeants régionaux semblent aujourd’hui beaucoup moins gênés par le fait que l’inflation gruge leurs économies et ne cesse d’accroître les coûts de la main-d’œuvre, de la nourriture, de l’énergie et de l’immobilier. L’agence de presse Reuters a résumé ça ainsi :

 Après une rafale de désaccords publics sur la réforme monétaire l’an dernier, les banques centrales du Golfe tentent de faire front commun en vantant l’indexation comme une source de stabilité et en minimisant la faiblesse du dollar comme un phénomène passager.

On dirait que Bush a adouci les choses.

Ces deux dernières semaines, les dirigeants du Golfe ont observé avec nervosité la Réserve Fédérale baisser monstrueusement les taux d’intérêt de 125 points de base. Les baisses érodent constamment le capital de 1 trillion de $ (mille milliards) que les cheiks ont investi dans les bons du trésor et les titres US.

« L’inflation en Arabie Saoudite et dans le Sultanat d’Oman est à son niveau le plus élevé depuis 16 ans.  L’inflation a grimpé à un sommet atteint il y a 19 ans dans les Émirats Arabes Unis. Les décideurs politiques du Golfe sont prêts à intervenir directement dans le marché des prêts, des biens immobiliers et des produits pour compenser la réduction des taux. » (Reuters)

La valeur des biens immobiliers est montée en flèche. Dans les Émirats Arabes Unis, la valeur des propriétés commerciales a doublé depuis début 2007. La bombe inflationniste a contraint d’autres pays du Golfe à verser des aides alimentaires à leur population et une « hausse de 70% des salaires pour certains employés du gouvernement fédéral des Émirats Arabes Unis. »

Les travailleurs émigrés mécontents ont violemment manifesté récemment à Dubaï, exigeant d’être indemnisés équitablement pour la forte augmentation des prix. La valeur du riyal, la monnaie de l’Arabie Saoudite, a atteint son niveau le plus haut depuis 21 ans.

Les cambistes s’attendent à une autre hausse de 8% du dirham et du riyal d’ici avril prochain, et ils prédisent que les taux d’intérêt vont obliger les banques centrales des états du Golfe à se convertir soit à l’euro, soit à un panier de devises régionales. Toutefois, jusqu’à présent, les fidèles princes saoudiens n’ont pas cessé de soutenir le dollar.

Défendre l’hégémonie du dollar

Quelle importance y a-t-il donc à continuer d’indexer le pétrole au dollar ? Les États-Unis feraient-ils la guerre pour défendre le statut de « monnaie de réserve » mondiale du dollar ?

La réponse à cette question pourrait venir dès cette semaine, puisque la tant attendue Bourse du Pétrole iranienne doit ouvrir entre le 1er et le 11 février. Selon Davoud Danesh-Jafari, le ministre des Finances iranien, « tous les préparatifs ont été faits pour démarrer la bourse ; elle ouvrira au cours des 10 jours de la fête de l’Aube (les cérémonies qui marquent la victoire de la Révolution islamique de 1979 en Iran.) Cette bourse est considérée comme une menace directe à la domination mondiale du dollar, car elle exigera que le « pétrole, les produits pétrochimiques et le gaz iranien » soient échangés contre des monnaies autres que le dollar US. (Press TV, Iran)

Le système du pétrodollar n’est pas différent du système de l’étalon-or. Aujourd’hui, cette devise est tout simplement garantie par une source d’énergie vitale dont dépend chaque société industrialisée : le pétrole. Si le dollar n’était plus l’unique monnaie utilisée dans la vente de pétrole, il ne serait plus de facto la monnaie de réserve mondiale et les États-Unis seraient contraints de réduire massivement leurs déficits commerciaux, de reconstruire leurs capacités industrielles et de redevenir un pays exportateur. La seule alternative est de créer un réseau de régimes clients, qui répriment les aspirations collectives de leur peuple afin de pouvoir suivre scrupuleusement les directives de Washington.

Quant à savoir si l’administration Bush entamerait une guerre pour défendre l’hégémonie du dollar, c’est une question qui devrait être posée à Saddam Hussein. L’Irak fut envahi tout juste six mois après la conversion de Saddam à l’euro. Le message est clair, l’Empire défendra sa monnaie.

De même, l’Iran a remplacé le dollar en 2007 et a exigé que le Japon paie ses énormes factures d’énergie en yens. La « conversion » a irrité l’administration Bush et depuis lors, l’Iran est la cible de l’agressivité des États-Unis. En fait, même si 16 agences de renseignement des États-Unis ont publié un rapport (NIE) disant que l’Iran ne développe pas d’armes nucléaires, et même si l’Agence Internationale de l’Énergie Atomique constate que l’Iran respecte ses obligations envers le Traité de non-prolifération nucléaire (TNP), une attaque préventive des États-Unis contre l’Iran paraît toujours probable.

Et même si les médias occidentaux minimisent désormais les perspectives d’une nouvelle guerre dans la région, Israël est en train de prendre des précautions qui suggèrent que l’idée n’est pas tirée par les cheveux. « Israël demande que des abris antibombes soient installés dans le but de préparer le public à une autre guerre qui, cette fois, verra pleuvoir des missiles. » (Press TV, Iran)

« La prochaine guerre connaîtra un recours massif aux armes balistiques contre l’ensemble du territoire israélien » a affirmé Udi Shani, un général à la retraite.  (http://globalresearch.ca/index.php?context=va&aid=7982)

La Russie, qui pense que les chances d’un conflit dans le Golfe vont croissant, a répondu par l’envoi d’une force navale en Méditerranée et dans l’Atlantique Nord.

Selon un article paru en anglais sur le site Global Research/Mondialisation : 

« Le navire-amiral de la flotte de Mer Noire de la Russie, le croiseur lance-missiles Moskva, a rejoint la marine de guerre russe en Méditerranée le 18 janvier pour participer aux manœuvres en cours… L’opération actuelle est la première opération à grande échelle de la Marine russe dans l’Atlantique depuis 15 ans. Tous les navires et les avions de combat transportent des munitions de combat. 

( http://globalresearch.ca/index.php?context=va&aid=7983)

La France planifie aussi des manœuvres militaires dans le détroit d’Ormuz. L’opération « Bouclier du Golfe 01 » aura lieu au large des côtes de l’Iran et engagera des milliers de soldats dans des combats interarmes qui simuleront – entre autres – des attaques de plates-formes pétrolières

Selon le ministre de la Défense français, « les exercices qui se dérouleront du 23 février au 5 mars verront la participation de 1 500 soldats français, 2 500 émiratis, et 1 300 qataris. Ces manœuvres auront lieu sur terre, sur mer et dans les airs. » D’après le lieutenant-colonel Fusalba, « environ une demi-douzaine de navires de guerre, 40 avions et des dizaines de véhicules blindés prendront part aux exercices militaires. »

http://www.defensenews.com/story.php?F=3346953&C=mideast

De plus, dans la dernière semaine, trois des principaux câbles sous-marins qui assurent le trafic Internet ont été coupés dans le Golfe Persique, et les trois quarts des communications internationales entre l’Europe et le Moyen-Orient ont été interrompues. Une grande partie du Moyen-Orient a été plongée dans l’ignorance.

Alors n’est-ce qu’une coïncidence ou y a-t-il quelque chose d’autre sous la surface ?

Ian Brockwell, de « American Chronicle » a dit : 

« Dans l’hypothèse où le sectionnement des câbles ne serait pas le fruit du hasard, nous devons nous demander qui ferait une chose pareille et pourquoi. Évidemment, l’Iran, qui a été le plus touché, n’aurait rien à tirer de ce genre d’action et est peut-être la cible des responsables. S’agit-il du prélude à une attaque ou d’un test pour une attaque future ?

 

Les communications ont toujours été un facteur important de l’action militaire et le sectionnement de ces câbles pourrait affecter la capacité de l’Iran à se défendre. » 
http://www.americanchronicle.com/articles/51085)

Malgré l’absence de couverture médiatique, les tensions montent dans le Golfe et la probabilité d’une attaque étasunienne contre l’Iran reste très élevée. Bush est convaincu du fait que s’il n’affronte pas l’Iran, alors personne ne le fera. Il croit aussi que s’il ne défend pas militairement le dollar, l’unique superpuissance mondiale que sont les États-Unis appartiendra bientôt au passé. Maintenant, le vrai problème est de savoir si Bush va se rendre compte que les États-Unis sont déjà irrémédiablement embourbés dans deux conflits « ingagnables » ou s’il va encore une fois « écouter ses tripes » et nous entraîner dans un nouveau conflit ruineux dans la région.

Article original en anglais, publié le 4 février 2008:
http://www.globalresearch.ca/index.php?context=va&aid=7998

Traduction Dany Quirion et Pétrus Lombard pour Alter Info (http://www.alterinfo.net/index.php).  Texte révisé par Nicolas Gourio pour Mondialisation.



Articles Par : Mike Whitney

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