La Maison-Blanche s’arroge le droit de défier la loi

Le « privilège de l’exécutif » invoqué dans l’affaire des procureurs américains

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L’administration Bush s’est arrogée le droit de défier le Congrès et la loi fédérale dans son opposition aux tentatives du Congrès de récupérer des informations relatives au limogeage pour motifs politiques partisans de neuf procureurs américains. 

Le Washington Post a rapporté vendredi que des représentants de l’administration avaient insisté que « le département de la Justice ne sera pas autorisé à poursuivre les accusations d’outrage entreprises par le Congrès contre des officiels de la Maison-Blanche lorsque le président invoquera le privilège de l’exécutif ».  

Le reportage a paru une journée après qu’un comité judiciaire de la Chambre des représentants eut indiqué qu’il était probable qu’il porte des accusations d’outrage  contre le secrétaire général de la Maison-Blanche, Joshua Bolten, sur son refus de fournir les documents exigés lors de l’enquête sur la purge des avocats fédéraux. 

Le sous-comité de la Chambre a rejeté à 7 voix contre 3 la position de la Maison-Blanche que le refus de Bolten de fournir les informations était justifié par le privilège de l’exécutif invoqué par Bush. L’administration Bush a osé soutenir que toutes les communications impliquant des décisions au sein de l’administration étaient protégées en tant que discussions confidentielles impliquant le président des Etats-Unis.

Des affirmations semblables ont été faites par l’administration en rejetant les citations à comparaître du Comité judiciaire du Sénat qui exigeait des documents du bureau du vice-président Dick Cheney, du département de la Justice et du Conseil national de sécurité concernant les opérations secrètes et illégales d’espionnage domestique de l’Agence nationale de sécurité.

De plus, la Maison-Blanche avait ordonné à l’ancienne avocate de Bush à la Maison-Blanche, Harriet Miers, de refuser de se soumettre à une citation à comparaître du Congrès pour témoigner devant le comité judiciaire de la Chambre sur le limogeage des procureurs. Ce fut Miers qui enclencha le processus qui conduisit au limogeage des neufs procureurs, lorsqu’elle proposa après la réélection de Bush en 2004 que les 93 procureurs américains soient congédiés.

L’administration et la droite républicaine ont mis de l’avant une thèse connue sous le nom de « l’exécutif unitaire », selon laquelle toutes les sections officielles de l’exécutif, y compris les procureurs américains, sont considérées comme étant des prolongements des pouvoirs personnels du président. Cela signifie que le Congrès ne peut ordonner à un département ou à une agence de l’exécutif de mener des actions auxquelles le président s’oppose — comme entreprendre la poursuite d’un haut représentant pour outrage au Congrès.

 « Ces affirmations ne sont pas légalement valides », a déclaré la présidente du comité de la Chambre, Linda Sanchez, une démocrate de la Californie, à la suite du vote de jeudi. « Nous sommes confiants que la Maison-Blanche en arrivera à la conclusion qu’il vaut mieux pour eux de coopérer que de poursuivre cette confrontation. »

Les assertions de Sanchez furent appuyées par un rapport confidentiel daté du 5 juillet et rédigé par le Centre de recherche du Congrès, une division de recherche non partisane du Congrès, et intitulé « La revendication présidentielle du privilège de l’exécutif : historique, droit, pratique et récents développements ».

Ce document, bien que n’ayant pas été rendu public, fut mis en ligne plus tôt la semaine dernière sur le site web Federation of American Scientists Project on Government Secrecy.

Il est notamment dit dans le rapport que « de récents jugements par des cours d’appel ont jeté un doute considérable sur le privilège étendu invoqué dans le passé par le Bureau du conseil juridique du département de la Justice et aujourd’hui par le mémo Clement. » Le document auquel le rapport fait référence est un mémorandum envoyé le 27 juin par Paul D. Clement, le procureur général qui agit à titre de Ministre de la justice dans l’affaire liée au limogeage des procureurs. Ce mémorandum réclame l’immunité quasi totale au nom du privilège de l’exécutif et affirme carrément que « les efforts du Congrès pour enquêter sur le remplacement de procureurs américains sortent clairement de ses responsabilités constitutionnelles de base. »

Dans le document, rédigé par le spécialiste de la loi américaine au Service de recherche du Congrès, Morton Rosenberg, on cite ensuite deux jugements de la Cour contre l’administration Clinton, les cas Espy et Judicial Watch, qui sont assortis du commentaire qu’ils « ont sans doute eu un effet important à restreindre la nature, l’ampleur et l’étendue du privilège présidentiel sur les communications. »

Rosenbert a souligné en particulier que d’après les jugements rendus dans ces cas, « le fait de ne pas divulguer des informations à un organisme ayant l’autorité appropriée pour faire enquête » rend le privilège de l’exécutif omnipotent. 

La réponse de l’administration Bush à de tels jugements est de revendiquer des pouvoirs extra-constitutionnels encore plus larges, déclarant essentiellement qu’une fois le privilège de l’exécutif invoqué, la Maison-Blanche n’a de comptes à rendre ni au Congrès ni aux tribunaux. Celle-ci a clairement fait savoir qu’elle était prête à défier ouvertement la loi afin d’imposer son interprétation.

D’après la loi fédérale, une fois que la Chambre des représentants ou le Sénat dépose une citation d’outrage contre un officiel de l’administration, cette citation  est soumise au procureur du District de Columbia, « dont c’est le devoir d’amener l’affaire devant un grand jury pour qu’on y donne suite ».

Selon le Post, des officiels de l’administration ont clairement fait savoir qu’il avaient l’intention de faire obstruction à ce processus défini par la loi. 

« On ne laissera pas un procureur porter d’accusations d’outrage ni convoquer un grand jury dans un cas de privilège de l’exécutif », a déclaré au Post un « officiel de haut niveau », qui a affirmé que sa position était celle de l’administration. « Et on ne laissera pas un procureur argumenter contre l’avis légal raisonné fourni par le département de la Justice. Personne ne devrait s’attendre à une chose pareille. »

L’officiel a ajouté que les « prérogatives constitutionnelles du président font en sorte que toute mesure du Congrès visant à référer une citation pour outrage à un procureur n’est qu’un acte politique futile ».

Une revendication « stupéfiante » de pouvoir présidentiel

L’article du Post a cité le professeur en politique publique à l’Université George Mason, Mark J. Rozell, un expert en privilège de l’exécutif, qui décrit la position de l’administration comme étant « stupéfiante » et « un point de vue à vous couper le souffle quant au rôle du président dans ce système de séparation des pouvoirs ».

« Ce que dit cette déclaration c’est que la revendication par le président du privilège de l’exécutif a préséance sur tout », a ajouté Rozell.

Le député démocrate de la Californie, Henry Waxman, président du comité de la Chambre sur la réforme du gouvernement, le principal comité investigateur de la Chambre, a dit au journal que la position de l’administration « tourne en ridicule l’idéal que personne n’est au-dessus de la loi ». Waxman a ajouté : « Je suppose que la prochaine mesure serait de tout simplement dissoudre le département de la Justice. »

En fait, la position de la Maison-Blanche s’accorde avec le limogeage initial des procureurs fédéraux. La purge faisait partie des efforts pour transformer le département de la Justice en rien de plus qu’une agence politique de la Maison-Blanche et du Comité national républicain, et utiliser ses pouvoirs de police pour influencer le résultat des élections de 2006 et de 2008.

L’enquête sur la purge des procureurs a déjà révélé que ceux qui ont été démis de leurs fonctions l’ont été soit parce qu’ils avaient poursuivi des élus républicains corrompus ou parce qu’ils avaient résisté à des demandes républicaines qu’ils mènent des enquêtes pour motifs partisans sur des candidats démocrates et des organisations pro-démocrates sur la base d’accusations de fraude montées de toutes pièces.  

Le seul précédent cité par les officiels de la Maison-Blanche en revendiquant de manière si large le privilège de l’exécutif est un avis donné en 1984 par l’avocat de droite Theodore Olson, qui a dirigé le Bureau du conseil juridique du département de la Justice sous l’administration Reagan avant de devenir le procureur général de Bush entre 2001 et 2004.

L’affaire concernait le refus de la dirigeante d’alors de l’Agence de protection de l’environnement, Anne Gorsuch Burford, de remettre des documents reliés à un scandale portant sur l’échec de l’administration Reagan à faire respecter les statuts sur le nettoyage des déchets toxiques.

Olson affirmait dans son document : « Le président n’a pas à poursuivre au criminel, par l’intermédiaire d’un procureur des États-Unis, un subordonné pour avoir revendiqué en son nom le privilège de l’exécutif; en fait, il ne doit pas le faire. Et ni la branche législative, ni les tribunaux ne peuvent exiger ou entreprendre la poursuite d’un tel individu. »

Cette position extra-constitutionnelle n’a pas jamais été testée en Cour, l’administration Reagan ayant fini par remettre les documents et Burford par démissionner après avoir été trouvée coupable d’outrage au Congrès.

Étant donné le refus net de l’administration à se soumettre à une loi fédérale, le Congrès peut en dernier recours invoquer l’ « outrage inhérent ». Cette procédure statutaire, adoptée par le Congrès en 1857, autorise la Chambre des représentants ou le Sénat à déposer une citation à comparaître pour outrage. L’individu visé peut alors être appréhendé par le sergent d’armes du corps législatif pour être amené sur le parquet de cette chambre pour y subir un procès.

Ce pouvoir n’a été utilisé qu’une seule fois, en 1934, lorsque le Sénat a jugé et trouvé coupable un ancien receveur des postes, condamnant ce dernier à 10 jours de prison. La mesure fut ultérieurement jugée constitutionnelle par la Cour suprême des Etats-Unis.

S’il fallait trouver une occasion justifiant l’utilisation d’un tel statut, ce serait manifestement le cas avec le mépris ouvert de l’administration Bush pour la loi. Il y a toutefois peu de chances que le Sénat ou la Chambre des représentants n’invoque ce pouvoir. Tout comme les dirigeants démocrates dans les deux chambres refusent d’utiliser leur pouvoir législatif pour bloquer le financement de la guerre en Irak, ils n’ont pas non plus le courage de soutenir un affrontement constitutionnel avec la Maison-Blanche.

La décision extraordinaire de la Maison-Blanche de s’arroger des pouvoirs quasi-dictatoriaux prend place dans un contexte où le soutien public pour Bush et son administration est tombé au niveau le plus bas, presque record. Moins d’un tiers de la population soutient sa politique, et l’opposition à la guerre en Irak est particulièrement intense.

La position de Bush pourrait sembler délirante à la lumière de son soutien politique qui va en diminuant. Mais étant donné la passivité et les capitulations répétées de l’opposition politique supposément représentée par le parti démocrate, et le camouflage des implications constitutionnelles par les médias, la décision de la Maison-Blanche de s’arroger des pouvoirs supra-légaux prend une signification beaucoup plus sinistre.

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Articles Par : Bill Van Auken

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