La justice espagnole attaque frontalement le mouvement Herrira

Le 30 septembre huit personnes qui travaillent pour les droits des prisonniers basques ont été arrêtés, accusés d’avoir fait “l’apologie du terrorisme” et d’avoir “intégré” et “financé une bande armée”. Il est de plus en plus clair que l’état espagnol ne veut pas la paix. D’ailleurs il continue à utiliser la « lutte contre le terrorisme » pour cacher sa longue liste de problèmes.


La défense des droits des prisonniers a motivé les manifestations les plus remarquées de ces 30 dernières années au Pays Basque. En 2012 et en 2013, à Bilbo, plus de 100 000 personnes étaient sorties dans la rue à l’appel de Herrira. Hier matin, ce même mouvement a fait l’objet d’une opération policière d’envergure qui s’est déroulée dans les quatre provinces du Pays Basque Sud. Elle a été ordonnée par le juge Eloy Velasco de l’Audience nationale espagnole.

En plus d’avoir fermé les locaux du mouvement à Hernani, Iruñea, Bilbo et Gasteiz, les agents de police ont Interpellé 18 personnes, dont “dix qui étaient réunies au siège du groupe à Hernani”, a précisé le ministère de l’Intérieur dans un communiqué. Parmi les personnes ne participant pas à cette réunion, cinq se trouvaient en Gipuzkoa, une en Bizkaia, une en Nafarroa et une en Araba.

Comptes et sites bloqués

La justice espagnole les accuse d’avoir fait “l’apologie du terrorisme” et d’avoir “intégré” et “financé une bande armée”. Herrira assure qu’aucune d’entre elles n’a été placée au secret.

Dans le cadre de cette opération, l’Audience nationale a bloqué les comptes bancaires de Herrira et a ordonné la fermeture de “32 profils sur Twitter, 125 profils sur Facebook et 38 pages Web. Les comptes bancaires utilisés par Herrira sont bloqués”. Hier après-midi, le site herrira.org affichait encore son dernier article, publié le 26 septembre et intitulé “La doctrine 197/2006 peut engendrer un traitement dégradant et inhumain”. Les propos étaient attribués à Mauro Palma, ancien président du Comité européen pour la prévention de la torture et des traitements dégradants et inhumains.

Précisément, Herrira est dans l’attente de la réponse de la Cour européenne des droits de l’homme sur la doctrine 197/2006 (aussi dite “Parot”), qui prolonge les peines de détention des prisonniers basques. “L’État espagnol a d’une certaine façon donné sa réponse à ce procès [par le biais de cette opération]”, affirme Émilie Martin, porte-parole de Herrira.

Il a aussi voulu montrer, selon elle, “qu’il ne veut pas participer au processus de paix” engagé au Pays Basque et aurait voulu “frapper le mouvement populaire en faveur des droits des prisonniers”.

“Relève d’Askatasuna”

Créé il y a un an et demi, Herrira a centré son travail sur la reconnaissance des droits des prisonniers issus du conflit basque. Aujourd’hui, la justice espagnole l’accuse notamment d’avoir “pris la relève d’Askatasuna/Gestoras Pro-Amnistia dans la convocation et le soutien de manifestations faisant l’apologie des prisonniers de l’ETA et de leurs idéaux”. Les précédentes illégalisations débutaient ainsi…

 Les exilés maintiennent leur engagement sur la voie de la paix

L’opération menée hier par la police et la justice espagnole contre Herrira est d’autant plus surprenante qu’elle intervient dans un contexte d’apaisement au Pays Basque. Et ce d’autant plus qu’après ETA, samedi, c’est le Collectif des exilés politiques basques (EIPK) qui publiait hier un communiqué affirmant “vouloir manifester sa volonté de continuer sur la voie empruntée”, c’est-à-dire celle de la résolution du conflit par les voies pacifiques et démocratiques. Une voie que souhaite maintenir le collectif bien qu’il dénonce être de nouveau “dans le point de mire de la répression”, faisant allusion à l’acceptation par la justice française du mandat d’arrêt européen contre son porte-parole Jokin Aranalde, à l’arrestation d’Asier Guridi au Venezuela et à l’extradition par Paris de Patxi Segurola. Dans ce communiqué, EIPK affirme ne pas vouloir attendre que les États espagnol et français fassent montre de “volonté” de suivre cette voie car, selon EIPK, “ils n’ont aucun intérêt” à une solution et “veulent empêcher le déroulement de l’agenda pour la paix réelle”. Dans son communiqué, EIPK appelle “toutes les forces, agents et citoyens qui désirent la résolution et la paix”, à appuyer le processus de résolution et à faire pression sur les États espagnol et français.

Vague de Réactions au Pays Basque

Jesús Egiguren (président du Parti socialiste d’Euskadi)-“Provocation du gouvernement d’Espagne et passivité du gouvernement basque”, tel est le titre du communiqué du président du PSE rédigé hier. Il n’accepte pas que le “gouvernement national” commette ce type d’“absurdité juridique et politique, qui peut se comprendre uniquement par la volonté de rouvrir des problèmes qui n’existent pas”. D’après lui, “quelles que soient les raisons légales qui sont mises en avant, nous, les Basques, savons y déceler l’impulsion politique à laquelle elles obéissent”.

Jean-Jacques Lasserre (sénateur et conseiller général, MoDem)- L’opération de police d’hier est “beaucoup trop brutale, à un moment où les discussions semblent prendre forme”, notamment au regard des déclarations d’ETA qui iraient “dans ce sens”, selon le sénateur. Il considère que l’illégalisation de Herrira serait “une erreur brutale”.

Colette Capdevielle (députée, PS)- “En qualité de parlementaire, je ne commente pas les décisions judiciaires en vertu du principe de séparation des pouvoirs, ce d’autant plus que cela concerne l’Espagne.”

Basque Friendship- Le groupe de députés européens de soutien à la résolution du conflit basque considère que l’opération d’hier “constitue une violation absolue des libertés démocratiques et une grave violation des droits humains tels que la liberté de réunion et d’expression”. Il dénonce avec fermeté “cet inacceptable manque de responsabilité de Madrid” et sollicite le gouvernement espagnol pour “qu’il s’engage en faveur de la paix”.

Bake Bidea- “L’attitude intensément répressive que maintient le gouvernement espagnol constitue un véritable frein à la résolution que pourrait connaître le conflit basque”, d’après le mouvement civil en faveur du processus de paix basque. Il “s’inquiète de cette volonté persistante d’illégalisation de la liberté d’opinion et d’organisation”. Il estime que “la société civile a le pouvoir de faire évoluer la situation en réfléchissant et se mobilisant en faveur de la mise en place du processus et en n’acceptant plus les atteintes qui y seront portées”.

Udalbiltza- “L’opération est une attaque envers les droits fondamentaux de l’homme”, selon l’assemblée des élus du Pays Basque.

EH Bai- “Ces arrestations rappellent la sombre période où l’État espagnol s’est astreint à illégaliser chacune des composantes de l’indépendantisme basque”, relève la coalition abertzale. “L’État espagnol tente de saboter les opportunités pour dépasser le conflit et l’État français s’en fait le collaborateur zélé.” Et d’ajouter : “Devant la volonté des États de faire perdurer le conflit, seule la mobilisation populaire permettra de construire une paix.”

Anai Artea- D’après l’association de soutien des exilés, “les arrestations concernant les membres de Herrira prouvent que le gouvernement espagnol n’est pas disposé à respecter les droits des prisonniers politiques basques”. “Leur rapprochement serait en effet un pas vers la paix dont il ne veut pas et le dernier arrêt de la cour de Pau validant le mandat d’arrêt européen concernant Jokin Aranalde l’a conforté dans l’idée que la France approuve cet immobilisme.”

Goizeder Taberna



Articles Par : Goizeder Taberna

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