LA GRÈCE ET L’EURO : Une situation de dette excessive et improductive et d’implosion financière

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Cet article a été publié initialement le 16 août 2011 en français et une mise à jour (Addendum) a été ajoutée à la fin de l’article le 4 juillet 2015.

« Si vous ne pouvez pas l’expliquer simplement, c’est que vous ne le comprenez pas assez bien.»
– Albert Einstein (1879-1955), professeur et physicien théoriste né en Allemagne. Prix Nobel 1921

« Chaque génération doit payer ses propres dettes. Si ce principe était appliqué il y aurait moitié moins de guerres dans le monde.»
– Thomas Jefferson (1743-1826), 3ème Président des USA (1801-09)

« Ayant vu les peuples de tous les autres pays écrasés par les guerres et les prodigalités de leurs dirigeants, j’ai voulu favoriser au contraire la paix, l’épargne et le règlement de la dette publique car j’étais convaincu que c’était le meilleur chemin vers le bonheur et la prospérité publique et privée.»
– Thomas Jefferson

Le 4 juillet, l’organisme de prêt Standard & Poor’s a dit la vérité en ce qui concerne la Grèce, à savoir que ce pays est en faillite financière. Aucun tour de main, aucune occultation, aucune réorganisation de la dette et aucune aide « innovante » ne pourra dissimuler le fait que les règles défectueuses qui régissent la zone Euro aient donné l’occasion à certains de ses 17 membres de succomber à la tentation d’un endettement excessif et improductif suivi d’un défaut de paiement de la dette accompagné d’une écrasante hausse des coûts d’emprunt.

La Grèce (11 millions d’habitants) a, en fait, abusé de la crédibilité que lui donnait son adhésion à la zone Euro. En 2004, par exemple, le gouvernement grec s’est embarqué dans des dépenses somptuaires pour accueillir les jeux olympiques de l’été 2004 d’un montant de 7 milliards d’Euros (12,5 milliards de dollars). Puis de 2005 à 2008, le même gouvernement a décidé de faire d’autres folles dépenses, cette fois pour acheter toutes sortes d’armes dont il n’avait pas besoin à des fournisseurs étrangers. Accumuler une énorme dette étrangère de 533 milliards (2010) était la solution de facilité. Mais tôt ou tard, il faut payer le joueur de pipeau et on ne peut plus cacher le montant de la dette.

La situation financière actuelle de la Grèce (et celle d’autres pays européens comme l’Espagne, le Portugal, l’Irlande et même l’Italie) sont comparables à celle de l’Argentine il y a 10 ans environ. Dans chaque cas, un membre problématique d’une union monétaire donnée a conduit à un endettement étranger disproportionné qui a engendré une fuite des capitaux et une ruineuse déflation* par la dette.

Dans le cas de l’Argentine, le pays avait décidé d’adopter le dollar étasunien comme monnaie alors même que le niveau de productivité de l’Argentine était inférieur d’un tiers à celui des USA. Un taux de change artificiel de un peso=un dollar étasunien a tenu pendant presque dix ans avant l’effondrement inévitable.

Il est vrai que l’adhésion à une union monétaire d’un groupe de pays qui adopte une monnaie commune peut être un moyen puissant de stimuler l’économie et la productivité en bridant l’inflation quand ces unions monétaires sont bien construites mais elles peuvent se transformer en cauchemar économique quand elle ne le sont pas.

Malheureusement pour de nombreux membres pauvres de l’Europe, les règles d’une union monétaires viable n’ont pas été suivies et les conséquences catastrophiques de cette erreur ne devraient pas surprendre ceux qui ont une certaine connaissance de la finance internationale.

Quelles sont les règles à suivre pour qu’une union monétaire qui a une monnaie commune soit viable et stable ?

1- D’abord et surtout, les pays membres doivent avoir des structures économiques et des niveaux de productivité du travail comparables afin que la monnaie commune ne paraisse pas constamment surévaluée ou constamment sous-évaluée par rapport à l’économie de tel ou tel membre. L’alternative est d’avoir un haut niveau de mobilité de la main d’oeuvre entre les économies régionales de sorte que les niveaux de chômage ne restent pas trop hauts dans les régions les moins compétitives.

2- Deuxièmement, si aucune de ces deux premières conditions ne sont remplies (ce qui est généralement le cas parce que les unions monétaires réelles sont rarement des « zones monétaires optimales »**), l’union monétaire dont être dirigée par une entité politique puissante, comme par exemple un système de gouvernement fédéral, qui soit capable de transférer rapidement des fonds provenant des impôts des économies excédentaires vers celles qui sont déficitaires à travers un système centralisé d’égalisation des paiements.

Cela pour éviter l’insécurité et les tensions politiques qui surgissent quand le niveau de vie augmente dans les régions en excédent et baisse dans les régions en déficit. Mais quand les taux d’échange régionaux ne peuvent pas être réajustés à la hausse et ou à la baisse pour rééquilibrer la balance des paiements de chaque membre et quand la loi du prix unique s’applique à toute la zone monétaire, il ne reste pour seul levier d’ajustement aux déséquilibres extérieurs que les fluctuations des niveaux de revenu et d’emploi. Cela peut se révéler une solution très douloureuse.

Un tel système d’ajustement par la variation du revenu ou de l’emploi plutôt que par la variation des prix nous rappelle un peu la manière dont fonctionnait la règle d’or du 19ième siècle, malgré sa tendance déflationniste, sauf qu’au 19ième siècle il y avait une inflation des prix et des revenus dans les pays excédentaires et une baisse des prix et des revenus dans les pays déficitaires qui résultait de l’augmentation des réserves monétaires dans les économies excédentaires et de la diminution des réserves monétaires dans les pays déficitaires. Dans une union monétaire plus ou moins formelle la banque centrale contrôle le niveau général des prix pendant que les revenus augmentent et baissent.

3- La troisième condition pour qu’une union monétaire fonctionne bien, est la liberté de mouvement des capitaux bancaires et financiers dans la zone. Cela a pour but de maintenir des taux d’intérêts cohérents dans la zone monétaire qui prennent en compte le facteur de risque et aussi de favoriser le financement des projets productifs où qu’ils se trouvent.

Aux USA par exemple, le marché des fonds fédéraux éminemment liquide***, permet a des banques qui sont temporairement déficitaires d’emprunter des fonds à court terme à des banques qui sont temporairement en excédent. Au Canada, de grandes banques nationales ont des succursales dans toutes les provinces et peuvent facilement transférer des fonds des succursales qui ont des surplus aux succursales déficitaires sans affecter leurs opérations de prêts et de crédit.

4- La quatrième condition est d’avoir une banque centrale commune qui peut prendre en compte non seulement les niveaux d’inflation mais aussi la croissance économique réelle et les taux de chômage dans ses décisions de politique monétaire.

Malheureusement pour elle, la zone Euro a généralement échoué à remplir les conditions de base du bon fonctionnement d’une union monétaire.

Voyons une par une les raisons de cet échec.

a) D’abord, les niveaux de productivité du travail (la production par heure de travail) sont très différents d’un pays membre à l’autre. par exemple, en 2009, l’index de la productivité de l’Allemagne était de 100, il était seulement de 64,4 en Grèce, presque un tiers de moins. Au Portugal et en Estonie, par exemple, il était encore plus bas, à 58 et 47 respectivement. Cela signifie que l’Euro, comme monnaie commune, apparaît comme sous-évalué pour l’Allemagne et surévalué pour beaucoup d’autres membres de la zone Euro, ce qui stimule les exportations de l’Allemagne mais handicape fortement la compétitivité des autres membres de l’union.

b) Deuxièmement, et c’est peut-être encore plus important, la zone Euro n’est pas soutenue par une union fiscale et politique forte et stable. En conséquence les transferts fiscaux entre les membres sont laissés à des décisions politiques au coup par coup ce qui crée de l’insécurité. En fait il n’y a pas de mécanisme d’égalisation des balances commerciales entre les économies fortes et les économies faibles de la zone Euro. C’est pour cela qu’on peut dire qu’il n’y a pas de solidarité économique durable dans la zone Euro.

c) Troisièmement, ceux qui ont crée la zone Euro ont choisi de limiter le rôle de la Banque Centrale Européenne à un rôle monétaire réduit ; son obligation principale est de maintenir la stabilité des prix et elle n’est pas autorisée à jouer un rôle direct sur la stabilité macroéconomique de la zone ni à prêter directement de l’argent aux gouvernements en créant de la monnaie si besoin est. C’est pour cela qu’on peut dire qu’il n’y a pas de solidarité financière statutaire dans la zone Euro.

4) Et enfin, même si la mobilité du capital et du travail dans la zone Euro est assez élevée, historiquement parlant, elle est loin d’être aussi ancrée que par exemple dans l’union monétaire étasunienne.

Rétrospectivement, il semble que la création de la zone Euro en 1999 ait été davantage un pari politique qu’un projet monétaire et économique bien pensé. C’est tout à fait regrettable parce qu’une fois que les membres de la zone les plus éloignés du noyau auront fait faillite et seront probablement retournés à leur monnaie nationale, le choc financier aura de vraies conséquences économiques, pas seulement en Europe mais dans le monde entier.

De nombreux économistes pensent que la meilleure solution pour la Grèce et le reste de l’Union Européenne serait de mettre en oeuvre « une cessation de paiement organisée » de la dette publique grecque qui permettrait à Athènes de sortir de l’Euro et de reprendre sa monnaie nationale, le drachme, à un taux inférieur. Cela éviterait à la Grèce une longue dépression économique.

Refuser d’accepter l’évidence c’est à dire, une cessation de paiement organisée, ferait plaisir aux banquier créanciers de la Grèce mais nuirait grandement à son économie, ses travailleurs et ses citoyens. C’est à cela que servent les lois sur la faillite, à libérer les débiteurs de dettes impossibles à rembourser.

De toute évidence le pays le plus endetté de la terre n’est pas la Grèce mais les USA. permettez-moi de conclure en disant ceci : Si les politiciens étasuniens n’arrêtent pas de jouer à des jeux politiques avec l’économie, beaucoup d’Etasuniens vont souffrir dans les mois et les années qui viennent et d’autres pays seront contaminés.

Que l’Europe et les USA soient en difficulté économique tous les deux en même temps est une très mauvaise chose pour l’économie mondiale.

Rodrigue Tremblay

Article original en anglais publié le  14 juillet 2011 : http://www.globalresearch.ca/index.php?context=va&aid=25632

Traduction : Dominique Muselet pour LGS


ADDENDUM (4 juillet 2015)

Les politiciens européens ont fait les mêmes erreurs que les politiciens américains avant la crise financière et bancaire de 2008-09, c’est-à-dire encourager un endettement exagéré avec des garanties de prêts.

Ce qui a vraiment créé les conditions nécessaires pour une crise financière et bancaire majeure aux Etats-Unis, à compter de 1999 quand la loi dite Glass-Steagall de 1933 fut abolie par le gouvernement de Bill Clinton, fut l’innovation de garanties accordées à des emprunts risqués.

Aux Etats-Unis, les organismes réglementaires que sont le Trésor américain (contrôlé par les méga banques) et la banque centrale dite de la FED (contrôlée par les méga banques) ont fermé les yeux quand des produits bancaires risqués sont apparus, notamment les fameux produits dérivés adossés à des hypothèques dont on avait artificiellement réduit les risques avec des contrats d’assurance (les fameux Credit Default Swaps ou CDS) contre le défaut de paiement auprès d’institutions telles la grande compagnie d’assurance AIG (American International Group). Ce faisant, on avait encouragé des prêts de plus en plus risqués, notamment un endettement hypothécaire exagéré, lequel conduisit à la création d’une bulle immobilière spéculative qui éclata à partir de 2005 et qui se transforma en crise financière mondiale générale en 2008-09.

Or, les politiciens européens ont fait la même erreur que les politiciens américains. Dans leur cas, ils ont encouragé l’endettement public des pays les moins riches de la zone euro en fournissant des garanties aux grandes banques si elles leur prêtaient en dépit de risques grandissants. C’est ce qui permit à un gouvernement comme celui de la Grèce, par exemple, de continuer d’emprunter et de s’endetter auprès des grandes banques et d’autres institutions, même quand les prêteurs d’eux-mêmes auraient cessé de prêter si on ne leur avait pas offert des garanties solides en cas de défaut de paiement. Aujourd’hui, la dette grecque en euros représente 177 pourcent de la production annuelle du pays. Quand la dette d’un pays dépasse 100 pourcent du produit intérieur brut (PIB) du pays, les créanciers deviennent nerveux. Ils haussent les taux d’intérêt sur les emprunts et réduisent leurs prêts.

Mais en Europe, les politiciens ont voulu garder le plus bas possible les taux d’intérêt sur les emprunts des pays les plus économiquement faibles de la zone euro. C’est ainsi qu’ils ont créé en 2010 le Fonds européen de stabilité financière (FESF), avec la garantie des États membres, au prorata de leur participation à la Banque centrale européenne. Le FESF a garanti 131 milliards d’euros de la dette grecque. C’est ainsi que les contribuables allemands, par exemple, garantissent pour 41,3 milliards d’euros de dette grecque et que les contribuables français par leur gouvernement assurent pour 31 milliards de cette même dette, et ainsi de suite pour les autres pays membres de la zone euro. On a donc fait d’un problème économique d’endettement un problème politique majeur.

En effet, les politiciens européens qui ont garanti les emprunts de la Grèce craignent maintenant les répercussions politiques s’ils devaient refiler la facture du défaut de paiement du gouvernement grec à leurs contribuables. D’autre part, les grandes banques, fortes des garanties qu’elles ont obtenues, n’ont aucun intérêt à ‘restructurer’ à la baisse la dette du gouvernement grec. Autrement dit, tout est gelé. Dans une situation normale, les prêteurs devraient assumer seuls les risques encourus en prêtant à un gouvernement déjà surendetté et accepter des pertes.

Il s’agit d’une situation qui ressemble étrangement à la situation américaine d’avant la crise de 2008-09 quand les prêteurs sur hypothèques ne voulaient pas accepter de réduire les dettes des emprunteurs parce que leurs créances étaient garanties par des contrats d’assurance. On sait comment tout cela s’est réglé. Ce furent les contribuables américains qui furent appelés à sauver les méga banques et les méga sociétés d’assurance, soit directement par le truchement du Trésor américain, soit indirectement par la banque centrale (FED), cette dernière rachetant à prix fort les créances de pacotille des grandes banques. Le même scénario risque de se produire dans la zone euro, que la Grèce reste ou non dans l’union monétaire. Et ce n’est pas le référendum grec de dimanche le 5 juillet qui changera quoi que ce soit à cette situation.

Rodrigue Tremblay

 

Note

*Déflation : Diminution importante et durable des prix. Politique de déflation : politique de lutte contre l’inflation se traduisant par des mesures visant à la baisse de la demande globale (diminution de la masse monétaire, des dépenses publiques, augmentation de la pression fiscale). Le Petit Robert :

Déflation par la dette : http://contreinfo.info/article.php3?id_article=2354

**Zone monétaire optimale : http://www.erudit.org/revue/ae/2000/v76/n4/602337ar.pdf

*** La liquidité d’un marché financier représente la capacité à acheter ou à vendre rapidement les actifs qui y sont cotés sans que cela ait d’effet majeur sur les prix. Plus un marché est liquide, plus il est aisé, rapide et peu coûteux d’y réaliser des transactions. Cette caractéristique figure parmi les qualités essentielles que doivent garantir les bourses de valeurs. (Wikipedia).

 

Rodrigue Tremblay est professeur émérite d’économie à l’Université de Montréal. Il a écrit « Le Code pour une éthique globale » et « Le Nouvel Empire américain”. On peut le joindre à : [email protected]
Pour consulter l’original : en français
En anglais,

Le code pour une éthique globale 



Articles Par : Prof Rodrigue Tremblay

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