La Grèce et l’Espagne ont aidé l’Allemagne d’après-guerre à se reconstruire : cherchez la différence

Il y a soixante ans aujourd’hui, un accord a été conclu à Londres pour annuler la moitié de la dette de l’Allemagne d’après-guerre. Cette annulation, et la façon dont cela a été fait, est essentielle à la reconstruction de l’Europe de l’après-guerre. Elle est en contraste frappant avec la souffrance infligée aux peuples européens aujourd’hui au nom de la dette.

L’Allemagne a émergé de la seconde guerre mondiale en supportant encore des dettes originaires de la première guerre mondiale : les réparations imposées au pays suite à la conférence de paix de Versailles en 1919. Beaucoup, y compris John Maynard Keynes, ont fait valoir que ces dettes impayables et les politiques économiques qui en découlaient ont conduit à la montée du nazisme et à la seconde guerre mondiale.

En 1953, l’Allemagne avait également des dettes due aux prêts pour la reconstruction effectués immédiatement après la fin de la seconde guerre mondiale. Parmi les créanciers de l’Allemagne, on trouvait la Grèce et l’Espagne, le Pakistan et l’Egypte, ainsi que les États-Unis, le Royaume-Uni et la France.

La dette allemande était bien inférieure aux niveaux observés en Grèce, en Irlande, au Portugal et en Espagne d’aujourd’hui, et ne représentait qu’un quart du revenu national. Mais même à ce niveau, la préoccupation était vive que le service de la dette obligerait à utiliser de précieuses recettes en devises et mettraient en danger la reconstruction.

Ayant besoin d’une Allemagne de l’Ouest forte comme rempart contre le communisme, les créanciers du pays se sont réunis à Londres et ont montré qu’ils avaient compris comment aider un pays qu’on souhaite voir sortir des ruines. Ils ont également montré avoir compris que la dette ne peut jamais être considérée comme étant de la responsabilité du seul débiteur. Des pays tels que la Grèce ont volontairement pris part à un accord pour aider à créer un environnement stable et prospère en Europe occidentale, malgré les crimes de guerre qu’avait infligé l’occupant allemand quelques années auparavant.

L’annulation de la dette de l’Allemagne a été rapide, avant qu’une vraie crise n’éclate. L’Allemagne a bénéficié d’une annulation de 50% de sa dette. L’accord couvrait toutes les dettes, y compris celles dues par le secteur privé et même les particuliers. Il a également couvert l’ensemble des créanciers. Personne n’a été autorisé à s’abstraire de l’accord pour gagner plus que les autres. Tous les problèmes ont été traités par des négociations entre égaux, plutôt que par des sanctions ou l’imposition de politiques non démocratiques.

Peut-être l’aspect le plus novateur de l’accord de Londres était une clause qui disait que Allemagne de l’Ouest ne devrait payer sa dette qu’en cas d’excédent commercial, et que les remboursements étaient limités à 3% des recettes d’exportation chaque année. Cela signifiait que ces pays qui avaient consenti les créances devaient acheter les exportations ouest-allemands afin d’être payés. Cela signifiait que Allemagne de l’Ouest ne paierait que sur ses gains réels, sans avoir recours à de nouveaux emprunts. Et cela signifiait que les créanciers de l’Allemagne avaient un intérêt certain à ce que le pays et son économie soient en plein essor.

Suite à l’accord de Londres, l’Allemagne de l’Ouest a connu un « miracle économique », avec une dette allégée et des années de croissance. Le médicament administré aux pays lourdement endettés au cours des 30 dernières années, n’aurait pas pu être plus différent. La pratique depuis les années 1980 a été de renflouer les prêteurs imprudents à travers l’octroi de nouveaux prêts, tout en forçant les gouvernements à mettre en œuvre austérité et libéralisation du marché au nom de la « compétitivité ».

À la suite de cela, en Amérique latine et en Afrique dans les années 1980 et 1990, en Grèce, en Irlande et en Espagne d’aujourd’hui, la pauvreté a augmenté et les inégalités grimpé en flèche. En Afrique dans les années 1980 et 1990, le nombre de personnes vivant dans l’extrême pauvreté a augmenté de 125 millions, tandis que l’économie était en récession. En Grèce aujourd’hui, l’activité économique a chuté de plus de 20%, tandis que un jeune sur deux est au chômage. Dans les deux cas, la dette a gonflé.

La priorité d’un gouvernement endetté aujourd’hui est de rembourser ses dettes, quel que soit le montant du budget que ces remboursements consomment. Contrairement à la limite de 3% sur les paiements de la dette allemande, aujourd’hui, le FMI et la Banque mondiale estiment qu’une charge qui absorbe jusqu’à 15-25% des recettes d’exportation est « soutenable » pour les pays pauvres. La charge de la dette grecque représente environ 30% des exportations.

Lorsque celle-ci a été « restructurée », cela n’a concerné qu’une partie de l’ensemble des dettes, et seulement les créanciers qui souhaitaient y participer. En 2012, seuls les créanciers privés de la Grèce ont subi une restructuration. Les créanciers qui détenaient des titres émis selon la loi britannique ou suisse ont pu la refuser, et poursuivront la Grèce en justice dans les années à venir.

La « stratégie » en Grèce, Irlande, Portugal et Espagne aujourd’hui est de mettre le fardeau de l’ajustement uniquement sur le pays débiteur, l’obligeant à rendre son économie plus compétitive grâce à un chômage de masse et des réductions de salaires. Mais sans que les créanciers comme l’Allemagne soient prêts à acheter plus de leurs exportations, cela ne marchera pas, et provoquera une crise sans fin.

L’accord sur la dette allemande a été un élément clé de la reconstruction après les dévastations de la seconde guerre mondiale. Dans l’Europe d’aujourd’hui, la dette déchire le tissu social. Hors d’Europe, les pays lourdement endettés sont encore contraints à des politiques d’austérité et des mesures d’ajustement. Le Pakistan, les Philippines, le Salvador et la Jamaïque consacrent tous entre 10 et 20% des recettes d’exportation au paiement de la dette publique extérieure, non compris les paiements de dettes privées.

Si nous n’avions pas une expérience concrète de la façon de résoudre une crise de la dette de manière équitable, nous pourrions peut-être considérer que les dirigeants européens se trompent. Mais nous avons l’exemple positif de l’Allemagne il y a 60 ans, et l’exemple dévastateur de la crise de la dette latino-américaine il y a 30 ans. Les actions des dirigeants européens sont tout simplement criminelles.

Nick Dearden

Traduit par Thomas Coutrot, CADTM


Nick Dearden Directeur de Jubilee Debt Campaign (la Campagne pour le jubilé de la dette) www.jubileedebtcampaign.org.uk


Articles Par : Nick Dearden

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