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La IIe République : Comment mettre de l’ordre dans la maison Algérie?
Par Chems Eddine Chitour
Mondialisation.ca, 26 mars 2011
26 mars 2011
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«Si un événement survient par hasard, vous pouvez être sûr qu’il a été programmé pour se dérouler ainsi.»

 

Franklin Delanoë  Roosevelt  Ancien Président des Etats-Unis

Nous vivons des temps où l’histoire a le tournis et sa cinétique, jadis lente, pour permettre une sédimentation des événements a subi une accélération porteuse de tous les dangers. Les certitudes que l’on croyait immuables deviennent des interrogations. A cet égard, le XXe siècle a été celui des perturbations spatiales, identitaires, voire religieuses. Des pays se font et se défont en temps réel au gré des puissants. Des peuples sont arrachés à leur terre, des identités sont reniées. De plus, un choc religieux est en train insidieusement de structurer les rapports Occident – Orient.

De ce fait, un vent de panique ou de liberté, cela dépend de quel côté on se place, secoue les pays arabes, qui, à des degrés divers, connaissent de profondes perturbations qui, à première vue, sont annonciatrices de ce que la doxa occidentale a décidé d’appeler le printemps arabe avec une spécificité horticole à chaque région qu’elle a déstabilisée à son profit. On pourrait croire que l’Occident et le libéralisme sauvage sont au chevet de la jeunesse arabe et veulent «accompagner» leurs espérances pour un monde de liberté, de farniente, en clair, la belle vie pour les bras cassés que sont devenus les Arabes minés par une rente éphémère qui retarde leur insertion dans la dynamique mondiale. Il n’en est rien, on peut penser à la lecture de nombreux rapports que tout est téléguidé, qu’il n’y a pas de hasard.

Ce qui se passe dans le monde

Nous devons raison garder. L’Occident s’intéresse aux Arabes uniquement pour leurs richesses énergétiques qu’il a décidé de prendre quel qu’en soit le prix payé par la manipulation de ces espérances. Comment faire? La méthode de la démocratie aéroportée de George Bush a échoué, mais le projet d’un Grand Moyen-Orient et d’un remodelage des nations arabes est toujours d’actualité. Un exemple? La Somalie, personne n’en parle! Ce n’est plus un Etat! L’Irak, qui a abrité les premières civilisations humaines, a subi la partition mais les puits de pétrole sont confiés aux Américains. L’Afghanistan pour son malheur, possède un sous-sol riche, on tente de la normaliser. Il en fut de même pour le Soudan dont la partition est passée inaperçue, le Sud chrétien est devenu indépendant avec en prime le pétrole. C’est tout bénéficie pour l’Occident et le pape…

Les révoltes tunisiennes que l’on présente comme des tournants dans le monde arabe, au-delà d’une réelle détresse des jeunes Tunisiens et Egyptiens, furent rapidement prises en charge Ce fut un «jeu d’enfants» de manipuler à travers l’Internet -Facebook étant plus puissant qu’une armée- les jeunes en leur offrant une révolution dont l’Occident avait tracé les limites aux potentats qu’ils avaient à ses ordres. Pas de répression! Trois semaines à un mois ont permis de déboulonner Ben Ali et ensuite Moubarak. La jeunesse bahreïnie et saoudienne ne rentrant pas dans la stratégie préparée sera neutralisée violemment, on permettra même aux Saoudiens et Emiratis d’aller réprimer les jeunes Bahreïnis. Pas un mot dans les médias. Même le Yémen fait lui aussi l’objet d’un silence complice car dit-on, Saleh est le rempart contre Al Qaîda. Le cas de la Libye est un cas d’école; la jeunesse libyenne de Benghazi aidée elle aussi – la déstabilisation de ce pays programmée depuis plus de six mois – ne put rien contre El Gueddafi, décidé à se battre comme il le dit «Zengua bezengua».

On décide alors de normaliser par les airs. Ce qui arrive est tragique parce qu’on parle là aussi de partition: laisser la Tripolitaine au dictateur El Gueddaffi et garder la Cyrénaïque où l’essentiel du pétrole se trouve. Quand on décide de reconnaître un mouvement sur les recommandations d’un Bernard-Henry Lévy ce n’est pas innocent.

Le grand capital et l’empire sous-traitent maintenant les mises au pas à des seconds couteaux qui avaient une capacité de nuisance datant de leur nostalgie de l’empire du XIXe siècle. Leur doctrine zéro mort est mise en oeuvre avec le nec plus ultra de la technologie. On apprend par exemple qu’un drone israélien a visé il y a quatre jours des militants du Hamas, les tuant sur le coup avec seulement une petite bavure: trois civils dont deux enfants. Il n’y a pas eu de contact, le meurtre a eu lieu par un clic d’ordinateur à partir d’une salle climatisée en Israël. Nous sommes au XXIe siècle avec l’Internet, le Web 2.0, les drones et les robots tueurs. Qu’avons-nous en face de cela: des arbalètes et des épées.

 Il n’y a donc pas d’illusion à se faire. Le Monde arabe est en agonie. La faute n’est pas imputable à l’Islam, mais ce qu’ en ont fait les hommes gouvernants et gouvernés dans le Monde arabe. Au lieu de répéter d’une façon itérative que l’Islam est une religion d’amour, de paix, le moment est peut-être venu de se mettre au travail, de prouver dans les faits – à l’instar des pays musulmans non-arabes, que c’est aussi une religion qui encourage la science et la technologie. Il n’est que de voir comment le milliard de musulmans non arabes s’en sort! Un secret: l’alternance, la liberté et la démocratie. C’est le cas de l’Indonésie, du Pakistan malgré le bourbier afghan, c’est tout de même une démocratie. L’Iran, diabolisé par l’Occident pour cause, est la seule puissance musulmane à faire partie du club fermé de l’Espace! Ce pays vient d’envoyer une capsule de vie dans l’espace, l’envoi de l’homme dans l’espace n’est pas loin. Enfin, la Turquie commence à fasciner et se présente d’une certaine façon comme un espace musulman qui s’est approprié les avancées de la modernité.

Et l’Algérie dans tout cela?

Nous sommes un petit pays qui se cherche, nous sommes un pays rentier qui n’invente rien, qui se contente de gérer une rente et en tentant de calmer la société par une distribution de biens, accentuant encore plus la certitude que dans ce pays, il ne faut pas travailler pour réussir socialement, il faut faire des émeutes, vous aurez un appartement, un prêt bref, vous pouvez arracher des avantages qu’un fonctionnaire moyen ne peut pas se permettre même s’il met sous après sous, il ne pourra jamais avoir un logement par le circuit classique. Il lui reste l’émeute et là ce n’est pas tout le monde qui peut se permettre.

Un Etat, qui manipule et flatte à l’envi les pulsions sans lendemain des jeunes en termes d’amusement, de football, est en train insidieusement de montrer que la voie de réussite sociale n’est pas dans l’effort au quotidien d’un travail bien fait, d’une endurance sur plusieurs décennies pour mériter de la patrie, elle est dans la voie des pentoses -voie dérivée en biochimie- celle qui permet à un football d’engranger en une fois le gain d’un universitaire qui doit se réincarner plusieurs fois pour atteindre ces sommes.

On dit que ce qui se passe ailleurs, n’atteindra pas l’Algérie! Malgré nos malheurs, c’est une tragique erreur que de croire cela! C’est la méthode Couet. On veut s’auto-rassurer! Il est vrai que nous avons payé plusieurs fois, ce fut d’abord le traumatisme de 132 ans de colonisation abjecte avec son cortège de sang et de larmes, les massacres de masse – véritable génocide au ralenti- qui aurait fait plus de 5 millions de morts dont 1 million durant la Révolution.

Il est vrai que nous avons connu avant tout les peuples arabes Octobre 1988, on sait comment cette espérance a été confisquée. Souvenons- nous: l’espoir s’insinuait dans le coeur des citoyens. La vie politique s’alluma, les langues se délièrent et une formidable ouverture se dessina. Parler, agir dans l’opposition, défendre ses opinions, écrire dans une presse libre, crier à gorge déployée dans les manifestations de rue, lancer ses diatribes à la télévision, tout était devenu possible. Mais le fol espoir allait vite retomber. La mal-vie, les frustrations, la misère morale et les univers mentaux inconciliables, traduisant la fragilité du processus de formation de la nation, allaient servir de détonateur entre les mains d’un pouvoir rusé et faire échec à la première tentative démocratique dans le Monde arabe. Les Algériens perdirent pied et s’accrochèrent par réflexe atavique ou eschatologique aux discours les plus radicaux, Les valeurs, identitaires ou religieuses, étaient le refuge, la voie du «salut». La descente aux enfers pouvait commencer.

Il est vrai que nous avons subi ensuite, une guerre civile de près de 200.000 morts et que les répliques jouent encore les prolongations. A ce titre de la désespérance, nous n’avons malheureusement pas de leçons à recevoir ni même à donner. Ceci est dit, nous ne sommes pas vaccinés, car les jeunes actuels n’ont pas connu le passé. De plus, la révolution de l’Internet peut leur donner l’illusion de faire comme les autres. Ceci est dit, il y a une écoute à faire concernant le message des marches rituelles du samedi. Celles et ceux qui marchent ont autant que tout le monde le monopole du coeur, il serait tragique de les marginaliser. Naturellement, comme dans toute révolte, il y a ceux qui ont d’autres centres d’intérêt.

Par ailleurs, quand on montre à la télévision, plus indigente que jamais, des harraga, c’est que nous sommes en train de traverser le no man’s land qui nous amène inexorablement au chaos. Et pourtant, le pays n’a jamais été aussi riche. Malgré la facture très élevée, payée par l’Algérie en vies humaines et en traumatismes, l’après-Octobre 88 n’a pas seulement déçu, mais il a donné lieu à un immense gâchis, qui a débouché sur la guerre civile. Et pourtant, les jeunes, objets de toutes les manipulations, ne demandent qu’à vivre, étudier et faire preuve d’imagination. Une petite anecdote: des harraga en mer écoutent la radio et apprennent que l’Équipe nationale a battu la Zambie. Demi-tour vers la mère patrie pour fêter l’évènement dignement. Tôt, le lendemain, les harraga repartent à l’aventure et risquent leur vie, l’Algérie n’ayant pas su les retenir.

De ce côté, je me reconnais pleinement dans l’épitre de monsieur Aït Ahmed pour ce que j’ai compris, appelle à une refondation. Je cite: «Pour que chaque Algérien apporte et assume sa part dans la construction et la sauvegarde de son pays. Une part qui ne peut se résumer au soutien apporté à une équipe de football ou à un drapeau accroché à un balcon. Avec le déclenchement d’une dynamique de débat national qui porte sur les préoccupations quotidiennes des citoyens. Avec l’éclairage des intellectuels, des universitaires et des experts engagés auprès de leur société sur la base des préoccupations et des souffrances vécues par cette même société. Avec la force de conviction et d’engagement des citoyens et des militants, et avec le retour de la confiance en soi et entre soi, le lien social et le lien politique seront de nouveau tissés. C’est seulement au terme d’une remobilisation citoyenne et politique des Algériens que nous pourrons aborder l’ensemble du processus électoral devant aboutir à une refondation institutionnelle, qui remette les droits des citoyens, leur sécurité et leur développement ainsi que ceux du pays au coeur d’une Constitution digne de ce nom, parce qu’enfin issue d’une Assemblée constituante, librement élue par des Algériens libres. Ceux qui participeront à l’élaboration de ce processus seront les premiers Algériens véritablement libres, et ceux qui seront partis avant, ne se seront pas battus pour rien». Appel de M.Hocine Aït Ahmed. Mardi 22 mars 2011

On ne peut pas ne pas être d’accord avec cet appel tout en nuance qui transcende les partis actuels et qui en appelle à la conscience de chacun. Seul le parler vrai permettra de remobiliser ce peuple et lui donner une mentalité de vainqueur qui tournera le dos à la fatalité savamment entretenue par des siècles de résignation

Je suis étonné cependant, par tous ceux qui veulent que ça change d’un coup ne proposant pas une alternative et ceux qui promettent monts et merveilles pourvu que le gouvernement s’en aille. Il y a une lourde responsabilité de chacun d’entre nous de pousser à la roue avec une vision à courte distance. Si le changement se faisait ici et maintenant sans préparer une base rationnelle cela sera le chaos. Le peuple s’étant installé plus que jamais dans la paresse et demande à l’Etat de le prendre en charge sans que lui-même ne fasse l’effort de contribuer à la richesse, il ne faut pas se faire d’illusion: il n’a pas de khatem de sidna souliman (pas de miracle). Seuls la sueur, l’endurance, le travail bien fait, l’écoute et la nécessité que chacun rende compte et soit comptable de ses actes pourraient faire redémarrer l’Algérie. 

Comment peut-on continuer à errer avec un système éducatif où là encore, on fait dans la diversion? Avec une absence de stratégie énergétique qui compromet dangereusement l’avenir? Seuls le consensus, le dialogue, la parole désarmée, l’intérêt supérieur du pays permettront de réconcilier les Algériens et mettre fin à la guerre sourde de positions entre deux visions pour l’Algérie, celle d’une Algérie satellite d’une nation arabe qui n’existe pas, et celle nostalgique de fafa, d’un art de vivre type Quartier latin. Ces deux visions tentatrices n’ont évidemment aucune idée de ce que pourrait être la vie selon la mentalité algérienne. Qu’allons-nous laisser aux générations suivantes? À nous de nous organiser pour donner de l’espoir à cette jeunesse qui a perdu ses illusions. Pour cela, seul le parler vrai, le patriotisme, la fidélité aux valeurs nous permettront enfin de bâtir une Algérie qui sortira de la malédiction de la rente pour se mettre au travail.

L’Algérie de la IIe République sera celle que l’on construira toutes tendances confondues. Une seule exigence, l’amour de l’Algérie. La vraie identité des Algériens est ce droit et ce devoir de «vivre ensemble que l’on soit de l’Est ou de l’Ouest, du Nord ou du Sud». Nul doute qu’un pays dont l’histoire s’étale sur plus de trois mille ans, ne peut pas laisser indifférent. A nous de perpétuer cette épopée avec de réels motifs de fierté et d’aller enfin de l’avant. En définitive, il nous faut retrouver cette âme de pionnier que l’on avait à l’Indépendance en mobilisant, quand il y a un cap.

Imaginons pour rêver que le pays décide de mettre en oeuvre les grands travaux autrement que de les confier aux Chinois et Japonais, sans sédimentation ni transfert de savoir-faire, il mobilisera dans le cadre du Service national, véritable matrice du nationalisme et de l’identité, des jeunes capables de faire reverdir le Sahara, de s’attaquer aux changements climatiques, d’être les chevilles ouvrières à des degrés divers d’une stratégie énergétique qui tourne le dos au tout-hydrocarbures et qui s’engage à marche forcée dans les énergies renouvelables. Nul besoin alors d’une Equipe nationale qui nous donnera le bonheur épisodiquement, le bonheur transparaîtra en chacun de nous par la satisfaction d’avoir été utile, et en contribuant par un travail bien fait, par l’intelligence et la sueur, à l’avènement de l’Algérie de nos rêves. Il ne tient qu’à notre volonté de faire de nos rêves une réalité.

Pr Chems Eddine ChitourEcole Polytechnique enp-edu.dz

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